Ahmed Laaouej

Harmoniser fiscalement et socialement l’Europe

 Amhed Laaouej

Ahmed Laaouej est séna­teur du Par­ti Socia­liste et spé­cia­liste des ques­tions de fis­ca­li­té. C’est à ce titre que nous lui avons deman­dé son sen­ti­ment sur les pro­po­si­tions du Col­lec­tif Roosevelt.

Quelle appréciation portes-tu sur l’initiative Collectif Roosevelt qui veut construire une alternative au capitalisme mondialisé dominant aujourd’hui ?

Le « Col­lec­tif Roo­se­velt » est une ini­tia­tive d’une grande impor­tance. Il se dis­tingue par une capa­ci­té de pro­po­si­tions concrètes, sou­te­nues par des ana­lyses qui ne le sont pas moins. L’indignation est bien sûr utile et néces­saire, mais pour être opé­rante elle doit appor­ter des solu­tions pré­cises aux pro­blèmes qui agitent le débat public et poli­tique. Les par­tis poli­tiques pro­gres­sistes et les orga­ni­sa­tions de tra­vailleurs ont cette capa­ci­té de pro­po­si­tions. On leur repro­che­ra cepen­dant tou­jours d’être de par­ti pris, contrai­re­ment aux mul­tiples think thank qui sous cou­vert de neu­tra­li­té dis­til­lent dans les médias des recettes libé­rales ou néo-libérales.

Que le « Col­lec­tif Roo­se­velt » existe montre qu’une autre voie est pos­sible, que la marche triom­phante du capi­ta­lisme mon­dia­li­sé (ou du moins qui se veut triom­phante) n’est pas une fata­li­té. Mais pour cela, il faut pen­ser et pro­po­ser. C’est ce que fait le « Col­lec­tif Roo­se­velt » en appor­tant des pro­po­si­tions concrètes en matière de dette publique, de para­dis fis­caux, de fis­ca­li­té, d’emploi, de lutte contre la pau­vre­té, de réforme du sys­tème finan­cier pour ne citer que quelques exemples.

Parmi les propositions du Collectif, la réforme de l’architecture institutionnelle de l’Union Européenne est essentielle. Y a‑t-il un chemin qui peut conduire un jour à une harmonisation fiscale et sociale ?

La ques­tion de l’harmonisation fis­cale et sociale est exem­pla­tive du défi­cit de la construc­tion euro­péenne. Ne tour­nons pas autour du pot : nous avons créé une grande zone de libre échange entre Etats déré­gu­lée du point de vue fis­cal et social (pour le fis­cal on concé­de­ra une excep­tion pour la fis­ca­li­té indi­recte, TVA plus par­ti­cu­liè­re­ment). Il est conster­nant d’observer qu’aujourd’hui à l’intérieur de l’Union euro­péenne, le dum­ping fis­cal et social est la règle. Les Etats euro­péens se siphonnent leurs éco­no­mies res­pec­tives par des pra­tiques fis­cales et sociales qui n’ont rien de com­mun. Je ne tour­ne­rai pas autour du pot : l’Union euro­péenne est aujourd’hui un mar­ché de dupes sauf pour la cir­cu­la­tion des capitaux.

Ajou­tez à cela une union doua­nière qui défend très mal nos tra­vailleurs et nos entre­prises contre le dum­ping fis­cal, social et envi­ron­ne­men­tal du reste du monde et vous com­pre­nez assez rapi­de­ment d’où viennent nos maux éco­no­miques et sociaux.

Mais il n’y a pas que la fis­ca­li­té, les lois sociales ou le droit du tra­vail : il y a aus­si les pra­tiques sala­riales qui varient d’un pays à l’autre et qui assurent une « concur­rence » désas­treuse entre États.

À cela, les forces poli­tiques de droite crient en chœur qu’il nous faut nous adap­ter à la concur­rence mon­diale, com­pre­nez réduc­tions d’impôts, détri­co­tage de la sécu­ri­té sociale et baisses de salaires… Seul un chan­ge­ment radi­cal d’option poli­tique au niveau euro­péen nous per­met­tra d’éviter que l’Europe ne soit l’éteignoir de nos modèles sociaux. Une vic­toire de la gauche en 2014 per­met­trait peut-être d’inverser la ten­dance. Pour cela, il nous fau­dra expli­quer, par­tout en Europe, qu’aujourd’hui l’Europe ne pro­tège pas les tra­vailleurs et que c’est à eux de faire un choix déci­sif pour une autre Europe. Mais pour l’instant, en ce com­pris au Par­le­ment euro­péen, l’Europe penche à droite.

À ce niveau, l’harmonisation fis­cale et sociale est un bien sûr une néces­si­té pour les rap­ports intra-euro­péens, mais il faut bien plus en par­ti­cu­lier sur le plan des pra­tiques sala­riales et du droit du travail.

