C’est Yasser Arafat qui a proposé d’assurer un poste de représentation en Europe à Leila Shahid. Il avait réalisé le rôle d’avant-garde que les femmes avaient joué dans le mouvement de libération palestinien, notamment lors de la première Intifada de 1987 et avait décidé de confier des postes importants aux femmes. Leila qui, après une période militante active au sein de l’OLP, évoluait alors dans une carrière plus intellectuelle et universitaire (notamment en animant la Revue d’études palestiniennes), est donc devenue la première femme représentant la Palestine et commence en Irlande en 1989. Après un passage aux Pays-Bas en 1990, elle déménage à Paris en 1993 pour assurer le poste de représentante auprès de l’UNESCO et de déléguée de la Palestine en France. Elle arrive finalement à Bruxelles fin 2005 où elle deviendra Ambassadrice auprès de l’Union européenne, de la Belgique et du Luxembourg pendant 10 années. Sa carrière correspond largement au cycle des accords d’Oslo signés en 1993. De l’espoir suscité alors, à la déception et la continuation de l’occupation.
Vous quittez aujourd’hui votre poste, pourquoi ce départ ?
Je souhaitais marquer la fin d’un cycle, d’un travail diplomatique que j’ai fait non pas tant comme diplomate que comme militante de la diplomatie palestinienne. Il s’avère que ce cycle correspond à la séquence d’Oslo qui a permis à la diplomatie palestinienne de se développer. J’ai eu beaucoup de plaisir à mener cette période de diplomatie très active mais au bout de 22 ans de négociations, je crois que les conditions objectives d’une diplomatie efficace exigent un changement total de paradigme.
C’est-à-dire ?
On ne peut pas continuer à nous laisser enfermés dans un tête-à-tête avec notre occupant. D’autant que cette occupation se prolonge. Nous en sommes à la 48ème année de l’occupation militaire ! Et elle devient de plus en plus dure, sophistiquée et pernicieuse. Dans les territoires occupés, nous sommes aujourd’hui dans une situation objectivement beaucoup plus grave qu’avant Oslo.
On en est à près de 600.000 colons aujourd’hui, c’est-à-dire 3 fois plus qu’avant Oslo. Ces colonies bouffent littéralement le territoire palestinien. La division des territoires palestiniens en trois zones, A, B et C aurait dû se terminer en 1999. Or, elle perdure encore en 2015. Il y a le mur qui annexe tout un pan de territoire autour des colonies, notamment pour mettre la main sur les nappes phréatiques dont la majeure partie se situe en territoire palestinien. Les différents gouvernements qui ont suivi l’assassinat de Rabin, des gouvernements d’extrême droite (Ehud Barak, Sharon, Olmert puis Netanyahou, réélu pour la troisième fois récemment), ont pratiquement annexé Jérusalem-Est. Et sous le prétexte que Gaza est un territoire sous l’influence du Hamas, soi-disant une organisation terroriste, on sépare la bande de Gaza de tout le reste de la Palestine. On veut en faire un genre d’Atlantide qu’on espère voir un jour sombrer dans la mer.
Je trouve que la diplomatie n’a pas fait son travail, ni la diplomatie européenne, ni la diplomatie américaine. Et il faut reconnaitre que la diplomatie palestinienne et arabe n’est pas à la hauteur, d’abord parce que la diplomatie palestinienne est tributaire des conditions qu’Israël nous impose. Et comme il y a une asymétrie totale entre la puissance militaire, économique, industrielle israélienne et la nôtre, nous sommes forcément perdants. C’est pour cela que mon Président maintenant ne veut plus parler de revenir à des négociations à la manière d’Oslo.
Les négociations sont donc au point mort ?
