Vous êtes souvent présent sur le sol bruxellois ?
Oui, on pourrait dire qu’à Bruxelles, je transgresse toutes les frontières qu’elles soient linguistiques, ou qu’elles soient philosophiques, en enseignant tant à la VUB qu’à Saint-Louis. Dans mon travail académique, je me concentre notamment sur le fédéralisme, le nationalisme et aussi beaucoup sur la Belgique ce qui nous amène directement vers la réforme de l’État.
Mais je trouve que les acteurs du monde académiques doivent aussi participer au débat public, surtout quand ils travaillent sur des sujets de société importants. Et puisque je travaille sur la politique belge, et notamment sur ses aspects communautaires, il est logique que je participe au débat des deux côtés de la frontière linguistique et que j’accepte donc aussi les invitations des médias francophones. Ce qui est drôle, c’est que les médias flamands me considèrent parfois comme un spécialiste de la Belgique francophone, tandis que du côté francophone, je suis considéré comme l’expert de la Flandre. Alors que je suis avant tout un expert de politique belge et que je dois donc connaître le tout et analyser les choses dans leur globalité. Mais voilà ce qui arrive donc dans un système médiatique scindé sur base linguistique : des deux côtés, on devient l’expert de l’autre côté.
Quel regard portez-vous sur la manière dont les francophones perçoivent leurs concitoyens flamands, ont-ils les bonnes clés pour se comprendre mutuellement ?
Ce problème de perception mutuelle se trouve peut-être déjà un peu dans votre question. Je parle de la tendance à présenter les Flamands et les francophones comme deux blocs homogènes. Les francophones et les Flamands ne sont bien sûr pas tous les mêmes, les perceptions qui existent chez les francophones sur les Flamands et inversement sont toutes aussi diverses. Dans la question communautaire, un des problèmes, c’est justement cette homogénéisation, y compris dans l’analyse politique. Dans les médias francophones, on parle souvent de « la Flandre » qui veut ceci ou cela, mais, en fait, la Flandre est une société probablement aussi divisée que l’est la Belgique. Certes, les résultats électoraux en Flandre vont plus à droite, mais en même temps il existe un monde entre la Flandre de Groen ! et celle du Vlaams Belang.
Bien sûr, la manière dont notre système est organisé, tant sur le plan politique que sur le plan médiatique, incite à analyser en terme de blocs et donc à renforcer le clivage communautaire. Les partis politiques sont tous organisés sur base linguistique, il n’y a pas de partis nationaux. Il n’y a pas de médias nationaux non plus. Et ces derniers n’organisent même pas d’émissions politiques ensemble… Nous avons donc des partis francophones qui s’adressent uniquement à des électeurs francophones à travers des médias francophones. Tout cet appareillage politique est très séparé.
Les médias renforcent-ils les clivages linguistiques ?
Les médias ont certainement leur part de responsabilités. Ce n’est pas la faute des journalistes mais celle de ce système politique et médiatique dans lequel ils travaillent. Par exemple, j’entends souvent des journalistes francophones et néerlandophones se plaindre que des ministres fédéraux de l’autre rôle linguistique ne veulent pas venir dans des émissions ou débats. C’est bien sûr surtout parce qu’ils n’ont pas d’intérêt électoral à le faire. C’est un élément qu’il faut prendre en compte.
Ma thèse de doctorat était justement consacrée au rôle des médias dans les relations communautaires et le système fédéral. J’ai notamment analysé les débats dominicaux sur Bruxelles-Hal-Vilvoorde (BHV) pendant une année tant à la VRT qu’à la RTBF. C’était la période 2004 – 2005, la première grande crise politique sur BHV. La plupart des débats se tenaient entre Flamands à la VRT et entre francophones à la RTBF. Mais surtout, les débats ne traitaient en fait pas du fond de la question : faut-il oui ou non scinder BHV et quels sont les arguments pour et contre. Non, les débats partaient d’une prémisse préétablie : à la VRT on ne remettait jamais en question le fait que BHV devait effectivement être scindé ; à la RTBF on ne remettait pas en question le fait que BHV ne devait pas être scindé. Les débats portaient alors sur le fait de savoir pourquoi les politiques n’avaient pas encore tenu leurs promesses. À un moment, on interrogeait même de façon critique les politiques parce qu’ils allaient négocier sur la question. À la VRT, on leur disait : « vous aviez quand même dit que BHV pouvait être voté au parlement avec une majorité flamande et maintenant, on entend dire que vous allez quand même négocier avec les francophones ». Et à la RTBF : « Vous disiez qu’il n’était pas question de scinder BHV et donc de négocier sur ce point avec les Flamands, et maintenant voilà que vous le faites. » Au lieu d’offrir la possibilité d’avoir un débat sur le fond des choses entre Flamands et francophones, on partait déjà de part et d’autre d’une prémisse. Sur BHV, il est certain que les médias ont contribué à polariser la question et à faire en sorte qu’il devienne un problème politique majeur. Mais il y a bien sûr aussi une grande responsabilité politique.
