Isabelle Heine

« La vie c’est comme l’art, tu rates, tu recommences… »

Photo : Jean-Luc Urbain
Photo : Jean-Luc Urbain

Ins­tal­lée depuis 2001 sur le site d’économie sociale de Mon­ceau Fon­taines (Char­le­roi), l’ASBL Avan­ti pour­suit une aven­ture hors du com­mun sur le sen­tier pour­tant bali­sé de l’insertion socio­pro­fes­sion­nelle. La créa­ti­vi­té est au cœur de la démarche. D’où un ensemble de for­ma­tions pré-qua­li­fiantes décli­nées en tech­niques variées : fer­ron­ne­rie, sculp­ture, menui­se­rie ou arts gra­phiques. Comme nous l’explique la direc­trice, Isa­belle Heine, le retour à la vie sociale des per­sonnes fra­gi­li­sées doit être por­teur de sens. Et les pro­ces­sus de créa­tion, révé­la­teurs des poten­tia­li­tés de cha­cun, y contri­buent grandement.

Tu peux nous parler de la création d’Avanti ?

À l’origine, il y a le ser­vice d’aide aux jus­ti­ciables Espace libre, à Char­le­roi. Nous rece­vions des pré­ve­nus en entre­tien indi­vi­duel. On avait réus­si à fer­mer le cou­vercle de la mar­mite, il n’y avait pas de réci­dive. Mais en termes de bien être indi­vi­duel et col­lec­tif, ou d’espoir, on n’avait pas grand-chose… Cer­tains disaient « j’aurai jamais de bou­lot, je suis bon à rien, j’ai pas ma place. » C’est alors que j’ai ren­con­tré un jazz-man amé­ri­cain, Richard, en 1996 à Avi­gnon. Il avait des copains en Ardèche, des psy­chiatres un peu alter­na­tifs qui fai­saient des expé­riences, et on est par­ti là-bas… On vou­lait vivre autre chose que l’institutionnel, on a débar­qué avec des gens un peu « bor­der­line », repliés sur eux-mêmes, à la limite du patho­lo­gique. On a mené une expé­rience autour d’un ate­lier de per­cus­sions. Il fal­lait les construire, les déco­rer, puis en jouer… Et les gens étaient vrai­ment fiers de décou­vrir qu’ils étaient capables de faire quelque chose. On avait enclen­ché un truc chez eux. Alors on a essayé de péren­ni­ser ce pro­ces­sus d’enclenchement en gar­dant sa dimen­sion collective.

Aujourd’hui, Avanti relève principalement de la Région wallonne et particulièrement du décret de 2004 sur les OISP (Organismes d’insertion socioprofessionnelle). Quels sont les avantages et les inconvénients du système ?

Le décret balise les objec­tifs, les conte­nus péda­go­giques, etc. Mais il impose aus­si que le sta­giaire soit pré­sent tous les jours, que soient recon­nues uni­que­ment des ins­ti­tu­tions comme le CPAS, le Forem, etc. À la limite, si on ne fait pas gaffe, on devient une filiale de ces ins­ti­tu­tions. Elles nous envoient des can­di­dats sys­té­ma­ti­que­ment. Elles ne leur donnent pas le choix. Or, nous insis­tons sur le choix, ce doit être une déci­sion per­son­nelle. Nous pré­pa­rons les gens à l’emploi, c’est un objec­tif, mais ce n’est pas le seul ! On est inter­pel­lé par ceux qui retrouvent du bou­lot et qui nous disent « ça sert à quoi fina­le­ment, quand je rentre chez moi à 17 heures, je suis tout seul… »

Tu veux dire que ces gens ne sont pas resocialisés même s’ils « appartiennent » à la société ?

Oui, c’est dû au fonc­tion­ne­ment de la socié­té elle-même. Il faut ima­gi­ner ces gens qui ont galé­ré toute leur vie, qui ont 40 ans : pour eux, 18 mois chez Avan­ti ce n’est pas tou­jours suf­fi­sant ! Quand ils s’en vont, c’est la rup­ture même s’ils ne sont pas encore prêts. Et là je dis : sor­tons un peu du décret, trou­vons d’autres moyens pour faire ce qu’on a envie de faire. On est en pleine réflexion là-des­sus. On nous demande tel­le­ment de choses et les réa­li­tés sociales de ter­rain sont tel­le­ment énormes !

La créativité et les pratiques artistiques sont au cœur de la démarche d’Avanti. Tu peux nous en parler ?

La créa­tion te fait décou­vrir concrè­te­ment d’autres pos­si­bi­li­tés. Quand tu as galé­ré, ta pers­pec­tive de vie est très limi­tée, tu n’imagines même pas qu’il y a d’autres choses pos­sibles. Par­ti­ci­per à un pro­ces­sus créa­tif déclenche pas mal de choses, la vie c’est un peu comme une œuvre d’art, tu rates, tu recom­mences. Et la créa­tion col­lec­tive ren­force cette démarche. Avec l’art, c’est magique ce qui se passe, que ce soit le théâtre ou la visite d’une expo au B.P.S. 22 [un espace de créa­tion contem­po­raine situé à Char­le­roi]. Les sta­giaires per­çoivent des choses bien plus essen­tielles que nous qui concep­tua­li­sons tout le temps.

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