Ferdinand Cheval est né le 19 avril 1836 à Charmes-sur‑l’Herbasse, dans la Drôme. Élevé dans un milieu de paysans modestes, on sait qu’il fut tour à tour boulanger et ouvrier agricole mais sa biographie reste incertaine sur de nombreux points. On le retrouve en 1867, année où il se présente à un concours de l’administration postale. Ferdinand devient facteur, officiellement le 12 juillet. Après des affectations diverses, il rejoint, à sa demande, le bureau de Hauterives, commune où il avait résidé à plusieurs reprises, située à quelques kilomètres de son village natal. Il y restera jusqu’à la retraite. Et jusqu’à sa mort survenue le 19 août 1924.
Ferdinand est un « piéton », un facteur de zone rurale qui effectue sa tournée à pied. Un détail qui a son importance : la tournée de Ferdinand compte au moins 30 kilomètres par jour… Par tous les temps, il arpente la région, passant de villages en hameaux, dormant parfois à la belle étoile, facteur solitaire dont le rythme de marche stimule, tel un psychotrope, une série de rêves étranges. Marcheur hypnotisé, il perçoit le décor comme une vaste cité aux formes indescriptibles, un songe démesuré et fabuleux dont il ne parlera que bien plus tard, craignant de passer pour un fou, lui qui, d’après certains témoignages, était un personnage introverti, communiquant peu avec l’extérieur.
Est-ce donc un hasard si, au cours d’une de ces déambulations, effectuée le jour de ses 43 ans (le 19 avril 1879), il trébuche sur une pierre dont la forme lui apparaît soudain comme extraordinaire ? La roche, que la légende rebaptisera « pierre d’achoppement », déclenche chez l’employé des postes un mécanisme de création des plus singuliers. La cité merveilleuse qu’il percevait tel un mirage, il va dorénavant la construire pour de bon, de ses propres mains !
C’est le point de départ d’une des plus célèbres aventures de l’art brut : le Palais idéal du Facteur Cheval. Une œuvre fantastique dont la construction repose essentiellement sur l’abnégation inouïe de ce marcheur infatigable qui, pendant 33 ans, va amasser des tonnes et des tonnes de pierres, sélectionnées avec soin, transportées d’abord dans des paniers puis dans une brouette, assemblées ensuite avec de la chaux et du ciment. Dans les transcriptions de ses paroles faites par autrui (de même, ses écrits seront souvent des « réécritures »), Ferdinand Cheval dira : « Puisque la nature veut faire la sculpture, moi je ferai la maçonnerie et l’architecture. »
Influencé par quelques récits et images de voyage, Cheval est l’architecte d’un palais qui est à la fois le reflet de son subconscient en action (les surréalistes y verront une forme d’automatisme) et l’expression d’un universalisme certes naïf mais libéré de tout préjugé. Le bâtisseur de fortune n’avait pas de plan d’ensemble, c’est l’ensemble qui s’est imposé à lui au fur et à mesure de son geste créateur.
Monument classé depuis 1969, le Palais idéal est aujourd’hui visité par des milliers de personnes chaque année. D’aucuns y voient une curiosité, quand d’autres, les situationnistes notamment, y voient l’annonce d’une architecture gratuite et détachée de toute notion utilitaire, l’art de bâtir sans la mainmise de l’urbanisme. À méditer.