Complètement. Elles sont au point mort depuis avril dernier. Netanyahou ne reconnaît aucune des conditions des Accords d’Oslo. Il ne reconnait pas que les territoires palestiniens sont des territoires occupés, que la frontière de cet État doit être la frontière de 1967, que Jérusalem-Est doit en devenir la capitale et qu’il ne peut pas continuer à créer tous les jours de nouvelles colonies parce que c’est une violation du droit international. Comment négocier avec un Premier ministre israélien qui ne reconnait pas les termes d’un accord signé ? On négocie avec des termes de référence et des résolutions très précises des Nations-Unies qui disent le droit. Or, Netanyahou ne reconnait ni les résolutions, ni le droit. Il ne reconnait que le rapport de force. Et le rapport de force est en sa faveur puisque personne ne le rend redevable d’explications lorsqu’il viole le droit. Parce que vous passez l’éponge — quand je dis vous, c’est les Européens, les Belges, les Américains. Le monde entier traite Israël comme un État qui peut violer le droit international et le droit des Palestiniens sans jamais devoir en payer le prix. On l’a tellement mis au-dessus du droit qu’il est devenu un État hors-la-loi.
Israël s’enorgueillit de dire : je suis la seule démocratie de la région. Quelle démocratie ? Comment est-ce que vous pouvez appeler « démocratique » un État et un gouvernement qui en occupe, étouffe et exploite un autre depuis 48 ans ? Il y a une schizophrénie, pas seulement en Israël, mais dans la manière dont le monde traite Israël. Parce que le monde voit la moitié positive d’Israël qui est son fonctionnement intérieur, et s’empêche d’avoir un jugement légitime, légal et juridique, sur le fait que c’est une puissance occupante.
Comment se fait-il que lorsque qu’il y a eu l’occupation du Koweït en 1991, le monde entier se soit mobilisé jusque dans une coalition militaire pour obliger Saddam Hussein à quitter le Koweït ? Ou au Kosovo ? Est-ce que les Palestiniens seraient les seuls qu’on abandonne en tête à tête avec leurs occupants ? Ce n’est pas normal. Oslo, qui a essayé de montrer que l’on pouvait accompagner un processus de libération des territoires par des moyens de négociations politiques mais avec uniquement les Américains comme parrain, a échoué.
Au-delà de cet échec, Oslo a‑t-il eu des aspects positifs ?
Si Oslo a échoué à atteindre le but escompté qui était la création d’un État palestinien, c’est le premier texte qui a affirmé que la solution était celle de deux États vivants côte à côte pour deux peuples.
Oslo a également permis de « ramener la Palestine en Palestine ». Cet accord a en effet donné au mouvement de libération de la Palestine, qui était en exil en Tunisie, l’opportunité de revenir chez lui parce qu’Oslo reconnaissait l’OLP et les droits des Palestiniens. Cela a permis à Yasser Arafat et l’OLP de revenir en Palestine pour la première fois en 1994, à Gaza puis en Cisjordanie. Les Palestiniens ont commencé leur tragédie par l’expulsion et ils commencent la solution de leurs problèmes en revenant en Palestine parce que c’est en Palestine que nous devons trouver la solution de notre avenir c’est-à-dire d’un État. On va faire notre État en Palestine et pas ailleurs, ni en Jordanie, ni au Liban etc. Il n’est pas encore libre cet État puisque les Israéliens refusent de retirer leur armée mais personne ne doute du fait que c’est en Palestine que cet État verra le jour. Cela est irréversible et c’est un des acquis d’Oslo.
Alors bien sûr, il faut faire en sorte que pour que cet État existe, il soit souverain. Et pour être souverain, il faut mettre fin à l’occupation militaire. Mais cela, ce n’est pas notre tâche à nous seuls. C’est la tâche de tous les États du monde qui doivent faire respecter le droit. Ce n’est pas aux « pauvres Palestiniens » d’instaurer le respect du droit dans le monde. C’est aux États membres des Nations-Unies, c’est à la Communauté internationale, et notamment à l’Union européenne, de sanctionner ceux qui violent le droit et d’imposer le respect des résolutions 242 et 338 qui disent que l’acquisition de territoires par la force militaire est illégale et oblige Israël à retirer son armée et reconnaitre la souveraineté des Palestiniens.
