Dans votre livre, vous écrivez que si la tendance actuelle se confirme, il n’est pas exclu que le Vlaams Belang devienne électoralement le premier parti de Flandre. Et il n’est pas non plus exclu que le VB et la N‑VA puissent atteindre ensemble une majorité absolue, peut-être pas en pourcentage, mais certainement en sièges. Si la N‑Va et le VB obtenaient ensemble une majorité absolue, revendiqueraient-ils l’indépendance de la Flandre en 2024 ? Et, alors qu’il n’a jamais été démontré qu’une majorité des Flamand·es soit favorable à l’indépendance, irions-nous vers le confédéralisme tant attendu par la N‑VA ?
Vincent Scheltiens c’est un scénario possible, mais pas certain du tout. Tout dépendra en fait de la N‑VA, car en Flandre, depuis le début des années 90, tous les partis politiques démocratiques se sont mis d’accord pour installer un cordon sanitaire contre le Vlaams Blok devenu Vlaams Belang.
La N‑VA n’existait pas au moment où ce cordon sanitaire a été décidé, il y avait la Volksunie qui elle, le soutenait. La N‑VA qui s’est formée beaucoup plus tard a par contre toujours refusé d’y souscrire. Dès lors que va-t-elle faire ? Ce qui est certain, c’est que la N‑VA aimerait beaucoup continuer à diriger le gouvernement flamand. On connait leur souhait depuis l’été 2020 : celui, contre toutes attentes, de gouverner avec le Parti socialiste, mais dans une optique confédéraliste. Cela étant, au sein de la NVA, il existe aussi un grand nombre des militants, de cadres et de dirigeants qui soutiennent une coalition avec le VB. Comme le dit si bien Bart De Wever, président de la N‑VA, il n’existe pas de Muraille de Chine entre son parti et le VB.
Il n’y a pas, en effet, de Muraille de Chine historiquement parlant puisqu’il il existe des affinités interpersonnelles : ils ont été ensemble dans une certaine mouvance sociale, aux tendances racistes. Mais certains membres ne sont pas en faveur d’une alliance avec le VB. En effet, s’allier avec l’extrême droite en Flandre, cela ne donne pas une belle image de marque au niveau européen. Actuellement déjà, dans les médias anglais et français, la N‑VA est perçue comme un parti d’extrême droite.
A vrai dire, le doute reste de mise car en 2024, il y aura aussi les élections communales. Or, on constate que dans bon nombre de communes où culminent le racisme, des bourgmestres opportunistes se profilent dans le sillon du VB. Si bien qu’il y aura probablement beaucoup de communes où le VB remportera le plus grand nombre de voix aux communales et aura donc la main pour former une coalition.
Aujourd’hui, Bart De Wever affirme qu’il préfère quitter la politique que se coaliser avec le VB. Pourtant au terme du scrutin des élections précédentes, il avait négocié pendant des semaines avec eux pour former un gouvernement flamand. Difficile de dire quel Bart De Wever aurons-nous en 2024 ?
Bruno Verlaeckt En réalité, il s’agit d’un vieux rêve : celui de former une grande coalition VB et N‑VA, la soi-disante « Forza Flandria ». C’était déjà le rêve de Filip Dewinter qui espérait tellement cette grande coalition qu’il était prêt à se retirer de la politique, si jamais sa présence devait constituer un obstacle pour sa création. Vrai fasciste et perçu comme un hard-liner (un partisan de la ligne dure), il a toujours agi comme un repoussoir à une alliance. Bart De Wever a ainsi affirmé à plusieurs reprises qu’il ne formerait jamais un gouvernement avec un tel personnage.
En fait, actuellement, on assiste à un positionnement schizophrénique de la part du VB. D’une part, ils veulent se présenter tel un parti normal, décent, démocratique. A la fois pour convaincre de la pertinence d’une alliance non seulement Bart De Wever mais aussi la partie de la N‑VA moins extrémiste, ceux et celles qui sont économiquement conservateurs-trices et de droite, mais qui restent fidèles à eux-mêmes au niveau éthique et moral. On reconnait ce style veston-cravate pour montrer une image normale et d’une Flandre gentille dans le show de Tom Van Grieken et compagnie. Mais dans le même temps, le VB doit aussi conserver leur électorat d’extrême droite. On voit alors sortir du bois des figures comme Anke Vandermeersch et Sam Van Rooy pour continuer de convaincre les vrais fascistes.
