Des origines à la Révolution industrielle
Si le traitement du fer par l’homme date du 3e millénaire avant notre ère, il n’apparaît qu’au 4e-5e siècle de notre ère dans nos régions. Le fer était produit dans un bas-fourneau qui, avec l’évolution des techniques se transformera en haut-fourneau. Dans ce dernier, le point de fusion est atteint et une coulée appelée gueuse de fonte1 est obtenue. Celle-ci est envoyée au foyer d’affinage pour être battue à l’aide d’un marteau hydraulique. Cette méthode dite wallonne nécessite la présence d’un cours d’eau, de forêt et de minerai de fer, éléments présents en région namuroise, liégeoise, luxembourgeoise, lorraine et hennuyère au Moyen-âge. Au 18e siècle, un faisceau de changement produit le basculement d’une société à dominance agricole à une société à dominance industrielle. Il s’agit de la première Révolution industrielle. Elle est marquée par l’utilisation du coke2 dans la sidérurgie, le passage à la mécanisation avec la machine à vapeur ainsi que par un changement démographique et social.
C’est à Verviers dans les ateliers de textile que la révolution industrielle fait son apparition en Wallonie. En 1798, la firme Simonis-Biolley engage un constructeur anglais du nom de William Cockerill qui met au point des machines pour le textile. John Cockerill, son fils cadet, devient l’image d’Epinal de l’industriel bricoleur et aventureux en menant la Wallonie au sommet de la sidérurgie. Il est le premier à faire fonctionner un haut-fourneau au coke sur le futur territoire belge en 1826.
Dès 1835, la sidérurgie au coke se répand très rapidement à proximité des houillères. Les techniques évoluent. L’acier remplace la fonte, les dynamos et l’électricité remplacent la machine à vapeur. La sidérurgie se développe dans les pays voisins, notamment en France et en Allemagne. Parallèlement à cela, le minerai de fer se raréfie en Wallonie. La production sidérurgique belge trop élevée pour le marché national, devient dépendante de la demande étrangère. Or, un certain protectionnisme caractérise le marché international. La sidérurgie industrielle belge connaît alors ses premières grandes crises (1873 – 1895). La nécessaire modernisation de l’outil due à la révolution de l’acier3 et de l’électricité rend l’initiative individuelle insuffisante. D’une industrie d’entrepreneurs, on passe à une industrie de capitalistes. La plupart des sociétés sidérurgiques sont transformées en société anonyme rassemblant les intérêts de différents groupes. Les entreprises entament des fusions, des intégrations tant verticales qu’horizontales, réalisent des ententes et cherchent de nouveaux marchés (Russie, Chine et Empire ottoman). Grâce à cela, la sidérurgie belge se relève et acquiert une renommée mondiale.
Vers plus de savoir
Au début du 19e siècle, la main‑d’œuvre qualifiée est composée d’artisans habiles formés sur le tas. En 1816, Guillaume d’Orange organise l’enseignement supérieur par un arrêté royal. Des écoles d’ingénieurs sont créées. À la fin du 19e siècle, se développent les premières expériences d’écoles professionnelles et d’enseignement industriel. L’effort de formation, que soutiennent intellectuels, progressistes, patrons éclairés et mouvement ouvrier, passe aussi par des conférences de vulgarisation scientifique et par la création d’une filière spécifique dans l’enseignement secondaire : les « humanités techniques ». Ainsi est formée la main‑d’œuvre qualifiée que la révolution de l’acier réclame.
De la rue aux tranchées
Les ouvriers métallurgistes ont été contraints de mener de dures luttes pour obtenir une égalité de droits, ainsi que des conditions de travail convenables. Au début de la Révolution industrielle, ils travaillent jusqu’à 14 heures par jour pour des salaires de misère, le travail des enfants est généralisé, la protection sociale n’existe pas. Le livret ouvrier et la loi le chapelier les empêchent de s’organiser. Cependant, progressivement des initiatives naissent et d’un mouvement syndical morcelé, on passe progressivement à des organisations structurées. Des caisses de résistance des métallurgistes apparaissent en 1869. En septembre 1886, la Fédération Nationale des Métallurgistes est constituée. Elle est transformée en Centrale des Métallurgistes en 1912. Le Mouvement ouvrier chrétien s’affirme aussi et crée des syndicats dès 1886. Ceux-ci se regroupent en fédérations avec notamment la Fédération des Francs Métallurgistes. Le mouvement ouvrier se consolide tant autour de services aux personnes qu’autour des grandes revendications que sont le suffrage universel, la journée de 8 heures ou la suppression du travail le dimanche.