Où allez-vous vivre maintenant que vous n’êtes plus Ambassadrice à Bruxelles ?
Je vais revenir là où je suis née, à Beyrouth, ville que j’aime énormément. Une ville qui elle aussi a vécu des conditions politiques difficiles avec la guerre civile, mais qui reste pour moi la capitale de la culture arabe contemporaine. J’aime beaucoup la culture et j’aime beaucoup la modernité. Je n’ai pas envie d’aller dans une société conservatrice. J’ai 65 ans, j’ai envie en tant que femme de vivre à égalité avec mes concitoyens hommes. J’ai envie de vivre dans un État laïc. Je veux des rapports de citoyenneté moderne avec les gens avec qui je vais vivre. Je trouve que Beyrouth continue à représenter cette modernité malgré les guerres et les tragédies, et même si elle est menacée par l’exportation du conflit en Irak et en Syrie vers le Liban. J’y ai de nombreuses attaches, d’amis et de perspectives de travail dans le domaine culturel, artistique et associatif. Je pense passer mon temps entre le Liban et la France où j’ai une maison de campagne et un réseau de relations culturelles que j’ai bâties avec le Festival d’Avignon, le Festival d’Aix, la ville de Marseille, des structures culturelles qui ont été nos partenaires durant le Printemps palestinien que j’ai organisé en France ou durant le festival Masarat en Belgique.
Vous n’envisagez pas de vivre en Palestine ?
Vous savez la Palestine ne se limite pas au territoire de la Palestine ! Les deux tiers de la population palestinienne sont réfugiés à l’extérieur de la Palestine. Je suis très solidaire de cette population de réfugiés qui représente 6 des 10 millions de Palestiniens dans le monde. Donc je voudrais travailler avec ces réfugiés au Liban, ceux qui ont fui la guerre en Syrie et qui sont dans des conditions très difficiles. Mais bien sûr, j’irai en Palestine. Les artistes dont je parle, les culturels dont je parle sont surtout en Palestine. Mais les camps de réfugiés du Liban, c’est là où j’ai commencé et c’est là où je voudrais revenir.
Tout au long de votre carrière de diplomate vous avez eu une attention toute particulière pour la culture, faire découvrir celle de la Palestine en Europe mais aussi aider à ce que la culture se diffuse en Palestine. Pourquoi en avez-vous fait une de vos priorités ?
Avec la Nakba, nous avons vécu un immense nettoyage ethnique. On a vidé la Palestine de ses habitants pour en faire un État à majorité juive. La Palestine, c’est une société paysanne qui a toujours vécu autour de son agriculture. Or, arracher un paysan à sa terre, c’est le tuer. Il ne peut pas devenir cordonnier ou électricien puisque, de père en fils, il a cultivé la terre. Si on lui prend sa terre et qu’on l’exile dans un camp de réfugiés, il meurt. Je suis anthropologue de formation, j’ai étudié la structure sociale des camps palestiniens du Liban. Or, au cours de mon étude, je me suis rendu compte que si cette population avait survécu à ce traumatisme fondateur et était restée très humaine malgré cet arrachement qu’a représenté la Nakba, c’était par l’attachement, non pas à la terre, mais à la culture : leur mémoire, leur musique, leurs danses, leurs chants, leurs poésies, leur littérature… Je suis restée fascinée par le fait que ce qui donnait aux Palestiniens la force de résister au rouleau compresseur de la négation totale israélienne, que ce qui donnait de la force à une société, c’était la culture.
