Rester motivé, c’est une affaire de choeur

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Photo : Philippe Perniaux

Fin août, avec l’aide du CPAS et d’Article 27, Pré­sence et Action Cultu­relles (PAC) Char­le­roi réunis­sait une cho­rale citoyenne, sous la hou­lette d’un ani­ma­teur hors du com­mun. Après une pres­ta­tion remar­quée au Fes­ti­val de la chan­son ouvrière en octobre, le chœur a conti­nué de battre… Récit d’une aven­ture participative.

Mar­chienne-au-Pont, 8 novembre 2011 : Oli­vier Bil­quin, notre maître chan­teur, accueille à sa manière les cho­ristes dans le local de répé­ti­tion prê­té par la Mai­son pour asso­cia­tions. « Je suis très content de vous revoir… Je n’ai pas encore bu le vin mais j’ai man­gé le sau­cis­son ! » Les exer­cices d’échauffement peuvent com­men­cer dans la bonne humeur. Déam­bu­la­tion aléa­toire, les pieds se déroulent sur le sol, les bas­sins se tendent vers l’arrière, on mâche, on bâille sans rete­nue, on laisse les pre­miers sons des­cendre le plus bas pos­sible. On accom­pagne le son dans sa chute, avant de remon­ter sur un rythme de plus en plus soutenu…

Un mois plus tôt, ces femmes et ces hommes se pro­dui­saient sur la scène de Char­le­roi-Danses, dans le cadre d’un 1er Fes­ti­val de la chan­son ouvrière plein à cra­quer. La cho­rale, rebap­ti­sée depuis lors « Chœur des moti­vés du 8 octobre », rem­por­ta ce soir-là un suc­cès mas­sif, tout à fait méri­té. Ce fut l’apothéose d’une aven­ture humaine com­men­cée quelques semaines plus tôt.

D’un réseau l’autre

L’idée d’une fan­fare ouvrière ou d’une cho­rale traî­nait dans les tiroirs de PAC Char­le­roi depuis un cer­tain temps déjà. Nous vou­lions ras­sem­bler un groupe de musi­ciens ou de chan­teurs ama­teurs qui pour­raient se pro­duire à l’occasion de quelques grands ren­dez-vous popu­laires de la région.

C’est le Fes­ti­val de la chan­son ouvrière, orga­ni­sé par Taboo, Centre jeunes de la FGTB, qui ser­vit de cata­ly­seur à nos envies. Nous déci­dâmes de consti­tuer une cho­rale dont les membres ne pos­sè­de­raient aucune connais­sance par­ti­cu­lière des tech­niques du chant, et de mettre en place en un temps record un ensemble vocal capable de se pro­duire en ouver­ture du fes­ti­val. Pour y inter­pré­ter deux, trois, voire quatre chan­sons. Au final, le chœur offrit au public un réper­toire de six chan­sons, après seule­ment dix répétitions…

Le recru­te­ment des par­ti­ci­pants s’opéra dans un par­te­na­riat étroit avec deux actrices bien connues dans la place : Flo­rence Tri­faux, res­pon­sable du Plan de par­ti­ci­pa­tion sociale, cultu­relle et spor­tive du CPAS de Char­le­roi, et Car­me­la Mori­ci, coor­di­na­trice régio­nale d’Article 27 (men­tion spé­ciale aus­si à Les­lie Raone de l’asbl Pro­mo­tion famille). En acti­vant nos dif­fé­rents réseaux, grâce aux contacts indi­vi­duels et à notre ins­crip­tion dans les réseaux sociaux, nous avons mobi­li­sé une soixan­taine de per­sonnes, de tous âges, de tous hori­zons, ayant par­fois une cer­taine expé­rience du chant et du chant cho­ral, aucune le plus sou­vent. Flo­rence et Fabrice (de PAC), moti­vés, se joi­gnirent au groupe.

C’est ensuite la logique du hasard (à la faveur du désis­te­ment du pre­mier ani­ma­teur pres­sen­ti…) qui nous a per­mis de ren­con­trer celui qui allait consti­tuer la pièce essen­tielle de ce puzzle par­ti­ci­pa­tif : Oli­vier Bil­quin, le thau­ma­turge sou­riant, le sor­cier de l’imprévu, le pas­sion­né trans­pi­rant d’énergie.

À la mi-août, le dis­po­si­tif était en place, le « chant » des pos­sibles s’ouvrait à nous, sans qu’aucun des par­te­naires ne puisse pré­voir, à ce stade, ce qui allait réel­le­ment se passer.

Le pre­mier ate­lier, la pre­mière ren­contre, se dérou­la le 23 de ce même mois, alors que l’été pour­ri se pour­sui­vait… D’emblée, Oli­vier impri­ma un carac­tère col­lec­tif à l’aventure en lan­çant son toni­truant : « On fait ce chœur avec tout le monde et on s’adapte à tout le monde ! » Moment clef. La répé­ti­tion avait com­men­cé depuis cinq minutes à peine. Place à l’échauffement.