Rappelons quand même que cette coalition extrême droite — droite extrême Forza Flandria a été à deux doigts de se réaliser à Ninove. La situation est donc à surveiller de près…
L’historien britannique Stuart Woolf indiquait à la fin des années 60 que nous devrions bannir de notre vocabulaire le terme « fasciste », utilisé à tort et à travers. Qu’est-ce qui le confortait dans cette idée ? Dès lors comment faudrait-il qualifier les actes antidémocratiques ?
VS Je crois que Stuart Woolf a écrit cela car il craignait une banalisation du terme fasciste. Je crois que, historiquement, le fascisme se déroule dans les années 1920 et 1930. A cette époque, Il était déjà compliqué pour les historiens de bien définir et distinguer ce qui relevait du fascisme, car il existait en même temps d’autres tendances dans la droite extrême.
Dans le contexte actuel, quand on utilise trop vite ce terme de « fascisme », on risque de donner l’impression que l’histoire se répète. Même si ça fait du bien d’appeler les gens « sales fascistes », il faut quand même garder en tête que les temps ont changés.
Dans les années 1920 et 30, les fascistes, que ce soit en Italie ou en Allemagne pouvaient être une force qui se développait de façon autonome. Très tôt le grand capital s’invitait dans le combat contre le mouvement ouvrier. Poursuivant le but de changer les rapports de force de façon qualitative au détriment malheureusement du monde du travail, au profit des entrepreneurs. Mais on ne peut pas dire aujourd’hui, comme on disait dans les années 1920 – 30, que le grand capital opte pour le fascisme dans le but de sauver son taux de profit ! Aujourd’hui il n’en a pas besoin. Notamment parce qu’on n’opère plus dans le cadre de l’État nation, mais dans un cadre européen qui, pour réussir, doit montrer a minima une vitrine démocratique ouverte et solidaire.
On voit se développer ce mouvement d’extrême droite souvent actif au sein du Parlement européen. On pourrait utiliser le terme de « fascisme actuel ». Le problème est que si on menait une campagne aujourd’hui en se positionnant contre le fascisme actuel, il y aurait beaucoup d’alliés potentiels qui refuseraient de participer car ils ne sont pas d’accord avec cette appellation. Il faut que le mouvement ouvrier soit au centre de ce combat car tôt ou tard, il sera la première victime de l’extrême droite. Il doit s’organiser et avoir des alliances plus larges au sein de la démocratie.
BV Le patronat ou le grand capital n’a pas inventé ou instrumentalisé l’extrême droite contre le monde ouvrier ces dernières décennies.
Pourtant ils profitent du discours identitaire qui distrait et éloigne la classe ouvrière de sa conscience de classe. Et ça me gêne qu’aujourd’hui le thème ou le discours identitaire supprime le discours de conscience de classe. Ce n’est peut-être pas le but poursuivi, mais c’est à cela que ça aboutit.
VS Il faut noter par ailleurs qu’on ne peut jamais connaitre le destin des formations qui se construisent actuellement. Ainsi les anciens néofascistes italiens de la MSI se sont redonnés un nouveau nom et ont fait alliance avec Berlusconi. Ils ont participé à plusieurs pôles politiques berlusconiens et puis ils se sont dissouts. Un autre exemple, c’est Aube dorée en Grèce. En 2015, c’est un parti qui arrive troisième aux élections ! Mais c’est une force qui retombe très vite car elle est engluée dans des pratiques typiquement néofascistes : bandes armées qui chassent les réfugiés, tabassage et assassinat d’opposants, ils étaient corrompus etc. Elle est maintenant dissoute car jugée comme organisation criminelle et leurs dirigeants emprisonnés. Là, on peut parler de néofascisme. Et il y a certainement des groupuscules néofascistes qui se réfèrent ouvertement à l’époque des années 20 et 30. Nous les avons d’ailleurs en Flandre aussi. Ils sont dangereux et deviennent de plus en plus arrogants et s’organisent de plus en plus et avancent tout en se « normalisant » aux yeux de l’opinion publique. On a eu récemment encore l’exemple avec ce militaire d’extrême droite, Jurgen Conings, qui avait volé des armes de guerre et menacé ouvertement de mort un virologue. L’endroit où Jurgen Conings a été retrouvé mort est devenu un espèce de lieu de pèlerinage où sont été affichés des symboles fachos très apparents, et où des membres de ces groupuscules se relaient pour monter la garde. C’est intolérable, et dénote de l’aisance actuelle et l’ambiance de succès dans lesquelles évoluent aujourd’hui ces groupes. Assistera-t-on à un remake du fascisme de la fin du 20e siècle ? Ce n’est pas à exclure, mais avec certainement des différences.