Lorsqu’on m’a nommée Ambassadrice, j’ai gardé cette conviction et je me suis dit qu’il fallait à tout prix introduire dans la diplomatie palestinienne une dimension culturelle. Cela ne peut être uniquement les résolutions des Nations-Unies, ou des conclusions des Conseils européens parce que cela reste très froid. Si vraiment on veut créer un sentiment d’échange et de connaissance du peuple palestinien, il faut dire ce que c’est que sa culture. C’est pourquoi j’ai organisé la saison culturelle du Printemps palestinien en 1997 en France, qui a rencontré un succès important parce qu’on a amené tous les écrivains, les musiciens, les cinéastes palestiniens. Lorsque je suis arrivée en Belgique, j’ai initié la même chose, ça a donné Masarat en 2008. L’audience de ces activités culturelles était beaucoup plus importante que celle des discours juridiques de résolutions internationales.
Pourquoi cet intérêt selon vous ?
Parce que ce sont des rapports humains entre Européens et Palestiniens, de citoyens à citoyens, entre poètes et ceux qui aiment la poésie, entre romanciers et ceux qui aiment lire, entre musiciens et mélomanes. Et cela forme une communauté, on se sent égaux. Je pense que la force de la relation que cela a créée entre Européens et Palestiniens est beaucoup plus forte qu’uniquement une camaraderie idéologique ou politique. La culture s’oppose à un nationalisme chauvin qui m’inquiète beaucoup ces dernières années. Elle combat un recours à cette religion prise comme idéologie nationaliste messianique qu’elle soit musulmane, juive ou même chrétienne comme aux États-Unis. La culture rassure donc sur l’humanité de notre monde actuel. Elle est ouverte à tous les citoyens et en particulier les jeunes. Or, l’avenir c’est la jeunesse, la jeunesse palestinienne, arabe, méditerranéenne et européenne. Et, la culture la fait vibrer parce qu’elle fait appel à ses émotions beaucoup plus que le discours politique.
La culture fait plus vibrer les jeunes que la politique en Palestine ?
La culture a une dimension politique très importante. Il n’y a pas de culture sans politique. Je pense que les jeunes sont plus sensibles au discours, à des récits qu’à la manière dont on parle quand on va par exemple dans un parti politique discuter des rapports de pouvoir et d’élections. Je pense d’ailleurs que c’est la même chose en Belgique. Je parlais de discours dans son sens philosophique, d’un récit que je pourrais faire moi ou que pourrait faire un artiste sur la Palestine. Il est évident aujourd’hui que vous ne pouvez pas éviter la politique lorsque vous êtes victime de la politique mais je trouve que vous pouvez avoir envie de transmettre ce que vous vivez d’une manière autre que par un discours militant, politique, idéologique, autrement que d’aller manifester, d’aller crier ou d’écrire un article. Vous pouvez le faire au travers d’une œuvre, d’un travail littéraire ou de l’expression que vous avez en tant qu’artiste.
Quand on parle de culture, on parle également au sens plus large de la culture anthropologique, des différents traits culturels. Dans quelle mesure la culture palestinienne a‑t-elle été modifiée par des décennies d’occupation, d’humiliation et d’injustice ?
Je pense que la tragédie palestinienne a fait des Palestiniens un des peuples les plus modernes de la planète. La situation les a obligés à se remuer, à se soulever contre tout ce qui les faisait régresser, contre le côté conservateur de la société arabe et musulmane, avec ses traditions, ses conventions, son conformisme, son qu’en-dira-t-on. Par exemple, si vous êtes une femme réfugiée dans un camp et que vous allez travailler parce que toute la famille crève de faim, votre père ne pensera jamais à dire : « Non, les traditions du village ne le permettent pas ». Il n’y a plus de village ! Et donc, elle ira travailler. Si elle a un diplôme, elle aura un meilleur salaire donc elle veut aller étudier. Et c’est pour cela qu’aujourd’hui 98,9% de la population palestinienne est alphabétisée contre moins de 50 % dans le monde arabe. Vous avez autant de filles que de garçons alphabétisés, nos écoles sont mixtes. Et vous avez le plus haut taux de diplômés universitaires du monde arabe. Et pourtant, on est les plus pauvres ! Mais les gens sont prêts à ne pas manger pour pouvoir assurer l’éducation de leurs enfants.
