Tu peux nous parler de la création d’Avanti ?
À l’origine, il y a le service d’aide aux justiciables Espace libre, à Charleroi. Nous recevions des prévenus en entretien individuel. On avait réussi à fermer le couvercle de la marmite, il n’y avait pas de récidive. Mais en termes de bien être individuel et collectif, ou d’espoir, on n’avait pas grand-chose… Certains disaient « j’aurai jamais de boulot, je suis bon à rien, j’ai pas ma place. » C’est alors que j’ai rencontré un jazz-man américain, Richard, en 1996 à Avignon. Il avait des copains en Ardèche, des psychiatres un peu alternatifs qui faisaient des expériences, et on est parti là-bas… On voulait vivre autre chose que l’institutionnel, on a débarqué avec des gens un peu « borderline », repliés sur eux-mêmes, à la limite du pathologique. On a mené une expérience autour d’un atelier de percussions. Il fallait les construire, les décorer, puis en jouer… Et les gens étaient vraiment fiers de découvrir qu’ils étaient capables de faire quelque chose. On avait enclenché un truc chez eux. Alors on a essayé de pérenniser ce processus d’enclenchement en gardant sa dimension collective.
Aujourd’hui, Avanti relève principalement de la Région wallonne et particulièrement du décret de 2004 sur les OISP (Organismes d’insertion socioprofessionnelle). Quels sont les avantages et les inconvénients du système ?
Le décret balise les objectifs, les contenus pédagogiques, etc. Mais il impose aussi que le stagiaire soit présent tous les jours, que soient reconnues uniquement des institutions comme le CPAS, le Forem, etc. À la limite, si on ne fait pas gaffe, on devient une filiale de ces institutions. Elles nous envoient des candidats systématiquement. Elles ne leur donnent pas le choix. Or, nous insistons sur le choix, ce doit être une décision personnelle. Nous préparons les gens à l’emploi, c’est un objectif, mais ce n’est pas le seul ! On est interpellé par ceux qui retrouvent du boulot et qui nous disent « ça sert à quoi finalement, quand je rentre chez moi à 17 heures, je suis tout seul… »
Tu veux dire que ces gens ne sont pas resocialisés même s’ils « appartiennent » à la société ?
Oui, c’est dû au fonctionnement de la société elle-même. Il faut imaginer ces gens qui ont galéré toute leur vie, qui ont 40 ans : pour eux, 18 mois chez Avanti ce n’est pas toujours suffisant ! Quand ils s’en vont, c’est la rupture même s’ils ne sont pas encore prêts. Et là je dis : sortons un peu du décret, trouvons d’autres moyens pour faire ce qu’on a envie de faire. On est en pleine réflexion là-dessus. On nous demande tellement de choses et les réalités sociales de terrain sont tellement énormes !
La créativité et les pratiques artistiques sont au cœur de la démarche d’Avanti. Tu peux nous en parler ?
La création te fait découvrir concrètement d’autres possibilités. Quand tu as galéré, ta perspective de vie est très limitée, tu n’imagines même pas qu’il y a d’autres choses possibles. Participer à un processus créatif déclenche pas mal de choses, la vie c’est un peu comme une œuvre d’art, tu rates, tu recommences. Et la création collective renforce cette démarche. Avec l’art, c’est magique ce qui se passe, que ce soit le théâtre ou la visite d’une expo au B.P.S. 22 [un espace de création contemporaine situé à Charleroi]. Les stagiaires perçoivent des choses bien plus essentielles que nous qui conceptualisons tout le temps.