Fin juillet, de retour des beautés de Parme et de la Sainte Victoire, je me rends, un peu soucieux, au service d’imagerie médicale pour un contrôle sur l’évolution de ma pathologie. Après l’injection du liquide de contraste, l’infirmier m’installe dans le cylindre de la résonnance magnétique pour un moment d’immobilisme total. Pour éviter de m’indisposer par les tintamarres de l’imposante machine, il me glisse un casque sur les oreilles. Et là, stupeur. Non plus un doux adagio d’un concerto de Mozart mais une radio privée qui égrène des pubs tout le temps de l’examen. Même dans un moment qui touche au cœur de l’intime, le mercantilisme s’approprie l’espace mental. Le bombardement de réclames double celui des radiations. J’ai les oreilles qui sifflent entre la dernière bagnole à la mode ou le festival de l’été à ne pas manquer. Urgence : du silence !
Le vacarme a envahi tous les angles de notre ouïe, désormais colonisée par un boucan constant, du vrombissement automobile au matraquage musical des rues comme des commerces. Plus le chahut se densifie, plus la parole apparait comme rare et précieuse. Du silence des espaces infinis de Pascal à la condition du recueillement selon Alain Corbin, de la charge de Philippe Muray contre la fête omniprésente à l’ingrédient essentiel de l’amour chez Maurice Maeterlinck, tous ont célébré le calme, la paix et la tranquillité, conditions essentielles des retrouvailles avec soi. Voyez le mutisme de Jésus et le silence considéré par les Évangiles comme une vertu cardinale de la vie en société. En musique comme en politique, l’art de savoir parfois se taire face aux stridences du monde permet d’en faire ressortir toute la variété des subtilités. La tension entre le cri et le silence s’abolit hélas de plus en plus au profit d’un arrière-fond indifférencié de ronrons, de clameurs et de gargouillements. Est-il désormais si angoissant de ne faire face qu’à soi-même ?
Soulignée par son absence lors du dimanche annuel sans voitures, la pollution sonore devient un phénomène de civilisation préoccupant, qui engendre stress, mauvaise humeur et irritations. Plus encore, consultez les sites, les phénomènes acoustiques sont à l’origine de maladies graves que l’OMS chiffre en perte d’années de vie estimées, des perturbations du sommeil aux troubles cognitifs, des acouphènes aux pathologies cardiovasculaires. L’organisation internationale, en 2011, affirmait que la pollution sonore était à l’origine d’une perte estimée de près de 1.700.000 années de vie. Le bruit est un serial killer de première catégorie.
La surabondance de décibels, ce déluge sonore pour conjurer ce silence que les nouvelles générations jugent si ennuyeux, doit pourtant nous conduire à rechercher des lieux d’écoute, d’attente ou de respiration. Et pas seulement dans les bibliothèques ou les abbayes. Dans les espaces publics et dans les médias par exemple. Qui ne se souvient du très long silence de Georges Pompidou, Président de la République, interrogé par des journalistes sur le suicide de Gabrielle Russier ? Impensable aujourd’hui.
Nous ne sommes pas égaux devant le silence. Ce nouveau luxe exige des moyens. Décélérer et se ressourcer au sein de lieux de quiétude par des balades, des retraites, des méditations ou des randonnées, nécessitent dispositions spirituelles et du temps donc des ressources permettant l’éloignement du ronronnement citadin permanent. À quand la création d’espaces de silence au sein de nos grandes villes ? Démocratiser le silence me paraît être une urgence de civilisation, aussi médicale qu’existentielle. Et, à nouveau, bercer les patients avec Mozart.