Ceci est une re-fondation

Jean-Pas­cal Labille a été ministre des Entre­prises publiques et de la Coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment. Secré­taire géné­ral des Mutua­li­tés socia­listes et Pré­sident de « Ceci n’est pas une crise », il nous explique pour­quoi cette fon­da­tion a été lan­cée et donne son regard sur les méta­mor­phoses de notre moder­ni­té, l’Europe et la gauche en Belgique.

Pourquoi avoir lancé la fondation « Ceci n’est pas une crise » ?

Tout d’abord, on a fait un pre­mier constat. Ce que nous tra­ver­sons actuel­le­ment n’est pas réel­le­ment une crise mais plu­tôt une muta­tion au niveau géo­po­li­tique, envi­ron­ne­men­tal, bioé­thique et finan­cier. On est à un tour­nant de l’Humanité comme l’Humanité en a d’ailleurs connu par le pas­sé. Uti­li­ser le mot « crise » peut induire en erreur parce qu’il sous-entend que l’on va reve­nir à l’état pré­cé­dent. Or, je pense qu’on est dans un chan­ge­ment de para­digme. C’est la fin d’un monde et l’apparition d’un nou­veau monde.

Quels sont les objectifs de cette fondation ?

D’abord, de faire de la péda­go­gie poli­tique. Expli­quer la situa­tion avec des mots que tout le monde peut com­prendre et inté­grer dans sa vie quo­ti­dienne. Mais aus­si d’é­la­bo­rer un pro­jet de socié­té, don­ner un cap. Puis, de lut­ter contre la mon­tée des popu­lismes iden­ti­taires, la xéno­pho­bie, le racisme, contre ces formes de socié­tés fer­mées et faire la pro­mo­tion de socié­tés ouvertes, tolé­rantes, mul­ti­cul­tu­relles. Enfin, de pro­mou­voir une Europe ouverte, forte, inclu­sive et qui com­bat les inéga­li­tés : exac­te­ment l’inverse de ce qu’elle fait aujourd’hui. Il faut donc lan­cer un chan­tier d’idées sur ce que devrait être l’Europe demain.

Pourquoi passer nécessairement par la création d’une fondation ? Les partis, les syndicats, les organisations de la société civile n’ont-ils plus les capacités de prendre en compte les grandes transformations du monde ?

Ce n’est cer­tai­ne­ment pas « à l’exclusion de », c’est « en com­plé­ment de ». Dans la vie démo­cra­tique de demain, dans la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive certes incar­née par les par­tis poli­tiques, il n’y a pas que les par­tis poli­tiques. Et sur­tout pas le temps du vote et puis plus rien pen­dant 5 ans. Il y a toute une vie entre les élec­tions. Il y a place pour des acteurs qui veulent un moment émettre un avis ou indi­quer des choix. On a donc créé cette fon­da­tion où se côtoient néer­lan­do­phones et fran­co­phones, des poli­tiques, des socio­logues, des gens venant du monde des affaires et du monde cultu­rel. C’est une fon­da­tion de réflexion, d’éclaireurs, « d’entrepreneurs de débats ». Il s’agit d’émettre des idées, des avis, d’attirer l’attention, d’échanger les idées et peut-être don­ner un peu plus de pers­pec­tives à un monde poli­tique qui vit de très courts termes et de slo­gans. Pou­voir se poser des ques­tions impor­tantes au 21e siècle dans ce monde glo­ba­li­sé comme la grande ques­tion sui­vante : quand on est pro­gres­siste, quand on est de gauche, quel est le rôle de l’État ? Est-ce avec ou sans ser­vices publics ? Avec ou sans pro­tec­tion sociale ? Dans une socié­té ouverte ou fer­mée ? Ce qui pose la ques­tion de l’identité et de la place de la laï­ci­té. L’État, la laï­ci­té, ces thèmes ne sont ni de gauche ni de droite mais la gauche et la droite vont y appor­ter des réponses différentes.

Quel regard portez-vous sur l’évolution des partis de gauche en Belgique compte tenu de la situation actuelle ?

En Bel­gique, on n’a jamais connu de situa­tions aus­si binaires que celles que l’on connaît aujourd’hui. On a l’État fédé­ral contre les régions, la gauche contre la droite, les riches contre les pauvres. Dans ce contexte-là, la situa­tion des par­tis de gauche est extrê­me­ment compliquée.

D’abord parce qu’on a le gou­ver­ne­ment fédé­ral pro­ba­ble­ment le plus à droite que nous n’ayons jamais connu en Bel­gique. Il com­prend un par­ti sépa­ra­tiste qui n’a pas renon­cé à ces ambi­tions-là et qui a une doc­trine éco­no­mique extrê­me­ment à droite. Par exemple, il pro­pose des contrôles au domi­cile des chô­meurs. À ce pro­pos, j’aimerais aus­si qu’on pro­pose le contrôle des sièges sociaux des entre­prises qui ont frau­dé et qui ont emme­né une par­tie de leurs béné­fices à l’étranger !

Et puis, il y a les dis­po­si­tions euro­péennes en termes de tra­jec­toire bud­gé­taire impo­sée aux États ain­si que les trai­tés de libre-échange à venir que l’UE négo­cie actuel­le­ment que ce soit le TTIP avec les États-Unis ou le CETA avec le Cana­da : l’air n’est guère favo­rable à la soli­da­ri­té, à des ser­vices publics forts, à une pro­tec­tion sociale forte. La Com­mis­sion a des doc­trines extrê­me­ment à droite. En se com­por­tant ain­si, l’Europe aujourd’hui passe à côté de la montre en or. Et les inéga­li­tés se creusent.

Je vou­drais au contraire que l’Europe soit au 21e siècle ce que la Sécu­ri­té sociale a été au 20e siècle : un outil fédé­ra­teur, pro­tec­teur, qui tire vers le haut. Et dans ce cadre-là, il est néces­saire, pour un par­ti poli­tique à un moment don­né de se regar­der dans le miroir, de se revi­vi­fier, de se res­sour­cer. Il est donc néces­saire aujourd’hui que le Par­ti socia­liste entre­prenne ce chan­tier des idées et se repo­si­tionne très clai­re­ment. Je n’ai jamais cru que le mot doc­trine était un gros mot. C’est au contraire un fil conduc­teur aujourd’hui indis­pen­sable pour le PS. Il est néces­saire de dire aujourd’hui au 21e siècle qu’être socia­liste, c’est par­ler d’État, c’est par­ler de pro­tec­tion sociale, c’est par­ler de ser­vices publics, c’est par­ler de laï­ci­té, c’est par­ler d’intégration des plus pauvres, d’immigration et d’internationalisme.

La gauche flamande devrait-elle faire aussi cette réflexion doctrinale ?

Je n’ai pas de doute qu’ils vont entre­prendre aus­si un exer­cice de ce type-là qui est pro­ba­ble­ment tout aus­si com­pli­qué voire plus com­pli­qué que celui que le Par­ti socia­liste fran­co­phone a à mener. Cha­cun a ses spé­ci­fi­ci­tés, cha­cun a ses dif­fi­cul­tés, mais je pense que cha­cun doit aus­si faire en sorte de pou­voir faire rêver les gens à nou­veau, que les gens réadhèrent à des idées.

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