Comment évolue le projet de séparation des banques de dépôt des banques d’affaires dans notre pays ?

Le Gou­ver­ne­ment a char­gé la Banque natio­nale (BNB) de lui four­nir un rap­port avant la fin de l’année, pour avan­cer sur la sépa­ra­tion des métiers ban­caires, en tenant compte de l’évolution des tra­vaux au niveau euro­péen. Le Com­mis­saire Bar­nier sur base du rap­port Lii­ka­nen devrait for­mu­ler une pro­po­si­tion à la ren­trée 2013.

À ce stade en tout cas, le Gou­ver­ne­ment belge reste fidèle à l’accord de gou­ver­ne­ment : la sépa­ra­tion des banques de dépôt et des banques d’affaires devra s’opérer.

De nom­breux rap­ports (Vol­cker, Vickers, Lii­ka­nen) – ce qui embrouille un peu le débat – ont mon­tré qu’il y avait plu­sieurs approches pour y arri­ver : le can­ton­ne­ment, la sépa­ra­tion juri­di­co-éco­no­mique stricte, l’interdiction de faire de la spé­cu­la­tion pour compte propre, etc…

Le rap­port Lii­ka­nen, qui est la pièce cen­trale pour les débats à venir, pro­pose que la sépa­ra­tion ne soit obli­ga­toire que lorsque les acti­vi­tés de tra­ding atteignent un cer­tain seuil, abso­lu ou rela­tif (par rap­port à l’ac­ti­vi­té de la banque). Nous ver­rons ce que pro­pose la Com­mis­sion. Mais il est temps d’atterrir, même si on peut com­prendre qu’il s’agit là d’une réforme struc­tu­relle de grande ampleur qui ne doit pas s’improviser. Je consi­dère pour ma part, que l’on com­met­trait une erreur en auto­ri­sant encore les banques de dépôt à faire de la spé­cu­la­tion pour compte propre.

La prio­ri­té est bien sûr de « sanc­tua­ri­ser » l’épargne et d’éviter que l’économie réelle ne soit conta­mi­née par les dérives de la spéculation.

Par quelles mesures peut-on envisager un rééquilibrage entre la fiscalité pesant sur le travail et celle pesant sur le capital ?

C’est un vaste sujet ! Pour aller à l’essentiel, il faut d’abord élar­gir l’assiette de la fis­ca­li­té à des reve­nus finan­ciers qui y échappent ou qui n’y sont sou­mis que de manière très mar­gi­nale : les plus-values sur actions réa­li­sées par les par­ti­cu­liers, les stocks options (qui sont fis­ca­li­sés mais de manière for­fai­taire et sans tenir compte de l’enrichissement réel), etc…

Le gou­ver­ne­ment a pris des mesures qui vont dans ce sens, en rehaus­sant le pré­compte mobi­lier appli­cable aux reve­nus finan­ciers, en fis­ca­li­sant pour par­tie les plus-values réa­li­sées par les socié­tés, en rele­vant le taux de la taxe sur les opé­ra­tions de bourse, etc…

Lorsque l’on parle de la fis­ca­li­té sur le capi­tal, on parle aus­si de l’impôt des socié­tés dont on voit bien aujourd’hui qu’il est ban­cal : les PME, qui ont peu d’échappatoires, paient en géné­ral le tarif plein contrai­re­ment aux très grandes socié­tés qui font le plein de déduc­tion et qui sont friandes de pla­ni­fi­ca­tion fis­cale (aux limites par­fois de la léga­li­té). Il y a là aus­si un rééqui­li­brage à faire, notam­ment en recy­clant com­plè­te­ment les inté­rêts notion­nels. Il nous faut un pacte éco­no­mique et fis­cal avec le monde de l’entreprise afin de sou­te­nir l’investissement pro­duc­tif et l’emploi, dans un cadre inté­grant le déve­lop­pe­ment durable.

Enfin, je suis favo­rable à un impôt de soli­da­ri­té sur les plus grands patri­moines (en dehors de la mai­son d’habitation et du patri­moine affec­té à une acti­vi­té professionnelle).

La publication par un collectif international de journalistes des paradis fiscaux peut-elle aider le politique à les combattre plus efficacement ?

Oui, c’est bien sûr très utile poli­ti­que­ment pour ame­ner les récal­ci­trants, ceux qui font obs­truc­tion à la lutte contre la fraude fis­cale, à prendre atti­tude. Ce n’est pas une sur­prise, on connaît depuis long­temps l’effet nocif des para­dis fis­caux et ban­caires pour nos finances publiques. L’ « off-shore leaks » aura per­mis d’informer l’opinion publique sur l’ampleur du phénomène.

Il appar­tient main­te­nant aux Ministres en charge de réagir et de prendre les mesures néces­saires. Ce sera au cœur de mon tra­vail par­le­men­taire, dans les jours à venir, de veiller à ce que le souf­flé ne retombe pas !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

code