Comment voyez-vous la Belgique dans quelques années ?
C’est très difficile à prédire dans un contexte politique, socio-économique et financier aussi chahuté que le nôtre aujourd’hui. Sur l’évolution institutionnelle, cela dépendra notamment des résultats électoraux de 2014 et du score de la N‑VA. Et ce score dépendra lui-même, entre autres, des deux prochaines années, de montrer que la Belgique peut être gouvernée de façon efficace et intelligente.
Et cela dépendra aussi des partis francophones, qui portent aussi une part de responsabilité dans le succès d’un parti comme la N‑VA. Rappelez-vous des déclarations politiques qui disaient que toute réforme de l’État était égale à une scission du pays, longtemps avant que la N‑VA ait un si grand succès. Au lieu d’entamer un dialogue sérieux, on associait toute demande de réforme de l’État nécessairement comme étant une volonté de séparatisme, je pense que ça n’a sûrement pas facilité les choses. Non, il est trop facile de dire que les gentils francophones sont victimes des mauvais Flamands nationalistes. En plus, la plupart des responsables politiques francophones n’ont jamais réellement investi dans une meilleure cohésion nationale. Ils ont maintenant un discours pro-belge, mais il est souvent hypocrite, parce qu’il ne s’accompagne pas de propositions concrètes pour améliorer la cohésion fédérale. Ces partis ont même souvent bloqué des initiatives qui allaient dans ce sens : ainsi le PS et le CDH, quand ils se sont opposés à plusieurs reprises ces dernières décennies, à une circonscription fédérale. Des demandes de régionalisations absurdes et aberrantes, comme celles du commerce extérieur ou de la coopération au développement, sont venues aussi et souvent même surtout de partis francophones. Autre exemple, l’apprentissage du néerlandais en Wallonie qui a toujours laissé à désirer. Le néerlandais n’est même pas la deuxième langue officielle dans les écoles francophones, comme le français l’est toujours en Flandre. Les années 1930 ont été un moment charnière, celui où la Belgique aurait pu devenir un exemple pour d’autres démocraties multilingues : à l’époque, on a choisi d’introduire l’unilinguisme régional. De nombreux représentants francophones, notamment les nationalistes wallons, n’ont pas voulu du bilinguisme généralisé, ensemble avec les nationalistes flamands. Ce ne sera pas la dernière fois où certains politiques francophones seront des alliés objectifs des nationalistes flamands.
Vous prônez une circonscription électorale fédérale, qu’est-ce que cela pourrait amener au pays ?
Je plaide déjà pour cette idée depuis plus de six ans, que ce soit dans les médias francophones ou néerlandophones. Bien sûr, il ne faut pas dire que c’est le remède miracle qui ferait de notre pays un modèle de démocratie, mais quand même, je crois que cela pourrait effectivement résoudre des choses sur deux plans.
Une circonscription fédérale pourrait d’une part contribuer à éviter les blocages comme ceux que l’on a connus ces dernières années.
Un autre élément, peut-être encore plus important, est l’aspect démocratique. Car en fin de compte, nous sommes finalement gouvernés par le Gouvernement fédéral (donc par des ministres francophones et flamands), mais on ne peut voter que pour la moitié des partis qui y sont représentés. Concrètement depuis 1974, il y a toujours eu un Premier ministre issu d’un parti flamand, qui ne se présentait pas aux élections dans les circonscriptions wallonnes. Inversement, la plus grande partie de la Flandre n’a plus pu se prononcer sur le ministre des Finances depuis 1988, car il est toujours issu d’un parti francophone. On devrait avoir un système démocratique où ceux qui veulent faire une politique pour tout le pays soient aussi incités électoralement à tenir compte des intérêts des gens dans l’ensemble du pays et pas seulement les gens de leur propre communauté, qui peuvent voter pour eux.
