Connaissez-vous aussi bien le français que vous le mettez en scène ?
Et bien franchement, quand je suis sur scène, je commence à parler comme un Flamand et je parle un peu le français, mon français à moi. C’est ce personnage que je joue sur scène. Si on vient en Wallonie avec ce spectacle qui s’appelle « La Flandre pour les Nuls », on est déjà assez dikkenek comme on dit à Bruxelles, alors je dois jouer l’underdog comme on dit en anglais : un mec très simple avec des vêtements comme ceux que je porte, un mec célibataire, un peu triste.
En général, les Flamands ont-ils le sens de l’autodérision, le sens du second degré ?
C’est un point que les Flamands et les Wallons ont en commun. Je joue aussi aux Pays-Bas, et là c’est autre chose, et tout le monde le sait en France on parle encore d’autre chose. Je dis toujours, en France n’importe quelle ville ou quel village, des rues ou des places portent des noms comme : place de la République, rue du Maréchal, rue du Général de Gaulle, rue du Général Leclerc. Chez nous, en Flandre et en Wallonie, les lieux principaux c’est soit la rue de l’Église ou la Grand Place, nous sommes très attachés à notre ville, notre village, nous ne sommes pas très nationalistes finalement. Nous pouvons rire avec nous-mêmes, nous moquer de nous-mêmes. Mais les Wallons ont cette particularité encore un petit peu plus que les Flamands. Les Wallons sont aussi un tout petit peu plus absurdes dans leur humour, dans l’art. On connaît aussi l’absurdité en Flandre mais avec une petite différence.
Nous pouvons rire et nous moquer de nous-mêmes. Quant au second degré, je l’utilise mais avec une différence. Pour le moment, c’est le stand-up qui cartonne en Flandre, les jeux de mots joués à la façon de Bruno Coppens, ça n’y existe pas. Les Belges sont fort impressionnés par quelqu’un qui maitrise parfaitement sa langue. Je pense que c’est là l’explication, les Belges francophones ont peur de parler une autre langue que ce soit le néerlandais ou l’anglais, qu’importe. Il y a des gens qui me disent : « Je vais faire des fautes, je vais passer pour un con ».
Chez nous en Flandre, on n’est pas vraiment impressionné par quelqu’un qui parle très bien sa langue. Alors, on ‘’tire son plan’’ comme on dit chez nous, on parle comme on peut le français ou l’anglais. Les Belges vont passer leurs vacances en France parce que là-bas on parle français, personnellement je vais n’importe où et puis on verra bien. C’est parce que les Flamands n’ont pas ce respect pour la langue comme les Français. Comme je le dis sur scène, les Flamands (pas tous bien sûr) parlent moins bien le néerlandais que les Belges francophones parlent leur français. Parfois on exagère cela aussi du côté francophone « les Flamands ne se comprennent pas entre eux, ils parlent le flamand et pas le néerlandais » ce qui n’est pas le cas évidemment. Aujourd’hui j’ai joué à Anvers à la fois pour un public hollandais et flamand, et bien sûr les hollandais me comprenaient parfaitement même s’il existe des différences.
Cela fait un petit moment que vous jouez le spectacle, vous avez commencé par le jouer en Flandre ou directement en Wallonie ?
La première fois que j’étais sur scène, il y a déjà trente ans, j’ai commencé seul sur scène en Flandre en 1990. J’ai commencé le stand-up avec d’autres gens en 1997, et seul sur scène en Flandre et aux Pays-Bas en 2002. J’ai commencé à Tournai en français en 2008 dans la salle « la Fenêtre ».
C’est plutôt un spectacle qui détend les gens et rit de la situation telle qu’on la vit aujourd’hui.
Oui, ils ont besoin de rire ensemble, les néerlandophones et les francophones ensemble. Et c’est marrant, les gens s’amusent au même moment, avec les mêmes blagues sur l’actualité. Comme quoi on a quand même des choses en commun sinon on ne pourrait partager une sorte d’humour belge.
Quelles sont, selon vous, les différences marquantes de comportement, de pratiques culturelles entre les Flamands et les Wallons ?
Les Belges francophones sont culturellement fixés sur la France, du point de vue de la culture populaire, les films, la télé. La Flandre n’a plus besoin de ça. Il y a 25 ans les télés hollandaises étaient présentes à 36 % et ça a complètement disparu aujourd’hui. Maintenant, nous avons douze chaines de télé en Flandre. Dans l’humour aussi, du côté francophone, on a les revues, les imitations, les déguisements comme « Sois belge et tais-toi », cela a complètement disparu chez nous et a été remplacé par le stand-up.
Lors de votre spectacle vous considérez-vous comme le réunificateur belge ?
En tout cas, cela n’a jamais été le but, mais depuis les querelles politiques je suis sollicité pour des interviews de tous côtés. Il y a ce fossé dans les médias et du côté francophone, on ne sait pas que les Flamands possèdent cette autodérision ni qu’on sait se moquer de la NVA aussi en Flandre. Tout comme chez nous, on ne sait pas que les humoristes francophones comme André Lamy se moquent chaque jour sur RTL des personnalités politiques francophones. En tant que Flamand, je fais des spectacles dans le français qui est le mien, et ça parait complètement nouveau pour les Belges francophones : « Ah bon, on se moque de Bart De Wever et Yves Leterme en Flandre ? ». Voilà en partie pourquoi les gens viennent voir le spectacle. On n’a jamais vu des humoristes flamands à la télé francophone, on a eu Stéphane Steeman à l’époque qui faisait semblant d’être un flamand bruxellois mais c’était un francophone. Quand j’ai participé au concours de Rochefort, aux présélections le jury croyait que j’étais un wallon qui faisait semblant d’être flamand. On me disait que j’imitais très bien l’accent flamand.
