Noura Amer

Accompagner les femmes dans l’émancipation

Illustration : Vida Dena

La mai­son des Femmes existe depuis 16 ans et pro­pose aux femmes de Molen­beek de suivre des cours d’alphabétisation, de fran­çais ou d’arabe, de par­ti­ci­per à des acti­vi­tés cultu­relles et spor­tives, de béné­fi­cier d’une aide sociale, de coa­ching, d’un espace de convi­via­li­té et de dis­cus­sion. Elles sont près de 400 à fré­quen­ter la Mai­son qui s’inscrit dans une pers­pec­tive fémi­niste et laïque. Ren­contre avec Nou­ra Amer qui coor­donne ce pro­jet qui donne aux femmes les moyens de sor­tir de leur quo­ti­dien et de se prendre en main.

Que propose la Maison des femmes ?

Nous essayons de pro­po­ser un ser­vice le plus com­plet pos­sible. Notam­ment des cours de fran­çais qui sont sou­vent la porte d’entrée au reste de nos acti­vi­tés. Les femmes peuvent avoir accès, si elles en expriment le besoin, au ser­vice d’une assis­tante sociale. Moi-même je suis psy­cho­logue et conti­nue à suivre quelques dos­siers. Nous avons aus­si enga­gé une conseillère en recherche d’emplois et de for­ma­tions. Une coach béné­vole tra­vaille avec des classes sur l’affirmation de soi. Nous pro­po­sons des acti­vi­tés spor­tives, des acti­vi­tés socio­cul­tu­relles. Nous avons opté pour une offre glo­bale. Cer­taines femmes vivent des situa­tions pénibles et pré­caires. Elles ne peuvent s’en sor­tir seules car la non maî­trise de la langue reste un frein. De même elles ne connaissent pas assez de réseaux ou la légis­la­tion admi­nis­tra­tive. C’est vrai­ment essen­tiel pour elles de béné­fi­cier d’un ser­vice qui les prennent en charge glo­ba­le­ment et qui les accom­pagnent vers d’autres ser­vices plus spé­cia­li­sés quand il le faut.

Les femmes sont capables d’apprendre, capables de chan­ger aus­si. Il ne faut pas se conten­ter de dire : « c’est leur culture, lais­sons-les », c’est là un manque de res­pect. Nous sommes tous pareils, nous avons tous des poten­tiels et nous vou­lons vivre mieux. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il faille trans­for­mer ou adop­ter telle ou telle autre culture, il n’existe pas de hié­rar­chie dans les cultures. Mais nous devons croire en elles. Les femmes subissent de nom­breuses pres­sions sociales, des pro­blèmes conju­gaux, elles sont sou­vent dis­cri­mi­nées depuis leur plus jeune âge. Si à un cer­tain moment de leur vie elles décident de s’en sor­tir, il faut leur don­ner les moyens d’y arri­ver comme l’indépendance finan­cière et la connais­sance de la langue. Il faut conti­nuer à avoir des espaces pour elles. Et pas seule­ment des moments de détente et de convi­via­li­té. Elles sont en demande de bien d’autres choses et, par­fois, elles s’étonnent elles-mêmes de ce qu’elles peuvent faire ou réaliser.

Que pensent les hommes, notamment les hommes « religieux » des femmes qui fréquentent vos activités ?

Les cours de fran­çais sont un pre­mier pas vers nos acti­vi­tés. Les hommes ne refusent pas cela, sauf cer­tains mais c’est rare. C’est vrai que cer­taines femmes ont dû par­fois men­tir pour pou­voir venir ici. Pour cer­taines d’entre elles, par­ti­ci­per à des acti­vi­tés à l’extérieur posaient pro­blème. C’est assez rare, mais c’est arri­vé. Pour la majo­ri­té de ces femmes, le fait d’être un lieu presque exclu­si­ve­ment fémi­nin ras­sure leur famille. Mais la Mai­son des femmes ne cache pas son objec­tif pre­mier : l’émancipation des femmes. Les hommes savent que c’est une asso­cia­tion qui sou­tient les femmes et les aide dans leur démarche d’indépendance.

Souhaitez-vous revenir davantage sur un terrain plus culturel que cultuel ?

Nous sommes un ser­vice public et laïc. Le cultuel est expri­mé indi­vi­duel­le­ment par les appar­te­nances de l’une ou de l’autre, mais nous n’abordons pas cette ques­tion au sein de la Mai­son des femmes. Par exemple, nous avons mis sur pied depuis deux ans des cours d’arabe. Apprendre l’arabe comme langue et s’ouvrir au monde arabe cultu­rel avec ses dif­fé­rences, avec ses richesses, avec sa moder­ni­té nous semblent impor­tants et les femmes sont ravies d’avoir ces cours qui ne désem­plissent pas. Mais nous avons spé­ci­fié d’entrée de jeu que c’était à condi­tion que ce soit un cours de langue pour s’ouvrir à la culture, et non un appren­tis­sage de la reli­gion. Il y a des femmes arabes qui sont chré­tiennes, juives ou athées : l’arabe n’est donc pas une langue reli­gieuse. Il existe assez d’offres à l’extérieur pour le cultuel, il faut beau­coup plus mettre l’accent sur ce qui est cultu­rel. Dans les objec­tifs que nous pour­sui­vons en cohé­sion sociale, nous orga­ni­sons de nom­breuses sor­ties cultu­relles inté­grées dans nos pro­grammes de cours : théâtre, ciné­ma, festivals…

