Tu as commencé ta carrière musicale au début des années 90. Quel est ton rapport à la musique ? Comment te situes-tu au niveau du paysage musical français ?
Je ne me situe pas, je laisse les autres me situer. Quand j’ai commencé, je me sentais très isolé et j’avais l’impression que j’avais des points de vue sur la musique et sur la façon de faire un petit peu marginaux. Quand j’en discutais avec des copains musiciens à Nantes, ils ne comprenaient pas très bien où je voulais en venir. J’étais obsédé par l’idée de ne pas se laisser déposséder en studio par les producteurs, par les chansons… donc tout faire soi-même. Aujourd’hui, c’est un peu banal mais à l’époque on considérait que faire un disque, c’était se mettre entre les mains de gens. Donc, je me sentais un petit peu paumé avec des idées assez fortes, un petit peu en marge.
Puis, il y a eu un espèce de tournant au début des années 90 alors que j’étais vraiment déterminé et un petit peu désabusé et qu’en même temps j’avais décidé de continuer de façon complètement autonome. Quelqu’un est arrivé pour me tirer de ma solitude : Vincent du label Lithium. Il m’a laissé entendre, lui qui montait son label à ce moment-là, que c’était recevable par des gens qui ne me connaissaient pas et pas seulement par mes copains, puisqu’il avait envie d’engager son label. Et puis dans le même temps, il y a eu quelques signes, c’est-à-dire des gens comme Philippe Katerine qui était de la même région que moi et qui partageait les mêmes lubies que moi par rapport au matériel, au fait de ne pas remettre sa musique à quelqu’un qui ne la comprendrait pas en studio.
Ensuite il y a eu tout un parcours. Et la scène francophone a énormément évolué. J’ai eu la chance d’arriver dans un moment creux. Un espèce de creux générationnel dans les musiques qui nous intéressent, des gens comme Bashung sans parler des générations d’avant. Et puis des gens de mon âge, à l’époque j’avais 22 – 23 ans, nous n’étions pas représentés musicalement. Et aussi, à l’époque, le français était ringardisé : on considérait que c’était pour la variété sauf à quelques exceptions comme Bashung, Murat, Manset…
Finalement, c’était le moment idéal. On est arrivé très simplement, Philippe et moi, mais avec des idées très arrêtées. On présentait à la fois une image de fragilité totale et en même temps, on était déterminé !
Aujourd’hui, tu as vingt ans de carrière, tu viens de sortir ton 9e album, tu as à la fois cet esprit rock inspiré de l’ère punk, très minimaliste et des textes très poétiques. Assumes-tu cette ambiguïté d’être connu et reconnu et finalement si peu présent dans tout ce qui est média, dans tout ce qui est image ?
C’est en train de changer puisque je suis même passé au journal de TF1 l’autre jour… et je ne considère pas que j’ai été sous-exposé ou discret, je fais de la scène depuis des années… L’image fait partie du système, je n’ai jamais été un type de l’image, je crois. Je n’ai pas non plus cultivé de mystère, j’ai été là où on me proposait d’aller…
Donc ce n’est pas par choix, certains fuient l’univers des médias.
Non, ce sont des coups de béliers qui sont donnés dans le monde des médias pour arriver à imposer quelque chose et maintenant cela commence à porter ses fruits.
Ce n’était donc pas un refus de ta part ?
À un moment donné c’était un refus, vers la deuxième moitié des années 90 où je ne voulais pas participer au jeu médiatique, je voulais tout axer sur la musique. Puis je me suis rendu compte que cela me coupait des gens. À ce moment-là, je me suis coupé de beaucoup de monde un peu sciemment, sans savoir que je me fermais à ce point. Pour les rouvrir, il a fallu donner des coups de bélier. C’était après « La Mémoire neuve », après 1995. J’ai écrit l’album « Remué » en 1999 et c’était le plus dur. C’était une façon autonome encore une fois de revenir aux fondamentaux, à savoir un esprit de contradiction, un esprit d’opposition, et de refus de devenir un énième chanteur de variété. Parce que cela prenait cette tournure-là, parce que la maison de disques flairait que je commençais à vendre des disques, je me suis braqué. Après, je suis revenu mais parce que cela correspondait dans ma vie à des moments un peu houleux, tout allait de paire. C’était ma crise de la trentaine !
Tu ne t’es jamais remis en question en te disant que tu pouvais faire autre chose, du genre : est-ce que c’est vraiment dans la musique que je dois être ?