Tôt ou tard le mouvement ouvrier sera visé, que ce soit par des fascistes, par des mouvements d’extrême droite ou de la droite extrême c’est-à-dire par la N‑VA. Ce sont toujours les acquis sociaux et les acquis démocratiques qui sont en ligne de mire.
Une dernière chose, ne nous focalisons pas trop vite sur le fascisme. Il y a d’autres phénomènes qui ne sont pas fascistes en tant que tels, mais qui sont très préoccupants. Ainsi en Hongrie, en Pologne et dans certaines communautés autonomes en Espagne où la droite conservatrice du parti populaire est soutenue de l’extérieur par Vox. Ces endroits deviennent des régimes « illibéraux » qui attaquent les libertés, les universitaires, les syndicats, les journalistes sans qu’ils soient fascistes pour autant. On peut faire le parallèle avec les années 20 et 30 où des conservateurs d’extrême droite ont été approchés par les fascistes qui eux-mêmes s’attaquaient aux acquis et au mouvement d’émancipation. C’est un peu plus complexe que de simplement accuser de crypto-fascisme ou le fascisto-fascisme. Je me demande d’ailleurs si ce terme parle aux jeunes générations aujourd’hui. Si cela produit un effet.
L’extrême droite n’a pas cessé d’exister dans l’Europe de l’Après-guerre. Et elle a été peu réprimée. Vous dites de ce passé, du sommet des horreurs qu’elle a produites, que rien n’a été fait, ni même dit. Qu’entendez-vous par là ?
VS En effet, en Allemagne, en 1946, un nouveau parti néo-nazi est créé et il participe assez vite aux élections. Il n’y a pas eu de dénazification radicale après la Deuxième Guerre mondiale. Même chose en Autriche ou en Flandre. On considérait qu’il s’agissait de pauvres idéalistes qui se sont un peu trompés, mais qui partaient d’une bonne intention… Le vainqueur de la Deuxième Guerre mondiale avait très vite perçu une menace qu’il estimait plus dangereuse : le communisme. Dans ce cadre, les anciens fascistes et nazis sont devenus très utiles en tant qu’experts pour combattre le communisme. Et pas uniquement au niveau des services des renseignements, mais également dans la police ou la magistrature. D’ailleurs beaucoup de fonctionnaires sont restés en place.
Le comble du comble, c’est l’Espagne post-franquiste avec la loi d’amnistie de 1977 : elle vise à amnistier les victimes de la répression franquiste mais elle amnistie aussi les auteurs de la répression et de crimes contre l’humanité. Tout l’establishment espagnol tient à cet accord et n’a fait aucun pas envers les victimes de la guerre civile, et de quasi quatre décennies de dictature franquiste.
BV En Flandre, cet esprit de collaboration a survécu politiquement après la Deuxième Guerre mondiale. Il s’est incarné d’abord dans la Volksunie puis le Vlaams Blok et enfin le Vlaams Belang.
VS Les recherches d’historien·nes sur la collaboration en Wallonie ont montré qu’il n’y a eu aucun collaborateurs wallons qui ait osé revendiquer cet héritage et défendre ce qu’il s’était passé. Le mot d’ordre du mouvement wallon, c’était au contraire de s’inscrire dans l’idée, quitte à enjoliver un peu les faits, que toute la Wallonie était dans la résistance antifasciste.