Cette capacité de modernité est la conséquence de la vie qu’ils ont vécue. On a été obligé de faire l’intifada, ce qui en arabe signifie « se secouer », faire un mouvement sur soi-même. Et pas du tout ce que traduit la presse occidentale, des jets de pierre contre l’occupant. L’intifada, c’est donc le fait de se soulever, se redresser et de décider de son destin. C’est une manière de se remettre debout quand on a été cassé par la vie. Dans le cas précis palestinien, cassé par l’occupation militaire, l’exil et la dépossession. C’est un mouvement extraordinaire de reprise de confiance en soi. C’est le summum de la dignité humaine. Et on peut l’appliquer à n’importe quelle situation où l’on se secoue, où l’on se débarrasse des traditions, de tout ce qui est rétrograde, conservateur et raciste. Et cela, c’est la modernité pour moi. Les conditions de vie des Palestiniens les ont menés vers cette intifada qui les a conduits vers la modernité, vers la laïcité, vers l’ouverture à l’autre, vers l’expression universelle de leur culture, de leur capacité artistique et c’est cela qui leur donne de la force.
Dans le documentaire « Fix me » de Raed Andoni, le réalisateur se met en scène à la recherche des causes de ses migraines, et donne à voir les réactions de Palestiniens à son projet de film. Les gens lui reprochent de traiter d’un sujet trivial, qu’il y a des choses plus importantes à traiter comme l’occupation israélienne. Est-ce que c’est compliqué pour des artistes palestiniens de traiter d’autre chose que de l’occupation comme semble le dire Raed Andoni ?
Cela fait également partie de ce que j’ai appelé le fait de se secouer, de se débarrasser d’un carcan. Le carcan n’est pas seulement au niveau de la religion, du patriarcat ou du clanisme parce que nous sommes une société arabe où vous avez quand même tous ces défauts. Ce sont des aspects de notre culture qui nous tirent vers l’arrière au lieu de vous pousser vers l’avant. Il y a aussi le discours idéologique parce que la Palestine a fait aussi partie de ce qu’on appelle les mouvements de libération qui ont un magnifique discours mais centré sur « le collectif, le collectif, toujours le collectif ». Or, les artistes ont quelquefois besoin aussi de parler à la première personne du singulier. Ce n’est pas une trahison si un artiste dit moi je pense que, j’aimerais que, je vois les choses comme cela. Cela ne veut pas dire qu’il est un traître à son peuple mais que là, il est un artiste. Il n’est pas Yasser Arafat qui fait un discours, ni Leïla Shahid la représentante de l’OLP. Il a fallu que les artistes gagnent leur place.
La production artistique actuelle est très riche. Les artistes qui ont assez de choses à dire sont très bien reconnus en Palestine, ils en sont même la fierté. Vous avez quelqu’un comme Emily Jacir qui a reçu le prix de la Biennale de Venise il y a 10 ans. Vous avez quelqu’un comme Elia Suleiman qui a eu des prix à Cannes. Vous avez quelqu’un comme le musicien que PAC a produit, Ramzi Aburedwan, qui maintenant produit des CD avec des musiciens belges. Mais on est très exigeant en Palestine sur la qualité de l’art. Les Palestiniens reconnaissent et sont très fiers des artistes comme eux, qui ont eu assez de force pour produire une œuvre, sans avoir forcément un discours idéologique ou sans prétendre parler au nom de la collectivité, du peuple palestinien. Il y a mille manières d’exprimer des choses sur le plan artistique, que cela traite de la résistance du peuple palestinien ou non. Je ne suis donc absolument pas d’accord avec Raed Andoni au sujet de l’idée qu’on reprocherait aux artistes de trop parler d’eux-mêmes. La production culturelle et artistique aujourd’hui se développe tous azimuts.