Comme je le disais tout à l’heure, parfois des ministres fédéraux ne veulent pas se rendre dans les médias de l’autre côté de la frontière linguistique pour défendre leur politique, alors qu’ils prennent des décisions pour tout le monde. Pour Bart De Wever ou Alexander De Croo, le dimanche matin, il est plus intéressant de passer dire bonjour à quelques personnes au marché local que d’aller au studio de la RTBF. Même chose pour Joëlle Milquet ou Elio Di Rupo avec les studios de la VRT. Bien souvent, dans les discussions sur la réforme de l’État, on a donné des définitions au mot « responsabilisation » qui n’était pas très correctes, mais ici c’est vraiment une question de responsabilisation politique : les dirigeants doivent être responsables devant tous les habitants du pays. Il y a d’ailleurs une toute nouvelle pétition (www.be4democracy.be) pour une circonscription fédérale qui vient d’être lancée et que je soutiens. Elle a déjà récolté plus de 15.000 signatures en une semaine. Ce sont surtout différents mouvements de jeunes qui se sont regroupés : Shame, Plan B, et Camping 16.
Ce débat ne doit d’ailleurs pas se limiter à la Belgique, je crois qu’il sera nécessaire d’avoir à terme aussi une forme de circonscription européenne pour les élections européennes. Pour répondre à la crise européenne actuelle, l’Europe devra devenir politiquement encore plus intégrée. Si on connaît toute cette crise maintenant, c’est entre autres parce qu’il y a une intégration monétaire qui n’est pas suffisamment accompagnée d’une vraie intégration politique. Mais si l’Europe doit être dotée de plus de pouvoirs politiques, il faut aussi qu’elle devienne plus démocratique. Aujourd’hui, ce sont Sarkozy et Merkel qui décident de pratiquement tout. Il faudra trouver les moyens de renforcer la démocratie en Europe, je crois que le seul moyen sera de faire une Europe plus fédérale.
Croyez-vous qu’il y a encore un parti de gauche à l’heure actuelle ?
Bonne question, mais comment définir ce que c’est qu’être de gauche aujourd’hui ? Nous sommes dans un contexte difficile pour la gauche avec notamment la crise financière et le poids de l’Europe et de ses partis conservateurs au pouvoir. Surtout que c’est un contexte qui donne parfois à penser qu’il n’y a plus de débats idéologiques, qu’il n’y a plus d’alternative aux politiques de droite menées dans beaucoup de pays et qui sont même recommandées par la Commission européenne. En fait, le vrai défi est démocratique, pas seulement pour la gauche, mais quand même spécifiquement pour la gauche. Avec la crise de l’Euro, il devient de plus en plus clair que nous ne sommes en fait pas gouvernés par des responsables politiques, mais bien par les marchés, avec l’Union Européenne – ou plutôt Merkel et Sarkozy – qui joue comme une sorte d’intermédiaire. Bien sûr, on a toujours un peu de marge en tant qu’État national, mais comme on l’a vu pour la confection du budget et la prise de mesures socio-économiques structurelles sur le chômage et les pensions, finalement, on doit quand même faire en sorte que le résultat satisfasse l’Europe et les marchés. Tout le monde semble avoir simplement accepté ce fait. Personne ne remet en question le fait que les marchés puissent décider de ce que doivent faire les États. Voilà un défi pour la gauche, mais qui devra bien sûr être traité à un niveau européen, voire plus globalement.
La seule vraie solution pour la crise de l’Euro, c’est de renforcer l’intégration politique de l’Europe. Maintenant, il y a une intégration monétaire, mais sans vraie intégration politique, les pays nationaux restent des victimes potentielles des marchés. Il faut donc donner encore plus de pouvoirs à l’Europe, mais alors va aussi beaucoup plus fortement se poser la question de la légitimité démocratique de cette Europe. Il faudra trouver des mécanismes qui résolvent le déficit démocratique actuel, surtout si l’Europe devient encore plus forte. Et la seule façon, à mon avis, c’est de faire une Europe plus fédérale. Par exemple, avec le même type d’instruments qui pourraient aussi renforcer la démocratie belge, comme une circonscription européenne pour élire une partie des parlementaires européens, ou au moins pour élire le président de la Commission européenne. Finalement, tant la Belgique que l’Europe font face à un même défi : comment bien adapter ses institutions à une démocratie multilingue ? La Belgique pourrait montrer le chemin, mais ne semble pas vraiment capable de se renouveler.
Que pensez-vous de l’organisation de référendums, dernièrement du G1000, juste un effet tendance ou très important d’un point de vue citoyen ?