Ce n’était pas vraiment de savoir si j’avais ma place ou pas, c’était de savoir si j’en avais envie. Il y a eu une année qui était un peu délicate, 1997 – 98 où j’avais du mal à savoir où j’allais… je me disais qu’il y avait quelque chose à faire et que c’était fait. Mais je ne voyais pas quoi faire d’autre.
C’est, que lorsqu’ on considère cela aussi c’est une motivation pour continuer mais je voulais rester sur quelque chose d’un peu idéal artistiquement dans le sens « pas corrompu » et au bout d’un moment je me suis dit que je le regretterais toute ma vie si j’arrêtais. Cela a pris du temps mais à partir du moment où j’ai accepté que ma vie était là et pas ailleurs il n’y a plus eu que des micros-périodes où je me suis dit que j’allais arrêter.
Ce n’était pas une idée de changer de style ou de courant ? Ce n’est pas un questionnement par rapport à cela ?
C’était aussi de savoir ce que j’allais raconter musicalement, textuellement. Je me sentais sec, il a fallu du temps parce que j’étais perturbé par ces histoires d’images justement et je me suis laissé envahir par cela. Et puis de fil en aiguille, j’ai retrouvé le feu sacré.
Avec l’album « Vers Les lueurs », on a l’impression d’un retour aux sources, du rapport à l’environnement, en références aux agressions typiquement urbaines sonores, à la détérioration de la nature, aux changements climatiques, à l’importance de la lumière, à l’envie de quitter la ville,… on a l’impression parfois de retrouver un univers un peu comparable à celui de Mickey 3D ou encore de Florent Marchet ?
Oui… après sur le discours écologisant, pour moi ce sont les deux premières chansons, après il y a beaucoup de références à la nature parce que j’avais envie de dire des choses assez simplement dans le début du disque sur effectivement un refus d’agressions urbaines. Il se trouve que pour des raisons musicales, j’ai mis les deux premières chansons côte à côte et pas tellement pour des raisons thématiques. Et c’est vrai que l’ouverture est très importante et je crois que le discours que ces deux chansons ont, contamine en quelque sorte la perception que les gens ont du disque mais les autres chansons passent et ce n’est pas aussi explicite. Après j’avais envie de ne pas être trop métaphorique par rapport à ces questions-là, c’est un peu naïf…
Ce qu’on retient c’est « tiens, il semble fatigué de la ville ».
Tout y concourrait. Il y a le fait qu’il y a énormément d’instruments à vent, les flûtes… qui peuvent évoquer un certain décor champêtre. C’est assez rigolo parce que juste avant les législatives il y a un député écolo qui a voulu utilisé « Rendez-nous la lumière » mais j’ai refusé parce que pour moi ce n’est pas une prise de parti mais plus un ressentiment, une exaspération, c’était très basique, il n’y a pas de discours. Je ne crois pas à la chanson qui change les consciences.
Ce n’est pas un rien moralisateur ?
Les gens le disent, il doit y avoir un côté comme cela chez moi mais… Ce côté moralisateur, je l’ai à mon corps défendant. C’est l’impératif de la chanson qui amène cela, la chanson aurait dû s’appeler « Rendons-nous la lumière » mais cela sonnait tellement moins bien que c’est une supplique envers n’importe qui, ce n’est pas un dieu, ce n’est pas un gouvernement, c’est plus une façon de dire qu’il y a une certaine laideur dans nos vies qui est environnementale, paysagère, et même morale parce que à un moment donné il est question dans le deuxième couplet de « l’écriture blanche », « des années empilées ». Ce n’est pas politique, c’est une façon de poser la question de ce que l’on fait de nos vies.
Oui, il y a un côté moralisateur mais alors à ce moment-là on ne peut plus rien dire. Mais je crois que c’est l’impératif qui amène la perception… parce que par ailleurs, il n’y a pas de solutions présentées. Et puis, il y a cette nuance dans le refrain : c’est « si le monde était beau », il n’était peut-être pas plus beau avant. Je ne suis pas un apologue du « c’était mieux avant » je n’étais pas là, je ne suis là que depuis 43 ans. Simplement sur un certain nombre de plans en tant que par exemple musicien qui arpente un peu les mêmes territoires tout le temps, c’est vrai que le fait de passer de zones industrielles en zones industrielles peut jouer énormément sur la perception que je peux avoir de ce qu’est pour moi le paysage, la ville aujourd’hui dans ce périmètre Belgique-France. Ce que je vois, où je vais, à quel type de paysage je suis confronté et une espèce d’uniformisation de la grisaille en quelque sorte. Il y a des gens qui peuvent me dire que c’est très prêchi-prêcha, que le béton ce n’est pas beau, les zones industrielles ne sont pas belles, etc… oui je le pense mais apparemment le dire frontalement cela pose des soucis à un certain nombre de gens ! C’est tellement basique, c’est un discours qui est un peu trop caricatural sans doute. Comme par ailleurs on me dit souvent que ce que je fais est métaphorique ou codé, là au moins c’est clair.