En Flandre, c’est l’inverse. Le CVP (Parti chrétien flamand) de l’époque avait remarqué qu’il y avait dans la foule des collaborateurs et leurs familles un bassin de plus au moins 100.000 voix. Ils ont donc pris par opportunisme électoral des collabos sur leur liste ainsi que dans les rédactions de leurs journaux. On a aussi largement refoulé le fait que la Flandre a eu une forte activité de résistance clandestine menée tant par les communistes que par des socialistes et même des libéraux flamands dans le front d’indépendance ainsi que d’autres groupes plutôt, disons bourgeois.
BV Dans la presse flamande, les collaborateurs ont été représentés comme des martyrs, des victimes de la répression de la résistance dans l’immédiat après-guerre : les résistants devenant même des bourreaux ! C’était là, la grande différence avec la Wallonie qui ne possédait pas autant de presses catholiques qu’en Flandre.
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est Schild & Vrienden, ce réseau délétère, très actif en ligne ? C’est l’alt-right néofasciste de la Flandre ? Mène-t-il une forme de guerre culturelle ou cherche-t-il à conquérir une hégémonie idéologique ? Veut-t-il repousser les limites du verbalement tolérable ? Comment expliquer la banalisation des actes et idées de ce groupuscule ?
VS C’est un peu tout ça à la fois. Les réseaux sociaux sont leur autoroute de prédilection. Il mène effectivement une guerre que l’on peut cataloguer de culturelle. D’ailleurs c’est un peu comique, ils utilisent l’expression anglaise Culture War (Guerre culturelle). Si vous vous rendez sur les sites d’extrême droite flamande, il y a une rubrique intitulée « Culture Wars ». On y trouve des commentaires sur les gens de gauche au sein des institutions, des universités et des médias voués à leur cause. Avant cette situation-ci, la Flandre c’était « l’Etat-CVP » donc ce n’était pas la gauche, elle n’a jamais été dominante en Flandre. C’était en même temps, une lutte de l’hégémonie, très connue dans la partie francophone du pays. C’est là toute l’idée de la nouvelle droite qui puise quelques inspirations chez Antonio Gramsci sur la façon d’obtenir l’hégémonie culturelle. Le VB et Schild & Vrienden en jouent.
BV Il y a quelques semaines, au début de l’année scolaire Tom Van Grieken a invité sur le réseau social numérique TikTok des élèves pour qu’ils dénoncent les professeurs qui exprimaient des idées de gauche ou qu’ils accusent de fausser les cours d’histoire. Le fait qu’un fasciste invite des élèves à dénoncer leur prof n’a suscité en Flandre aucune réaction, ni d’un parti politique, ni des syndicats d’enseignant·es…
VS Et dans le même temps, les Vlaams Belang Jongeren (les jeunes du VB) ont lancé une campagne pour inciter les élèves à filmer leur prof au GSM en classe lorsque ceux-ci diraient supposément un truc de gauche et à mettre ces vidéos en ligne sur un site web spécialement dédié. Il s’agit pour quelqu’un comme Tom Van Grieken de dénoncer ce qu’il nomme la « propagande pour la société multiculturelle ».
Dénoncer vos professeurs de gauche, c’est exactement la même campagne que Filip Dewinter avait lancé en 1989 ! Il y a une vraie continuité dans l’usage de ces méthodes de fachos.
L’extrême droite est dangereuse et elle pointe le bout de son nez tout près du pouvoir en Flandre en 2024 et les médias flamands leur pavent la voie en normalisant leur parole. Il faut se rendre compte qu’il n’y a jamais de condamnation de la part de la presse flamande et des chaines publiques, rien de rien. Il n’y a pas eu de débat contradictoire sur les plateaux TV et Van Grieken peut y dérouler son argumentaire sans être interrompu. Appeler à dénoncer des professeurs de gauche, et s’attaquer à la société multiculturelle, ou à l’homosexualité ne pose aucun problème. C’est effrayant.
