Pourquoi avoir lancé la fondation « Ceci n’est pas une crise » ?
Tout d’abord, on a fait un premier constat. Ce que nous traversons actuellement n’est pas réellement une crise mais plutôt une mutation au niveau géopolitique, environnemental, bioéthique et financier. On est à un tournant de l’Humanité comme l’Humanité en a d’ailleurs connu par le passé. Utiliser le mot « crise » peut induire en erreur parce qu’il sous-entend que l’on va revenir à l’état précédent. Or, je pense qu’on est dans un changement de paradigme. C’est la fin d’un monde et l’apparition d’un nouveau monde.
Quels sont les objectifs de cette fondation ?
D’abord, de faire de la pédagogie politique. Expliquer la situation avec des mots que tout le monde peut comprendre et intégrer dans sa vie quotidienne. Mais aussi d’élaborer un projet de société, donner un cap. Puis, de lutter contre la montée des populismes identitaires, la xénophobie, le racisme, contre ces formes de sociétés fermées et faire la promotion de sociétés ouvertes, tolérantes, multiculturelles. Enfin, de promouvoir une Europe ouverte, forte, inclusive et qui combat les inégalités : exactement l’inverse de ce qu’elle fait aujourd’hui. Il faut donc lancer un chantier d’idées sur ce que devrait être l’Europe demain.
Pourquoi passer nécessairement par la création d’une fondation ? Les partis, les syndicats, les organisations de la société civile n’ont-ils plus les capacités de prendre en compte les grandes transformations du monde ?
Ce n’est certainement pas « à l’exclusion de », c’est « en complément de ». Dans la vie démocratique de demain, dans la démocratie représentative certes incarnée par les partis politiques, il n’y a pas que les partis politiques. Et surtout pas le temps du vote et puis plus rien pendant 5 ans. Il y a toute une vie entre les élections. Il y a place pour des acteurs qui veulent un moment émettre un avis ou indiquer des choix. On a donc créé cette fondation où se côtoient néerlandophones et francophones, des politiques, des sociologues, des gens venant du monde des affaires et du monde culturel. C’est une fondation de réflexion, d’éclaireurs, « d’entrepreneurs de débats ». Il s’agit d’émettre des idées, des avis, d’attirer l’attention, d’échanger les idées et peut-être donner un peu plus de perspectives à un monde politique qui vit de très courts termes et de slogans. Pouvoir se poser des questions importantes au 21e siècle dans ce monde globalisé comme la grande question suivante : quand on est progressiste, quand on est de gauche, quel est le rôle de l’État ? Est-ce avec ou sans services publics ? Avec ou sans protection sociale ? Dans une société ouverte ou fermée ? Ce qui pose la question de l’identité et de la place de la laïcité. L’État, la laïcité, ces thèmes ne sont ni de gauche ni de droite mais la gauche et la droite vont y apporter des réponses différentes.
Quel regard portez-vous sur l’évolution des partis de gauche en Belgique compte tenu de la situation actuelle ?
En Belgique, on n’a jamais connu de situations aussi binaires que celles que l’on connaît aujourd’hui. On a l’État fédéral contre les régions, la gauche contre la droite, les riches contre les pauvres. Dans ce contexte-là, la situation des partis de gauche est extrêmement compliquée.
D’abord parce qu’on a le gouvernement fédéral probablement le plus à droite que nous n’ayons jamais connu en Belgique. Il comprend un parti séparatiste qui n’a pas renoncé à ces ambitions-là et qui a une doctrine économique extrêmement à droite. Par exemple, il propose des contrôles au domicile des chômeurs. À ce propos, j’aimerais aussi qu’on propose le contrôle des sièges sociaux des entreprises qui ont fraudé et qui ont emmené une partie de leurs bénéfices à l’étranger !
Et puis, il y a les dispositions européennes en termes de trajectoire budgétaire imposée aux États ainsi que les traités de libre-échange à venir que l’UE négocie actuellement que ce soit le TTIP avec les États-Unis ou le CETA avec le Canada : l’air n’est guère favorable à la solidarité, à des services publics forts, à une protection sociale forte. La Commission a des doctrines extrêmement à droite. En se comportant ainsi, l’Europe aujourd’hui passe à côté de la montre en or. Et les inégalités se creusent.
Je voudrais au contraire que l’Europe soit au 21e siècle ce que la Sécurité sociale a été au 20e siècle : un outil fédérateur, protecteur, qui tire vers le haut. Et dans ce cadre-là, il est nécessaire, pour un parti politique à un moment donné de se regarder dans le miroir, de se revivifier, de se ressourcer. Il est donc nécessaire aujourd’hui que le Parti socialiste entreprenne ce chantier des idées et se repositionne très clairement. Je n’ai jamais cru que le mot doctrine était un gros mot. C’est au contraire un fil conducteur aujourd’hui indispensable pour le PS. Il est nécessaire de dire aujourd’hui au 21e siècle qu’être socialiste, c’est parler d’État, c’est parler de protection sociale, c’est parler de services publics, c’est parler de laïcité, c’est parler d’intégration des plus pauvres, d’immigration et d’internationalisme.
La gauche flamande devrait-elle faire aussi cette réflexion doctrinale ?
Je n’ai pas de doute qu’ils vont entreprendre aussi un exercice de ce type-là qui est probablement tout aussi compliqué voire plus compliqué que celui que le Parti socialiste francophone a à mener. Chacun a ses spécificités, chacun a ses difficultés, mais je pense que chacun doit aussi faire en sorte de pouvoir faire rêver les gens à nouveau, que les gens réadhèrent à des idées.