Est-ce que vous avez eu plus de mal à mener une carrière dans le monde diplomatique parce que vous étiez une femme ?
Vous seriez surpris… En tant que femme, j’ai trouvé que j’avais en fait beaucoup d’atouts que ce soit en Europe ou avec les miens. Avec mes interlocuteurs européens, c’est parce qu’ils ne s’attendaient pas à ce qu’une femme arabe puisse assumer cette fonction sans complexes d’infériorité. Cela m’a ouvert beaucoup de portes. Dans ma propre société, cela m’a donné beaucoup d’avantages parce que je sentais que les hommes étaient fiers d’avoir une femme qui savait répondre à l’Ambassadeur d’Israël et le faire taire à la télévision. Ils étaient moins excités lorsque c’était des collègues hommes qui débattaient.
J’ai le sentiment que l’opinion publique palestinienne a aimé ma manière de fonctionner et de les représenter. J’ai travaillé d’arrache-pied. Autant avec les autorités politiques qu’avec la société civile palestinienne. Autant avec les politiques que les culturels. J’ai pris très au sérieux mon titre : j’ai été la représentante de l’OLP qui, elle, représente le peuple palestinien. J’ai toujours considéré que j’étais représentante de tous les Palestiniens, qu’ils soient de mon bord ou non, qu’ils soient avec le Fatah, avec le Hamas, avec le Front populaire ou avec les communistes, qu’ils soient de Palestine, de la diaspora ou d’Israël. Pour moi, ils sont tous Palestiniens. Je pense donc qu’il y a eu une forme d’osmose, d’empathie très intense entre moi et la population palestinienne qui fait que moi personnellement je vous mentirais si je vous disais que j’ai été opprimée en tant que femme diplomate ou femme militante palestinienne…
Mais dans la société palestinienne, comme dans toutes les sociétés arabo-musulmanes, la femme n’a pas un statut égal à celui de l’homme dans les domaines juridiques, économiques et sociaux. Elle a beaucoup de pouvoir dans l’espace privé mais pas d’autorité dans l’espace public. C’est dans ce domaine qu’il faut lutter.
Vous avez beaucoup cité les Palestiniens de la diaspora, les Palestiniens des camps, les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. Finalement, qu’est-ce qui unit tous ces peuples aux destins multiples ?
Leur appartenance ! Leurs appartenances à une nation, à une mémoire, à une histoire, à une aspiration, à un avenir, à une dignité, à une reconnaissance, à un projet, à une vision de société. Ils ont une vraie identité qui ne se réduit pas à l’adresse que l’on met sur un compte en banque ou sur un courrier. Les Palestiniens ont une mémoire commune, une histoire commune, ils en sont très fiers parce que c’est une terre qui ne ressemble à aucune autre, parce qu’elle est sainte, elle est l’accumulation de toutes les civilisations qui ont vécu sur cette terre. Et voyez comme elle est petite. Tellement petite que l’on ne peut même pas écrire le nom en entier sur la carte ! Mais elle est dans la civilisation mondiale car elle a été le lieu de naissance de Jésus-Christ, le lieu où les Hébreux ont fait leur premier royaume, le lieu où les Palestiniens ont construit un rêve d’État, où on trouve un mélange de chrétiens, de musulmans, de juifs, d’ottomans, de byzantins, de jébuséens, d’hébreux. C’est cette richesse de la diversité de ce lieu et de son histoire qui fait qu’ils ont une identité forte.
Vous connaissez le théorème d’Archimède ? Tout corps plongé de haut en bas reçoit une poussée verticale équivalente de bas en haut qui le fait ressurgir. Exactement comme les Palestiniens. On a voulu les faire disparaitre, ils ont reçu une poussée de bas en haut qui en a fait un peuple d’une très grande force, de conviction, de sentiment et d’appartenance profonde à l’Humanité.