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Agir pour les artistes

Photo : CC BY SA 2.0 par Citta Vita

Avant d’aborder les aspects tech­niques d’une pro­tec­tion sociale adé­quate des artistes, il est néces­saire de réflé­chir au « pour­quoi » de la néces­si­té de cette pro­tec­tion. Cette ques­tion ren­voie bien enten­du aux rôles res­pec­tifs de l’art et de l’artiste dans la socié­té et à la place qu’il convient de leur donner.

Pour la plu­part des citoyens, l’art se confond avec la notion plus géné­rale et englo­bante de ce qu’on appelle « la culture », son uti­li­té se limi­tant aux loi­sirs, à l’esthétique et à l’enrichissement personnel.

Dans l’Histoire et pour le poli­tique, l’art fut d’abord un outil de pro­pa­gande ou de séduc­tion. Ensuite, il est deve­nu davan­tage une expres­sion d’émancipation et de liber­té qu’il conve­nait de pro­mou­voir. Aujourd’hui, mal­gré les poli­tiques d’austérité, per­sonne n’oserait ouver­te­ment remettre en cause cette liber­té. Et à l’heure où le sec­teur cultu­rel est recon­nu comme étant un des sec­teurs qui génère la plus forte crois­sance (en termes de créa­tion d’emplois et de lien social), il est sur­pre­nant de consta­ter que le cadre de recon­nais­sance de celui-ci qui est au cœur de cette évo­lu­tion, soit tou­jours aus­si pré­caire. Dans cette fou­lée, contra­dic­toire, le dis­cours accen­tue et insiste for­te­ment sur la valeur uti­li­taire — voire « uti­li­ta­riste » — de l’art. L’idée selon laquelle l’artiste doit rendre des comptes semble émer­ger de plus en plus dans la sphère politique.

Mais la mis­sion de l’art n’est pas réduc­tible à un coef­fi­cient de ren­ta­bi­li­té éco­no­mique. Elle est, à bien y réflé­chir, toute autre. L’art est essen­tiel à la san­té d’une socié­té. Il est l’imaginaire qui condi­tionne lar­ge­ment le deve­nir de celle-ci. Il ne pro­pose pas des réponses mais il sus­cite la fécon­di­té des ques­tions, il inter­pelle le citoyen et le pou­voir, l’invite à inter­ro­ger ses pris pour acquis.

L’art n’est donc pas une col­lec­tion de « pro­duits finis » ou de « solu­tions clé sur porte » des­ti­nés à diver­tir un public. Le sens qui habite l’expression artis­tique est de nous invi­ter à dépas­ser notre quo­ti­dien autant que nos cer­ti­tudes en tous genres.

Les poli­tiques sociales et cultu­relles se doivent de n’avoir aucun a prio­ri par rap­port à la réa­li­té mul­ti­forme de l’expression artis­tique. Seul le temps déci­de­ra de ce qui sera dura­ble­ment signi­fiant pour les géné­ra­tions futures.

Cer­tains, au fond très cohé­rents, nous répon­drons : « mais alors, qui peut déci­der de qui est artiste et qui ne l’est pas ?

À l’inverse de la loi de 2002 qui éta­blit ce qu’on appelle – du reste erro­né­ment — le « sta­tut social » de l’artiste, la régle­men­ta­tion du chô­mage a été l’objet d’une réforme que je qua­li­fie­rais de « caté­go­ri­sante » de l’activité artis­tique, mul­ti­pliant des dis­po­si­tions peu claires ou inco­hé­rentes, sujettes à des inter­pré­ta­tions tan­tôt exten­sives tan­tôt res­tric­tives au gré des humeurs ou des poli­tiques menées par les bureaux de chômage.

En cette période d’austérité bud­gé­taire, quoi de plus éton­nant que l’approximation juri­dique fut l’objet d’une remise « en état » par l’organisme cen­tral qui cha­peaute les dif­fé­rents bureaux de chômage ?

On ne s’étendra pas sur la contes­table et heu­reu­se­ment contes­tée cir­cu­laire, dite « inter­pré­ta­tive », du 6 octobre 2011 de l’Office Natio­nal de l’Emploi, mais l’incompréhension, le désar­roi et la colère du sec­teur artis­tique sont légi­times par rap­port à une admi­nis­tra­tion sociale tatillonne et arbi­traire sur une chose pour­tant fon­da­men­tale, celle de la sécu­ri­té d’existence de mil­liers d’artistes et d’intermittents du spectacle.

En revanche, on salue­ra l’avis una­nime des par­te­naires sociaux ren­du au Gou­ver­ne­ment le 17 juillet 2012. Comme je l’ai tou­jours défen­du au Par­le­ment, le Conseil Natio­nal du Tra­vail se pro­nonce aus­si et très clai­re­ment pour un « sta­tut social inté­gré de l’artiste ».

Il n’est pas ques­tion de slo­gans mais d’une obli­ga­tion de résul­tat car cet avis met au pied du mur les ministres « res­pon­sables » des dérives des admi­nis­tra­tions dont ils ont la tutelle.

Je ne veux pas conclure ce texte sans rap­pe­ler cette don­née très impor­tante ; l’activité artis­tique ne peut pas être défi­nie en droit, ce n’est pas son rôle, encore moins sa vocation.

Voi­là bien­tôt 20 ans que les cénacles poli­tiques sont confron­tés à cette injonc­tion de s’accorder sur une définition.

Pour les y aider, je les encou­rage à tra­vailler dans un état d’esprit proche de ce à quoi devrait res­sem­bler leur débat : ouvert.

Reste à savoir si le « visa pro­fes­sion­nel » qui sera déli­vré à l’artiste qui sou­haite rele­ver de la pro­tec­tion sociale des tra­vailleurs sala­riés res­pec­te­ra des cri­tères de jus­tice et de confor­mi­té avec la juris­pru­dence de la « Com­mis­sion artistes ».

Ce ques­tion sera, ces pro­chains mois, au cœur de mon combat.



Özlem Özen est Députée fédérale au sein du groupe PS