Et finalement c’est cela qui fait votre notoriété au nord comme au sud ?
Oui, mais également parce que je suis un humoriste qui donne son opinion, à la télé ou à la radio et les gens, surtout du côté francophone, savent que je ne suis pas un politicien flamand et que je n’ai rien à vendre. Je ne suis pas impartial, je ne suis pas neutre, j’ai mes opinions à moi et il y a des gens en Flandre qui pensent que je suis une sorte de « Flamand de service » et que ça cartonne en Wallonie car je me moque d’eux mais ce n’est pas le cas. A la vérité, je me moque d’abord de moi-même et après des Flamands, des Wallons, des Bruxellois, des Hollandais comme de Leterme ou Di Rupo, Milquet, Daerden ou la famille royale, de n’importe qui.
Que fait-on des Bruxellois dans une Belgique séparatiste ?
Heureusement qu’on a encore les Bruxellois ! (Rires). Vous savez il y a des gens qui disent que c’est à Bruxelles que les problèmes prennent leur source, enfin ailleurs aussi comme à Flobecq… mais fort heureusement à Fourons ça va assez bien par rapport aux années 70. Bruxelles pourrait aussi donner beaucoup d’opportunités, on a eu cette émission à la télé flamande « de school van Lukaku » qui est dans une école flamande à Anderlecht et on y voyait des jeunes qui parlaient arabe ou le turc à la maison, le français dans les rues et le néerlandais à l’école et je pense que c’est une solution pour la Belgique. On ne doit pas être parfaitement bilingue mais c’est très intéressant que tout le monde possède cette connaissance que chacun puisse parler sa propre langue. Je suis très content qu’il y ait ces écoles d’immersion comme ici à Frasnes et d’autres à Ottignies, je pense que c’est vraiment une solution. Mon enfant est en pensionnat à Malines, il est avec des enfants francophones de Wallonie, de Wavre ou de Namur qui sont là pour apprendre le néerlandais. Il y a des gens qui disent qu’il faut d’abord apprendre l’anglais mais je n’en suis pas convaincu, si la Flandre était indépendante qui seraient nos voisins proches ?
Vous avez déjà joué le spectacle devant des hommes politiques ?
Bart De Wever est venu en 2009, à Watermael-Boitsfort. Des collaborateurs francophones disaient « Bart De Wever va venir, est-ce qu’on peut entrer ? », réponse : « ben oui » ; « est-ce que c’est un ami à toi ? », réponse : « ben non ». Mais il est gentil, il est venu, c’était une petite salle et pendant le spectacle je disais « C’est Bart De Wever, c’est marrant : on a l’impression qu’il a des sosies partout parce qu’on le voit partout ». Mais c’est un mec très sympa et quand il est dans une salle de théâtre en Flandre. Après le spectacle, il paie un verre à tout le monde, et tout le monde applaudit. Après j’ai encore parlé avec lui et il avouait être un peu déçu de ne pas vraiment être présent dans le spectacle. Et je lui ai répondu qu’il n’était pas aussi important que ça… (rires) mais c’était bien avant les élections, depuis les choses ont bien changé.
Dans votre spectacle, vous parlez le wallon, on est surpris !
C’est un de mes amis, un humoriste wallon, Dominique Watrin de Binche, qui me l’a appris. Je l’ai écrit en français et lui l’a traduit et enregistré. D’autre part j’ai la chance d’avoir Bruno Coppens comme conseiller artistique. J’avais besoin de quelqu’un car on peut traduire un spectacle avec des dictionnaires et s’aider d’un ordinateur, mais après on doit aussi se plonger dans la culture. Je peux lire des mots dans un dictionnaire mais je n’y trouve pas les subtilités. Par exemple, je ne connais pas la différence entre « on s’en fiche » et « on s’en fout », voilà en quoi Bruno était très important. C’est lui qui me disait d’adapter ceci ou modifier cela.
Finalement, vous pouvez parler de choses graves tout en plaisantant, c’est quelque chose qui marche bien en général ?
Parfois, c’est un peu plus délicat, par exemple les blagues sur la famille royale. Quand je joue à Bruxelles, les gens, surtout un peu plus âgés, sont plus sensibles. Alors que quand je joue à Seraing ou à Alleur ça passe très bien. Les mêmes blagues en Flandre paraissent beaucoup moins fortes, moins sujettes à réaction.
À la RTBF radio, j’ai dit à Olivier Maingain qu’on avait beaucoup de choses en commun, ma mère est d’Alost comme la vôtre et vous êtes un demi-flamand… Il a répondu que oui et il a même dit « ja, ik ben van Aalst » ! J’ai réussi à faire parler Olivier Maingain en flamand à la radio francophone !
Bio, actualité et extraits de ses spectacles : www.kruismans.com