Je fais partie des organisateurs du G1000. Je crois certainement à la nécessité d’avoir plus de participation politique et je crois qu’il faut aussi réfléchir aux manières de renouveler le système démocratique sans remettre en cause la démocratie représentative en tant que telle. Il y a quand même des moyens intelligents de renforcer la démocratie et dans ce sens, je suis assez partisan de la méthode que l’on appelle « démocratie délibérative ». C’est une manière intelligente de faire participer les gens à la politique, en les informant d’abord sur des thématiques avec l’aide d’experts. Ainsi, au G1000, pour introduire chaque thème, il y avait toujours deux experts : un néerlandophone et un francophone qui ont introduit les débats. Ensuite, on les incite à réfléchir sur ces thèmes et surtout à discuter ou délibérer ensemble, aidés par des modérateurs professionnels. Le processus en lui-même est important. Au G1000, c’était assez impressionnant de voir tous ces gens réunis pour parler ensemble des défis communs. Surtout qu’il s’agissait de gens qui n’ont pour la plupart pas souvent l’occasion de se croiser et de parler ensemble. On a essayé d’avoir beaucoup de diversité : il y avait des tables où se côtoyaient des gens d’origines musulmanes, des jeunes, des plus vieux, des gens de classes sociales différentes. Il y avait aussi trente tables bilingues, ce qui rejoint ce dont je parlais tout à l’heure : Flamands et francophones parlent souvent les uns des autres, mais si peu les uns avec les autres. On a donc aussi créé cet espace de dialogue fédéral. Ce type de tables de discussion a permis aux gens de mieux comprendre pourquoi quelqu’un avec un parcours bien différent peut avoir un point de vue différent sur certains enjeux de société. Et ainsi lui faire constater qu’il n’est pas toujours facile de trouver un consensus qui satisfasse les uns les autres. Je crois aussi que de telles discussions permettront de trouver parfois des solutions intéressantes auxquelles le monde politique ne pense pas toujours, car il est trop enfermé dans des structures, dans des intérêts de partis. Je trouve que c’est une méthode plus porteuse qu’un référendum où là on demande simplement aux gens de répondre par « oui » ou par « non » à une question très complexe.
Quelle place pour la culture dans votre quotidien ?
Ces dernières années, malheureusement pas une place aussi grande que j’aimerais. Tout ce qui est lié à mon travail a pris beaucoup de place. Mais j’essaie néanmoins de trouver du temps, notamment pour la littérature, surtout pendant les vacances qui sont un peu l’occasion de se rattraper. La musique est aussi très importante dans mon quotidien. Quand je travaille, je mets souvent de la musique, même quand j’écris, cela me donne souvent plus d’énergie. À d’autres moments, cela peut me détendre et me calmer. Il y a de la musique pour chaque occasion. J’ai des goûts assez éclectiques. J’aime beaucoup de genres, sauf des trucs comme la house ou le metal, et bien sûr je n’aime pas tout dans ces genres. Mais j’aime autant la musique classique que le jazz, la pop, le rock, les singer-songwriters comme on dit, la musique du monde ou encore la chanson française ou sa variante néerlandophone, le ‘kleinkunst’. Côté francophone, il y a les grands classiques comme Brel, Ferré, Brassens, Gainsbourg. Mais j’aime aussi beaucoup Alain Souchon que je mettrais au même niveau : ses textes sont souvent d’une poésie et d’une précision impressionnante, avec des textes parfois très introspectifs mais aussi parfois des critiques de société mordantes, comme dans ‘Foule Sentimentale’. Plus récemment, j’aime surtout Vincent Delerm ou Benjamin Biolay. J’aime aussi les groupes de pop-rock anglo-saxon récents comme Beach House, Arcade Fire, The XX, Grizzly Bear, Death Cab for Cutie ou The Bony king of nowhere qui a signé la musique du film « Les Géants » de Bouli Lanners. Et j’adore surtout Fleet Foxes. Dans le registre singer-songwriters anglais, Paul Simon est un de mes grands favoris depuis toujours. « Graceland » reste pour moi un album époustouflant, très énergique avec en même temps des touches de mélancolie. Mais j’aime aussi la pop plus commerciale. J’ai écrit une partie de mon doctorat en écoutant Elton John.