Tu aimes Bruxelles ?
Pas spécialement. Non, parce que je trouve Bruxelles très isolée. J’aime beaucoup Bruxelles en hiver, c’est une ville d’hiver où on a envie de s’engouffrer. C’est aussi une architecture proche par moment de l’architecture des villes en Angleterre et c’est vrai que pour moi, c’est des lieux d’hiver, des lieux de nuit. Et du coup, je trouve que la ville est vraiment belle et plaisante à ce moment-là.
Sinon, elle n’est pas facile à vivre ?
Si, elle est facile à vivre mais elle est pesante, elle a été dénaturée. J’ai été frappé par cet espèce de terre-plein, rue Royale, la cité administrative, un terre-plein immense avec des bâtiments qui sont complètement à l’abandon, c’est super choquant en plein centre-ville. N’étant pas d’ici, j’ai un regard un peu extérieur et cela me pèse.
Autrement, il y a une douceur de vivre dans les rapports humains qui est vraiment appréciable. Il y a toujours une balance.
Il y a pas mal de chanteurs français qui sont passés au 7e art : Bénabar, Jeanne Balibar, Bashung, cela ne t’a jamais tenté ?
À part Jeanne Balibar ou Reggiani, je n’ai jamais trouvé cela très convaincant. Et puis je n’en ai jamais eu envie bien qu’on me l’ait proposé. Claire Denis me l’a proposé il y a quelques années mais j’ai refusé parce que je ne suis pas un homme d’images, car je n’ai pas envie de jouer, cela m’est étranger, cela ne me tente pas du tout.
Est-ce que tu as un rêve inavoué ?
Non et c’est ce qui est triste. Ce que je dis souvent, c’est que le fait d’avoir fait ce parcours et d’être là depuis vingt ans, cela été beaucoup plus loin que ce que j’imaginais. Je dirais que sur le plan personnel intime, ce sont plutôt des rêves de voyages qui sont encore à réaliser. Mais sur le plan musical, c’est de parvenir à laisser quelque chose de solide derrière moi et si possible en récolter les fruits de mon vivant. Je suis modeste par rapport à mes rêves et je suis un peu triste mais en même temps, ils me dépassent. J’ai simplement envie que mes chansons aillent vers plus de gens parce qu’elles ont cette capacité-là. Et ce qui a peut-être fait barrage jusqu’à présent, c’est moi. Et comme je suis en train de changer et qu’il y a un ressenti par rapport à cela, le ressenti des gens est aussi en train de changer.
Quel est ton type de public ?
Beaucoup de quadragénaires. Souvent des gens de ma génération, qui me suivent depuis longtemps. Il y a une espèce de fidélisation. C’est quelquefois un peu flippant et en même temps très gratifiant parce cela prouve que l’on ne s’est pas totalement fourvoyé. C’est rassurant et il y a l’envie de continuer à surprendre les gens.
Sur le dernier disque-là, c‘est marrant mais il y a beaucoup de gosses qui l’aiment vraiment. C’est nouveau et c’est sans doute les enfants de quadragénaires… mais j’ai beaucoup d’échos sur les gamins qui écoutent spontanément le disque. L’autre fois, un gosse de 11 ans est venu me voir en me regardant très intensément en souriant et il m’a dit : j’adore vos chansons. Cela m’a vraiment fait un drôle d’effet et a été très intense car je n’étais pas préparé à recevoir cela.
Depuis 2 – 3 ans, ce que je fais après les concerts – avant, j’en avais horreur et je n’allais pas spontanément vers les gens – on vend les disques et cela m’a obligé à sortir de ma tanière pour aller à la rencontre des gens qui voulaient parler. Je trouve cela bien parce que quand on fait un concert on est un petit peu dans son monde et pour certains on les vit très mal et les gens le ressentent un peu différemment. On s’enferme facilement dans sa tour d’ivoire en se disant qu’on était très mauvais et nul. Et il suffit d’aller voir les gens pour avoir un autre son de cloche et pour sortir de cet esprit-là aussi. Je suis rarement tombé sur des gens qui disaient que c’était vraiment trop nul. C’est une façon de sortir de sa tour.