La période florissante s’arrête net avec la Première Guerre mondiale. En grande majorité, les industriels et les ouvriers de la sidérurgie refusent la collaboration. Un plan organise le pillage systématique de l’industrie au service de l’effort de guerre allemand. La sortie de guerre est difficile : matériels démantibulés et capitaux investis à l’Est disparus. Malgré les difficultés rencontrées, des avancées sociales (réduction du temps de travail, suffrage universel masculin…) sont concédées. Dès les années 1920, l’industrie reprend et se modernise totalement permettant de surmonter les difficultés, même si la concurrence induit toujours une grande sensibilité à la conjoncture.
Du jeudi noir au « miracle belge »
En 1929, le krach de Wall Street ébranle l’équilibre retrouvé. Les cours de l’acier s’effondrent, les capitaux investis à court terme sont rapatriés, les intermédiaires européens font faillite. Les patrons et l’État reviennent sur les droits acquis par les travailleurs. Une politique d’austérité est mise en place. La misère ouvre la voie au populisme et à l’extrême-droite en Europe. Le pic de la crise est atteint en Belgique en 1931. En 1932, la rage éclate dans les rues. En mars 1935, le Gouvernement tripartite Van Zeeland I initie une politique de grands travaux, inspiré par le Plan du Travail de De Man. La reprise économique est en marche. Les producteurs d’acier et de produits métallurgiques renforcent les mécanismes d’entente afin de stabiliser les marchés. Lorsque la Deuxième Guerre mondiale éclate, la sidérurgie belge est florissante. Traumatisés par les destructions de la Première Guerre mondiale, un groupe de financiers et d’industriels adopte la « doctrine Galopin ». Celle-ci consiste à assurer la production industrielle pour maintenir l’emploi, assurer le ravitaillement, empêcher les déportations et les destructions. Ils acceptent de vendre à l’Allemagne à condition qu’il ne s’agisse pas d’une participation directe à l’effort de guerre…
L’industrie sort en relativement bon état de la guerre et fournit de l’acier et des produits aux États en pleine reconstruction et aux troupes alliées. La reconstruction achevée, les sidérurgistes belges sont à nouveau confrontés aux problèmes des débouchés. Tandis que les États voisins profitent des crédits du plan Marshall pour renouveler leurs industries, on retrouve peu d’investissement de modernisation en Wallonie. Le « miracle belge » s’évanouit aussi vite qu’il est apparu.
Durant la guerre, les syndicats ouvriers, le Gouvernement en exil et les organisations industrielles ont mis en place le « Pacte social ». Ils fixent par-là les rapports entre employeurs et travailleurs et les relations dans l’entreprise ainsi que la sécurité sociale. De plantureux profits, des augmentations de salaire et des questions politiques violentes caractérisent la décennie suivant la guerre.
Du point de la main‑d’œuvre, à l’inverse du 19e siècle, la Belgique est devenue un pays aux salaires et à la protection des travailleurs élevés. Comme le niveau de vie et d’instruction a augmenté, la plupart des travailleurs ne désirent plus aller au charbon. Mais la demande de main‑d’œuvre pour les mines est énorme. Ainsi, après des prisonniers de guerre allemands, les industries font appel à une main‑d’œuvre étrangère. La Belgique signe des conventions avec l’Italie (1946), l’Espagne (1956), la Grèce (1957), le Maroc (1964) et la Turquie (1964). Cette main‑d’œuvre passe ensuite en partie à la sidérurgie.