Dans notre livre, nous invitons à réfléchir à l’idée de réinstaurer un cordon sanitaire médiatique comme en Wallonie où les médias réagissent assez vite aux propositions antidémocratiques faites par des élus. En Flandre, contrairement à la Wallonie, ils sont présents au sein des instances, dans les conseils d’administration de la VRT. Si les médias ne répercutent pas leurs idées, ils disent que vous excluez un parti de près d’un million d’électeurs. Cette façon de voir les choses, c’est considérer la démocratie comme un calcul mathématique. Hitler avait aussi des voix en janvier 1933, il en avait un peu plus que le KPD, le parti communiste allemand.
Justement, vous écrivez : « Que le cordon sanitaire et médiatique tienne ou non en Flandre, après les élections de 2024, les partis d’extrême droite d’aujourd’hui doivent être considérés comme des phénomènes contemporains déterminés par une conjoncture propre au 21e siècle ». Pour mettre en évidence l’hétérogénéité de l’extrême droite actuelle et pour souligner sa différence d’avec le néofascisme, certains analystes parlent de « postfascisme ». Ce terme pourrait-il induire l’idée que le fascisme est définitivement derrière nous ? Est-ce que le fait qu’il aspire au pouvoir par le biais d’élections et adhère à la démocratie parlementaire joue un rôle important ?
VS C’est évident. Ce n’est pas quelque chose de nouveau car dans les années 20 et 30, ces partis d’extrême droite se présentaient aussi à des élections et obtenaient des élus. Aujourd’hui, quand on voit par exemple le Rassemblement national en France, le Vlaams Belang en Flandre, l’AFD en Allemagne, la stratégie est en revanche purement électorale.
Il y a un exemple qu’on a déjà plusieurs fois évoqué, vous vous souvenez sans doute des partisans de Trump qui ont envahis le Capitole. Supposez par exemple qu’en 2024, le VB gagne les élections en Flandre, comme les sondages semblent le prédire, et que le cordon sanitaire reste d’application. Si personne ne veut s’allier avec le Vlaams Belang, Tom Van Grieken ou un autre pourrait dire : voilà, ce n’est pas la démocratie, nous avons gagné et eux, ils ont saboté les élections et nous ont volé notre victoire. Si le VB appelait dès lors à aller manifester devant le Parlement, qui sait ce qu’il se passerait ? Cela pourrait entraîner des violences. Ils commencent d’ailleurs à préparer les esprits. Cela s’est déjà produit juste après la formation du gouvernement Vivaldi : une caravane de voitures a défilé pour dénoncer un gouvernement non représentatif des Flamands qui avaient largement voté pour le VB et la N‑VA.
L’extrême droite ne semble pas jusqu’ici percer en Wallonie, Quelle est sa tactique face au mot d’ordre « le fascisme s’écrase dans l’œuf » ?
VS Il n’existe pas une immunité wallonne naturelle contre l’extrême droite. Il y a déjà eu des percés électorales aux élections communales à Charleroi et à La Louvière où ils ont obtenus jusqu’à 15% des voix. Et la Wallonie sent souffler le même vent mauvais qui traverse toute l’Europe. Néanmoins, on peut se réjouir que l’extrême droite wallonne ou francophone n’ait jusqu’à présent pas réussi à construire une organisation stable et qu’aucun dirigeant charismatique n’ait émergé. Mais ce n’est pas l’important. Ils n’ont tout simplement pas une légitimité historique. Ils viennent avec une pâle copie du Rassemblement national français sans le poids et l’assise de celui-ci.
Ce qui est frappant, c’est qu’à chaque fois qu’on pressent une tentative de créer une organisation d’extrême droite ou néofasciste en Wallonie, les organisations du mouvement ouvrier, le monde associatif, le monde syndical et politique de gauche etc., se mobilisent, empêchent qu’ils tiennent leur congrès ou demandent au bourgmestre de ne pas l’autoriser, de ne pas leur donner une salle. C’est cela que l’on veut signifier en disant « écraser dans l’œuf ». Que ce genre de rassemblement ne passe pas la première étape de construction, c’est assez décisif. Au contraire, en Flandre, c’est déjà trop tard : le VB a trouvé une certaine légitimité. Interdire un congrès alors qu’ils représentent près de 2000 élus et sympathisants, déjà bien infiltrés dans les conseils d’administration des instances publiques et privées, n’est donc tout simplement pas pensable.