Dans les groupes de femmes qui fré­quentent nos classes, nous avons par­fois une ou deux femmes radi­cales qui « dictent leur loi » et disent aux autres femmes que les sor­ties ciné­ma, théâtre sont inter­dites. Elles peuvent influen­cer les autres par­ti­ci­pantes si l’animatrice n’est pas en capa­ci­té de les remettre à leur place très rapi­de­ment. Par­fois, nous ren­con­trons des réti­cences dans le groupe. Des femmes craignent que leur mari ou leurs frères les croisent lors de leur sor­tie cultu­relle. C’est pour­quoi nous tra­vaillons for­te­ment toutes ces ques­tions-là avec les femmes. Il ne faut pas hési­ter à par­ler reli­gion pour la décor­ti­quer, non pas pour l’apprendre, mais pour acqué­rir l’esprit cri­tique. Pour qu’elles ne croient pas tout ce qu’elles entendent et pour qu’elles fassent confiance à leur propre intelligence.

Nous allons invi­ter pro­chai­ne­ment Asmae Lam­ra­bet, une fémi­niste musul­mane très connue au Maroc, qui a une lec­ture vrai­ment révo­lu­tion­naire et fémi­niste de la reli­gion. Je pense que c’est impor­tant de for­mer les formatrices/teurs à cette approche pour leur don­ner des argu­ments, pour pou­voir contrer et décons­truire une pen­sée reli­gieuse tel­le­ment hié­rar­chi­sée. Il est impor­tant qu’elle ren­contre les femmes de Molen­beek afin qu’elles lui posent des ques­tions, qu’elles échangent avec elle.

Comment les femmes qui fréquentent vos ateliers ont-elles vécu les attentats de Bruxelles ?

Je me rap­pelle que les cours avaient déjà com­men­cé ce jour-là et que ça a été un choc ter­rible pour tout le monde. Nous ne pou­vions pas sor­tir, la consigne était de res­ter à l’intérieur. Nous nous sommes donc toutes ras­sem­blées dans la salle poly­va­lente et sui­vions ensemble les infor­ma­tions pour voir ce qu’il se pas­sait. Ce jour-là, on devi­nait beau­coup de tris­tesse. Elles ont beau­coup pleu­ré et ont mani­fes­té beau­coup d’inquiétude. Non seule­ment une inquié­tude en tant que citoyenne belge. Mais aus­si une inquié­tude et inter­ro­ga­tion quant à la rai­son pour laquelle des jeunes agis­saient de la sorte. Si bien qu’en tant que femmes anal­pha­bètes, elles se sen­taient com­plè­te­ment dému­nies. L’une d’entre elles avouait par exemple ne rien savoir des agis­se­ments de son fils sur inter­net. Leurs enfants sont tou­jours occu­pés au télé­phone ou sur l’ordinateur, et elles, elles sont effrayées de ne pas être en mesure de connaître leurs faits et gestes. En plus, elles ont peur d’être agres­sées en rue lorsqu’elles portent le fou­lard. Et pour elles, quit­ter Molen­beek est deve­nu plus com­pli­qué. Ce n’est pas facile à vivre. Pen­dant une semaine ou deux, elles ont moins fré­quen­té les cours vu l’agitation média­tique et poli­cière dans les rues de Molen­beek. Ensuite petit à petit, la vie a repris le des­sus. Mais cela reste un sujet qui les inquiète toujours.

Comment voudriez-vous changer l’image que l’on se fait encore aujourd’hui d’un certain Molenbeek ?

L’image fina­le­ment m’importe peu. Ce qui m’intéresse sur­tout, c’est la vraie vie des gens et com­ment les choses se passent réel­le­ment. Je suis retour­née dans ma famille récem­ment au Liban. Ils étaient cho­qués de savoir que je tra­vaillais à Molen­beek qu’ils com­pa­raient à l’Afghanistan ! C’est l’idée qu’ils en ont ! J’ai pas­sé beau­coup de temps à leur expli­quer ce qui se pas­sait réel­le­ment à Molen­beek. Je leur ai dit que la vie res­tait agréable et que le tra­vail asso­cia­tif et cultu­rel y aidait beau­coup. De notre côté en tout cas, sans fausse modes­tie, la visi­bi­li­té de la Mai­son des femmes en dehors de Molen­beek est gran­dis­sante. Notre tra­vail est recon­nu que ce soit au tra­vers de la Marche mon­diale des femmes ou des mani­fes­ta­tions fémi­nistes. Nous sommes invi­tées à des col­loques à Lou­vain-la-Neuve ou ailleurs. Je pense effec­ti­ve­ment qu’en sor­tant aus­si de Molen­beek, qu’en par­ti­ci­pant à des acti­vi­tés à l’extérieur au nom de Molen­beek, nous avons le pou­voir de chan­ger les choses. Tout ne doit pas néces­sai­re­ment se pas­ser à Molen­beek, il faut en sor­tir et la faire connaître et exis­ter hors de nos murs. Nous sol­li­ci­tons la presse pour les acti­vi­tés posi­tives mais mal­heu­reu­se­ment, elle ne vient que quand il se passe un fait divers négatif.

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