Restructuration, fusion et mondialisation
La tendance internationale change. De nouveaux pôles sidérurgiques fleurissent à travers le monde. De plus en plus souvent, le minerai provient d’Afrique et d’Amérique du Sud par voie maritime et, en 1962, le gouvernement belge décide d’aider le Luxembourgeois Arbed à ouvrir un complexe sidérurgique maritime : SIDMAR. Les bassins liégeois et carolo, qui étaient jusque-là le creuset du dynamisme industriel belge, sont à la recherche d’un nouveau souffle. Sous l’étouffoir des holdings financiers4 qui les contrôlent, ils ne bénéficient pas d’investissements significatifs. Sous la pression d’une concurrence de la sidérurgie maritime, affaiblis par la fermeture progressive des charbonnages et menacés par le déclin démographique régional, ils sont en situation de faiblesse pour affronter le choc pétrolier de 1973 et la récession économique qui l’accompagne.
L’État Belge, qui jusque-là a fait confiance au secteur privé pour gérer le secteur, s’y substitue pour éviter une catastrophe économique et sociale : les pertes de la sidérurgie sont socialisées par la dette publique… Désormais actionnaires déterminants, les pouvoirs publics, lancent une vague de restructurations discutables. En 1978, le plan Willy Claes pousse à une réflexion sur les bassins (restructuration à court terme et intervention massive de l’État). La sidérurgie louviéroise et celle de Clabecq persistent en tant que pôles indépendants. La crise de la sidérurgie se fond dans un climat de crise communautaire. Parallèlement, la concurrence sur le marché mondial de l’acier pousse la Commission européenne à fixer des quotas de production par pays. En 1981, le plan Davignon fusionne les bassins liégeois et carolorégien. C’est la naissance de Cockerill-Sambre, mais cela ne suffit pas. La rage gronde. En 1983, le plan Gandois préconise de se concentrer sur les produits qu’il estime les plus commercialisables et de supprimer d’autres productions dont certains outils modernes et performants. Déclarée en faillite en 1997, la SA Clabecq entre dans les mains du groupe Duferco. La Région wallonne, propriétaire de Cockerill-Sambre, pense que pour que celle-ci survive, elle doit intégrer un groupe européen. En 1999, la Région vend Cockerill-Sambre à Usinor, transformant ainsi l’entreprise en pion de grands groupes internationaux. Peu de temps après, Usinor s’allie au Luxembourgeois Arbed et à l’Espagnol Arcelia, formant dès lors le plus grand groupe sidérurgique mondial : Arcelor. En 2006, Mittal lance une OPA5 sur Arcelor et crée Arcelor Mittal. La sidérurgie continentale, dont les hauts-fourneaux de Liège et de Charleroi, deviennent des variables d’ajustement au marché, variables que les grands groupes ont choisies de supprimer en 2011 – 2012 tentant de mettre fin à des siècles de sidérurgie à chaud en région wallonne.
- Fonte : Alliage de minerai de fer, de charbon et de calcaire porté à une température de près de 1200°C dans les hauts-fourneaux.
- Le coke est une variété de charbon résultant de la distillation de la houille.
- Révolution de l’acier : Passage de l’usage massif du fer puddlé et de la fonte à l’usage de l’acier (composé de fer et de carbone dont la contenance en carbone est moindre) grâce à l’invention par Bessemer d’un convertisseur permettant d’obtenir de l’acier à moindre coût.
- Une société holding est une pièce d’un groupe dont elle assure, souvent, la direction.
- Une OPA (offre publique d’achat) est une opération lancée par un groupe financier ou une société, sous forme d’une proposition d’achat faite au public d’un certain nombre de titres d’une société afin de prendre le pouvoir sur cette dernière.
Pour aller plus loin
Institut d’histoire ouvrière, économique et sociale & FGTB Métal Liège-Luxembourg, Rouge Métal. 100 ans d’histoire des Métallos liégeois de la FGTB, IHOES, 2006.
R. HALLEUX, Cockerill, deux siècles de technologies, Liège, éditions du Perron, 2000.
Aller visiter la Maison de la Métallurgie et de l’Industrie liégeoise.