Évidemment sociologiquement et politiquement, la Wallonie est différente. Pour protester, elle se tourne plutôt vers le PTB, mais cela peut changer. En Flandre, cette perspective-là est incarnée par l’extrême droite et dans une moindre mesure par le PVDA (la branche flamande du PTB).
L’extrême droite donne l’impression d’être éthiquement et culturellement de droite mais socialement de gauche. Elle est entre autres pour la scission complète de la sécurité sociale, mais dans le même temps, elle préconise des mesures sociales dans le sillage de la gauche. Comment l’expliquer ?
BV Ils s’affichent toujours en faveur de mesure comme le salaire ou la pension minimum, mais quand on passe au législatif, ils votent systématiquement contre ! Leur vrai visage antisocial n’apparait pas aux yeux du grand public, mais dans les assemblées délibératives ils votent toujours contre les mesures sociales. En revanche, ils votent pour des mesures antisyndicales, ils ne protègent que leur propre peuple, les Flamands.
Comment se porte la gauche flamande aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’il y a encore comme figures vraiment de gauche en Flandre ?
VS Ce ne sont pas des figures qui vont nous dépanner. Je crois qu’il faut mettre en place une vraie stratégie et il faut mobiliser beaucoup de monde. Car la gauche politique ne se porte pas très bien en Flandre. Quand vous faites la somme des partis à peu près à gauche (y compris Groen, qui lui-même ne se dit pas en permanence de gauche), on obtient au maximum un tiers des voix en Flandre. Les trois-quarts reviennent à la droite et la droite extrême !
Heureusement le rapport de force social est moins dramatique, mais néanmoins compliqué. Il existe par exemple un très haut taux de syndicalisation. Ce qui veut dire qu’objectivement le syndicat est capable de toucher le grand public flamand sur ces aspects sociaux et peut jouer un rôle important dans la société.
Dans le rapport de force politique, nous avons un problème : Vooruit, le PVDA, Groen mobilisent trop peu pour se présenter comme un vrai balancier politique. On a même l’impression qu’ils se taisent de peur de se confronter à ce grand réservoir électoral du VB. Comment agir pour arracher des voix au VB ? Ne leur donne-t-on pas trop de crédit ? Ne renforçons nous pas sa cote de popularité ? Comme disait l’ancien président du S.pa Steve Stevaert : « quand vous avez un trou dans votre haie, il ne faut pas continuer à couper le trou parce que vous ne faites que l’agrandir. » C’est-à-dire qu’il ne faut pas parler constamment du VB. Il nous faut une bonne politique sociale et tenter d’avancer.
BV Je pense que l’unité de la classe ouvrière est très importante, il ne faut pas nous diviser en régionalisant encore plus de compétences dans notre pays. Il faut des organisations syndicales mobilisatrices. La Flandre ne doit pas combattre seule pour préserver les acquis sociaux. Nous devons le faire ensemble avec nos compatriotes wallons et bruxellois en consolidant encore plus cette sécurité sociale, en mobilisant le monde de la classe ouvrière.
Au terme « populisme » comme une caractéristique de l’extrême droite actuelle, vous préférez celui de « populisme national » et surtout de « populisme de droite », c’est politiquement plus correct ?
VS Le populisme est plutôt une question de méthode que de contenu, la méthode populiste est de dire : voilà, on construit un mouvement ou un parti en instaurant un axe pointu entre une élite ou une caste et puis un peuple. On homogénéise le peuple et on homogénéise l’élite. Cette contradiction centrale qui doit être le moteur de la construction est une méthode. Cette méthode peut être utilisée par tout le monde, Ainsi Donald Trump, Hugo Chavez au Venezuela, Orban en Hongrie, Pablo Iglesias en Espagne sont de vrais populistes.