« Plus un partage qu’une transmission »

Le même Oli­vier, inter­ro­gé le 13 sep­tembre, avant que ne démarre la cin­quième répé­ti­tion : « Les choses ne se déroulent pas comme je les avais pré­vues parce que je n’avais rien pré­vu… C’est un groupe que je ne connais­sais pas et dont pas mal de per­sonnes ne se connais­saient pas non plus ; beau­coup d’entre elles n’ont jamais chan­té de leur vie, en tout cas pas en choeur. Donc, a prio­ri, je ne me suis pas fixé d’objectifs, on com­mence puis on va jusqu’où on va… Mais à ce stade, c’est déjà une satis­fac­tion parce qu’on a du monde et que ce monde est reve­nu à chaque fois, c’est qu’ils y trouvent du plai­sir. Pour moi ce genre de chœur a d’abord une voca­tion sociale, ce sont des gens qui se ren­contrent et qui par­tagent un truc ensemble. Sinon on ne fait pas un chœur… Ils aiment ça, donc ils reviennent. Pour ce qui est de l’objectif musi­cal, je dirais qu’on a déjà atteint un cer­tain niveau, et on sera plus loin le 8 octobre. Où ? Je n’en sais rien, est-ce qu’on aura un chant, deux chants ou trois, je ne sais pas. Mais je remarque déjà une qua­li­té, une qua­li­té d’écoute, une qua­li­té de pro­duc­tion, il y a une envie de pro­duire du son de la part du chœur. Pour moi l’objectif est déjà atteint. »

Le musi­cien n’avait pour­tant pas l’habitude de tra­vailler avec un groupe hété­ro­clite, sui­vant un timing aus­si ser­ré. « J’ai ani­mé une cho­rale d’une cin­quan­taine de per­sonnes pen­dant 15 ans, mais il y avait une connais­sance réci­proque — je savais où je pou­vais les emme­ner — et puis l’expérience des cho­ristes qui per­met­tait d’aller plus loin. Ici, on se retrouve un cer­tain nombre de fois pour pro­duire un résul­tat… Il faut s’adapter à la façon dont le chœur répond, autant sur l’appréciation du réper­toire qu’on pro­pose que sur la façon dont ils chantent. Mais le niveau est vrai­ment chouette, il y a un son, tout de suite il y a eu une matière sonore sur laquelle on pou­vait tra­vailler. »

Afin de col­ler à la thé­ma­tique « chan­son ouvrière » du fes­ti­val, l’option rete­nue fut de sou­mettre aux par­ti­ci­pants des textes rele­vant du domaine de la lutte. Lutte des classes ? Luttes ouvrières ? Où com­mence la lutte, où finit-elle ? Pour qui, pour quoi ?

Il s’agissait sur­tout de construire col­lec­ti­ve­ment un réper­toire, paral­lè­le­ment au rythme sou­te­nu des répé­ti­tions. Nos pro­po­si­tions, intui­tives, sus­ci­tèrent assez vite une large adhé­sion, notre volon­té étant d’éviter la cari­ca­ture, la révolte gnan­gnan ou la ren­gaine datée. D’où, au final, ce cock­tail impré­vi­sible fait de stan­dards indé­mo­dables (Le temps des cerises, Bel­la Ciao), d’un mix déton­nant (la ver­sion Chant des partisans/Motivés de Zeb­da), d’un clas­sique contem­po­rain en VO (The Par­ti­san de Léo­nard Cohen) et puis de choses beau­coup moins impro­bables qu’il n’y parais­sait au départ (Les mains d’or de Lavilliers et Alors on danse de Stromae).

« Ma méthode, pour­suit Oli­vier Bil­quin, c’est d’amener les gens à décou­vrir ce qu’ils doivent chan­ter avec un niveau d’exigence un peu caché, ne pas être rébar­ba­tif, ne pas être cas­sant. Une dame me disait que mes remarques, je les fai­sais avec humour, ain­si on prend les choses plus faci­le­ment. Ça fonc­tionne bien avec les chœurs ama­teurs, je ne suis pas sûr que ça marche autant avec un chœur pro­fes­sion­nel, les pros ce sont tous des chan­teurs, avec une for­ma­tion vocale dans leur par­cours. Il n’y a pas le même plai­sir à venir aux répé­ti­tions, cer­tains auraient même ten­dance à cache­ton­ner, tan­dis que les gens ici viennent pour le plai­sir avant tout, le plai­sir de chan­ter et de voir du monde. Cer­tains viennent parce que c’est une acti­vi­té en groupe. J’insiste sur le plai­sir. Moi aus­si j’y prends du plai­sir, je ne suis pas un fonc­tion­naire. (…) J’essaye de trans­mettre un savoir, c’est vrai, mais c’est plus un par­tage qu’une trans­mis­sion, par­tage d’un savoir et d’un plai­sir. »

Plai­sir, lais­ser-faire et savoir-faire. Hasard et néces­si­té. L’éducation per­ma­nente n’est pas une science exacte, c’est une pra­tique qui se calque sur les envies et les aspi­ra­tions de cha­cun, cha­cune. Ce qu’exprime Fri­da avec ses mots à elle : « J’adore ces ini­tia­tives citoyennes cultu­relles ! On se ras­semble, on forme un mélange, on se lance et on se laisse aller, on se laisse empor­ter. Je ne maî­trise pas la langue anglaise par exemple, mais je me laisse aller par rap­port aux autres, je chante sur les paroles des autres, c’est magni­fique ! »

La suite de cette aven­ture s’écrivit d’elle-même, dès le 8 octobre, alors que le public, conquis, exi­geait un rap­pel : la volon­té de conti­nuer fut una­nime et deux nou­velles pres­ta­tions furent pro­gram­mées en novembre. Toutes et tous moti­vés, jusqu’à une date indéterminée…

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