Dark Vador, un Sith classé au patrimoine mondial

Par Denis Dargent

Photo : Nathalie Caccialupi

Été 1977, les troupes de l’Empire galac­tique entament la conquête de la pla­nète Terre. Bien­tôt plus per­sonne n’ignorera l’existence de Star Wars, la plus célèbre saga ciné­ma­to­gra­phique contem­po­raine. Aujourd’hui, chez des mil­lions d’individus à tra­vers le monde, on trouve au moins une relique, un fétiche, un sou­ve­nir de la Guerre des étoiles : jouets, usten­siles de cui­sine, t‑shirts, chaus­settes pour enfant, sous-vête­ments… Rare­ment la logique du mer­chan­di­sing (offi­ciel ou pas) aura connu une telle apo­gée. Ces objets de la post­mo­der­ni­té ambiante, témoignent sans doute de notre nos­tal­gie envers un futur qui n’adviendra pas. Parions qu’on en trouve même à Alep, sous les décombres ; ou en Corée du Nord, quelque part, cachés.

Mais par­mi les per­son­nages qui com­posent ce vaste space ope­ra qu’est Star Wars, une figure s’est impo­sée dans l’imaginaire popu­laire au fil du temps, celle de Dark Vador (Darth Vader en VO), l’âme dam­née de l’Empereur Pal­pa­tine, le Jedi rené­gat, héri­tier de la race des Sith. En 1997, pour la sor­tie de la ver­sion res­tau­rée de la tri­lo­gie ori­gi­nale, c’est Vador qui figu­re­ra au centre du gigan­tesque mar­ché des pro­duits déri­vés et des sup­ports pro­mo­tion­nels. En vingt ans, le « méchant » avait acquis un suc­cès déli­rant dans l’iconographie pop mondiale.

Étrange séduc­tion du mal incar­né, qui touche aux dési­rs obs­curs pré­sents en cha­cun de nous…

Mais le mal, en soi, ne fas­ci­ne­rait pas autant sans une dimen­sion esthé­tique affir­mée. Un pou­voir d’ensorcellement qui est lié à l’irruption de la pho­to­gra­phie, du ciné­ma et de la bande-des­si­née au début du 20e siècle. On pense à Fan­tô­mas por­té à l’écran par Louis Feuillade dès avant la Guerre de 14, mais aus­si à Dra­cu­la, au Comte Zaroff ou au Fan­tôme de l’opéra qui prennent corps dans les années 20 et 30. Des êtres dis­tin­gués, inévi­ta­ble­ment vêtus de noir, le noir pro­fond, la cou­leur sté­réo­ty­pée du mal. Celle qu’endossera Dark Vador, créa­ture mi-homme mi-machine.

À la même époque, pas­sant de la fic­tion au réel, des hommes de chair et de haine pro­pa­ge­ront leurs idées en arbo­rant, eux aus­si, les habits du mal : la che­mise noire ou l’effrayant (bien qu’élégant) uni­forme de la SS (créé par Hugo Fer­di­nand Boss, rap­pe­lons-le). Y aurait-il eu, quelque part, conta­mi­na­tion entre le royaume ima­gi­naire des per­son­nages qui exploitent la fibre de nos fan­tasmes et cette réa­li­té cruelle qui enfan­ta Hit­ler, Sta­line ou Pol Pot et qui conti­nue à vomir les pires ersatz issus des enfers du tota­li­ta­risme ? En d’autres termes, la fas­ci­na­tion-répul­sion pour le mal esthé­ti­sé pré­sa­geait-elle de ces engoue­ments popu­laires nou­veaux envers les dic­ta­teurs en puis­sance qui pol­luent notre actualité ?

Nous ne le pen­sons pas. Les masses qui offrent leurs suf­frages à celles et ceux qui rem­placent l’esprit par le pro­pos viril et auto­ri­taire, se sou­cient peu du pou­voir magique de la fic­tion. Elles suivent la voix du maître, source ances­trale de récon­fort pour les peuples.

En outre, Vador et les autres « génies du mal » res­tent sur­tout des héros-tra­giques. À l’origine, on sait que George Lucas n’avait pas envi­sa­gé de pro­pul­ser le cyborg cas­qué au centre de son épo­pée. Pour­tant, dès l’épisode V (L’Empire contre-attaque, 1980), le monde découvre, pétri­fié, que le Sith est le père du « gen­til » Luke Sky­wal­ker. Le par­cours ini­tia­tique du fils cède alors la place au par­cours de rédemp­tion du père. Génial retour­ne­ment : le méchant avait un cœur, un pas­sé, des sen­ti­ments, des raisons.

On objec­te­ra que, dans le monde réel, d’aucuns se sont aus­si pen­chés sur la vie d’Adolf Hit­ler afin de com­prendre quelque peu les méca­nismes du mal. À cela nous répon­drons que le Füh­rer, lui, n’a jamais fait acte de contri­tion. Dans la vraie vie, les méchants n’ont pas de remords.