Cette méthode ne dit en revanche rien sur le contenu. On fait vite un amalgame. Si on décide de dire, raccourcissons l’âge de la pension à 65 ans, laissons la place aux plus jeunes. Certains diront que c’est du populisme. Non c’est une question de bon sens.
Promettre l’augmentation de salaire et dire à bas le blocage salarial c’est du populisme ? Non c’est une bonne revendication. Ainsi il serait plus juste de spécifier que les partis d’extrême droite découlent des populismes de droite ou du national-populisme. D’ailleurs rien que le fait de revendiquer la patrie, peut être considéré comme une méthode populiste et même nationale-populiste. Cette assimilation des choses serait dangereuse en Flandre.
À la fin de votre livre, vous écrivez : « nous devons nous concentrer à nouveau sur la construction et la crédibilité de l’action collective. Deux choses sont importantes ici : le voyage et la destination. Le but et le mouvement. Cela n’a jamais cessé de s’appeler le socialisme. » Le socialisme reste plus que jamais valide ?
BV Évidemment, plus que jamais ! Je pense avoir déjà expliqué que le discours de l’extrême droite ou le discours de droite, dite droite populiste apparaît à leurs yeux plus important que l’identité sociale. C’est très gênant à l’heure actuelle.
Il faut créer des utopies sociales qui ne sont peut-être plus aujourd’hui très réalistes ou crédibles. Peu importe on a besoin de ça, le néolibéralisme nous a volé pendant 40 ans non seulement les symboles, mais aussi les acquis socialistes qui avaient vraiment rassemblés les gens. Maintenant il existe un très grand vide parmi les communautés, dans les cités, dans les villes gangrenées par l’individualisme, mais aussi par une pensée unique de droite. Ces manières d’agir et de penser doivent faire place à une pensée réaliste et utopiste de gauche. Les syndicats ont un rôle important à jouer à ce sujet.
VS Pour contrecarrer cet identitarisme de droite et d’extrême droite. Il faut bâtir une gauche progressiste. Aujourd’hui quand on prononce le mot socialisme, cela commence par jeter un froid au premier abord. Ce qui nous fait dire qu’il faut réinventer ce socialisme avec les gens qui se disent socialistes aujourd’hui, avec des nouvelles générations, avec des gens qui n’y croyaient plus. Il faut donner une nouvelle perspective sur le long terme, il faut avoir une alternative de société.
Aujourd’hui les musulmans ont remplacé les juifs en tant que boucs émissaires massivement désignés, l’islamophobie est-elle devenue le credo principal de l’extrême droite ? Assiste-t-on à une version réactualisée de la théorie du grand remplacement des populations, les nazis se sont revendiqués d’une thèse similaire pour alerter contre un engloutissement définitif du peuple allemand ?
VS On a dit ça littéralement. Le grand remplacement au début, on n’utilisait pas ce terme maintenant on l’utilise sans gêne. Il y a un grand remplacement en cours, mais il est toujours accompagné de deux facteurs. D’une part les envahisseurs et puis les collaborateurs des envahisseurs c’est-à-dire la gauche, ou les proches de la gauche, les syndicalistes, les académiciens. C’est une véritable théorie de complot que l’on connait.
BV C’est la déshumanisation aussi des transmigrants. On ne parle plus des sans-papiers, ce ne sont plus des humains. Maintenant ils sont devenus transmigrants, ceux qui viennent profiter de nos richesses. C’est de la novlangue.
VS Ce sont des évolutions discursives qui percent dans le langage commun, dans celui des médias et qui sont toujours plus offensives.
Ce qui est vrai, c’est que le nationalisme flamand de droite et de l’extrême droite n’a pas de prise jusqu’à présent sur le monde culturel. Les meilleurs produits ou acteurs sur le terrain culturel sont évidemment des gens qui ont une vision beaucoup plus internationale et cosmopolite. L’extrême-droite aimerait avoir ses propres symboles, porte-drapeaux et acteurs culturels, ils n’y arrivent heureusement pas. Un peu dans le domaine de la culture populaire, et encore ! Les grands dramaturges, chanteurs, acteurs, danseurs ne sont pas des gens qui vont se rallier avec l’extrême droite flamande.