Côté septième art, j’aime des cinéastes comme Ozon, Truffaut, Kubrick, Orson Welles, Hitchcock. Et je suis surtout aussi un fan de séries télé. Ces dernières années, on a fait des choses plus intéressantes en télé qu’en cinéma avec des séries comme Les Sopranos, Mad Men ou In Treatment. Ma série favorite ces dernières années c’est Six Feet Under, entre autres parce qu’elle réussit si bien à brosser un portrait psychologique de ses personnages. Et bien sûr, il y a les classiques de l’humour britannique, comme Blackadder ou plus récemment The Office et Extras, de Ricky Gervais. Une de mes séries britanniques favorites est ‘Yes, Minister’ : c’est extrêmement drôle, avec un humour très fin et des acteurs fabuleux, mais en même temps aussi très didactique pour comprendre la politique et notamment la relation entre politique et administration en Grande-Bretagne. Je le conseillerais à tout étudiant en Science politique. Malheureusement, cette série n’est presque pas connue dans le monde francophone, comme la plupart des séries britanniques d’ailleurs, c’est vraiment un manque. Surtout qu’en termes de séries humoristiques ou dramatiques, la télévision française est un peu déprimante. La télévision belge francophone aussi d’ailleurs, qui diffuse surtout la production française. Je trouve d’ailleurs incompréhensible qu’on n’a presque pas de bonne satire politique en Belgique, ni en Flandre, ni en Belgique francophone. Il y a en fait seulement « Sois-Belge et tais-toi » que je trouve très drôle, mais ce n’est qu’une fois par an, c’est très cabaret et basé sur l’imitation. Je rêve d’une série satirique mordante, mais qui serait en même temps didactique dans le sens ou elle essaierait aussi d’expliquer certaines dynamiques sous-jacentes de la politique belge en y jetant un regard critique.
Ne pensez-vous pas que les artistes contribuent à estomper tout ce qui est conflit linguistique, ils travaillent dans l’optique de créer ensemble et de justement gommer toutes ces querelles linguistiques. Ne sont-ils pas de bons indicateurs ?
En tout cas, quand on compare la Flandre avec d’autres régions dans le monde où il y a des demandes pour plus d’autonomie comme le Québec, la Catalogne ou l’Écosse, on constate que dans ces régions-là, beaucoup d’artistes sont assez nationalistes. Parce que leur demande d’autonomie vient d’une sorte de quête de reconnaissance culturelle. En Flandre, cela a en partie aussi été le cas dans le passé, mais depuis un bon nombre d’années, il faut constater qu’en majeure partie, le monde culturel flamand est plutôt belgiciste et se distance parfois explicitement du nationalisme flamand, que ce soient des écrivains comme Tom Lanoye ou Dimitri Verhulst, des artistes pop comme Clouseau, Bart Peeters ou Milow ou des artistes rock comme Deus ou Daan. Des gens comme Tom Lanoye, Bart Peeters, chanteur et présentateur télé très populaire ou Daan se sont récemment prononcé de manière assez claire et critique vis-à-vis de Bart De Wever. Pourtant, la culture est une compétence exclusive des communautés en Belgique.
On peut d’ailleurs se demander si c’est si bien logique. Récemment, des artistes flamands ont plaidé pour une compétence fédérale pour la culture, complémentaire à celle des communautés. L’idée était soutenue par des responsables politiques comme Karel De Gucht, Rik Torfs et Caroline Gennez. Mais cela n’a pas créé un vrai débat. Pourtant, ce ne serait pas illogique. On pourrait alors soutenir des initiatives culturelles qui ne sont pas spécifiquement flamandes ou francophones mais bilingues, imaginer des collaborations entre un théâtre à Anvers et un théâtre à Charleroi. Finalement, si on veut garder une Belgique fédérale – et ce serait bien sûr légitime de dire qu’on ne veut plus la garder – et donc continuer à former un pays, on doit essayer d’abolir la mécompréhension mutuelle qui nous fait perdre énormément de temps. Tentons alors d’organiser au mieux ce vivre ensemble. Si on veut garder une solidarité interpersonnelle fédérale, il est aussi important d’avoir une base commune.
Ce n’est pas que tout le monde « il est beau et il est gentil », il y a certainement des différences, mais plutôt que de les mettre au frigo, essayons d’en parler. En poursuivant le même raisonnement, pourquoi n’aurions-nous pas également une compétence fédérale au niveau des médias, pour soutenir activement des collaborations entre la VRT et la RTBF, par exemple des débats communs ? Car, finalement, quel est l’intérêt à avoir des systèmes qui créent des malentendus communautaires, des clichés et des caricatures ? Ce que je trouve très bizarre, c’est que les partis qui disent qu’ils ne veulent pas la fin du pays, ne réfléchissent pas en même temps à comment améliorer le système actuel, qui n’est clairement pas idéal.
Nous sortons d’une crise politique de quatre ans avec de lourdes conséquences économiques faute de temps pour faire certaines réformes qu’on doit maintenant décider dans l’urgence. Je suppose que ceux qui veulent garder la Belgique ne souhaitent pas que l’on rencontre à nouveau les mêmes problèmes. C’est pour cela que je trouve un peu décevant que ces partis qui se disent non séparatistes ne fassent pas un pas plus loin. Qu’ils ne réfléchissent pas plus fondamentalement à comment améliorer structurellement le fonctionnement du pays.