Comment te projettes-tu dans la décennie qui vient ?
Continuant, je pense que je suis en train d’asseoir un truc. Par le passé avec un peu moins d’expérience avec un peu plus de jeunesse et d’orgueil, j’ai fermé certaines portes au moment où elles m’étaient grandes ouvertes. En ce moment, les portes sont en train de se rouvrir et j’ai donc envie d’être dans cette dynamique-là et d’être dans un rapport d’engagement par rapport à mon métier. Pas de retrait. J’évoluerais suivant la façon dont ce métier évolue parce qu’on n’est pas indépendant de cela. Je commence à vendre des disques au moment où on n’en vend plus, c’est donc un peu contradictoire mais cela résume bien mon parcours.
C’est dans une forme d’adversité que je me suis la mieux adaptée, révélée et j’aime bien cette idée de ne pas être le cul dans le beurre et resté assis sur ses acquis. Aujourd’hui, il y a des acquis qui sont en train de surgir et j’ai envie de m’en servir pour être ambitieux artistiquement.
Et dans l’immédiat, ce sont des concerts ?
On en finit. On en a quelques-uns dans des festivals. C’est un peu délicat et démoralisant, je reviens d’un festival en Suisse. Quand on est français et pas extrêmement connu et que l’on chante en français au milieu d’anglo-saxons et grosses têtes d’affiche ou encore des moments très festifs, c’est une vraie bataille. J’y vais dans l’espoir de faire découvrir mes chansons, mon univers et en même temps, j’ai l’impression de ne pas faire le poids face à des machines de guerre. En réalité, les gens n’ont pas envie de se prendre la tête avec des chansons comme les miennes donc ils sont là pour s’amuser et j’ai donc vraiment l’impression de venir casser ce type d’ambiance.
Je ne suis pas le seul à le penser. Des gens comme Murat ou même Hubert-Félix Thiéfaine qui est passé à Nyons en début de soirée, ce n’était pas la vedette du jour. C’est aussi lié à ce qu’il fait lui, au type de chansons qu’il propose, les gens se disent qu’ils ne vont pas le proposer à 21h ou 22h. C’est ce rapport qui est compliqué en festivals donc je préfère jouer en salle. C’est là que les choses se passent et puis en salle on a une grosse création au niveau des lumières et si on n’a pas cela c’est 20 % du concert qui part.
As-tu un personnage que tu admires, vis-à-vis duquel tu as une très forte sympathie de longue date ?
Il y en a beaucoup pour lesquels j’ai une sympathie très forte. Alors je dirais sur un plan musical strictement et francophone, il y a des gens comme Gérard Manset. Je l’ai rencontré pour la première fois la semaine dernière dans un ascenseur. Je n’avais pas envie de le rencontrer car je l’avais trop écouté et je ne voulais pas être déçu et finalement ce n’est pas la rencontre de ma vie mais cela m’a quand même fait un sacré quelque chose.
Sinon, ce sont souvent des artistes. Il n’y a pas vraiment quelqu’un que je suis. Il y a des gens que j’aime bien.
Cela peut être aussi un écrivain allemand comme W.G Sebald mais qui est mort.
Je suis en général admiratif par rapport à la musique, politiquement je n’ai pas d’idole, je n’ai jamais été militant. Je peux avoir énormément d’empathie pour certains mais je ne suis pas militant. Tous les chanteurs que j’ai connus ayant suivi par militantisme un homme ou une femme politique s’en sont mordus les doigts, il y a toujours une récupération et ils ont vu l’envers de la médaille, le côté sombre des choses.
Sur le plan politique, qu’est-ce que tu penses du gouvernement français actuel, je pense notamment à Jean-Marc Ayrault ?
Sur le plan du gouvernement, c’est un peu tôt pour juger des résultats. La seule chose c’est que l’on vivait en France dans une gangue extrêmement étouffante une atmosphère très lourde pendant les années Sarkozy avec des glissements qui se sont révélés de plus en plus, en fin de campagne sur des thématiques qui sont toujours là et qui sont toujours inquiétantes, liées à la place de plus en plus prépondérante de l’extrême droite en France. Il y a eu un sentiment de soulagement réel de la part de tas de gens et on ne peut pas dire que la campagne a été placée sous le signe de l’espoir. J’ai rarement et aussi peu entendu ce mot ou l’espérance durant une campagne. Aucun des deux et même les autres candidats ne s’autorisaient à utiliser ce mot-là parce que personne n’y croit plus. C’est un petit peu inquiétant de se dire que l’espoir est une notion qu’on n’ose plus mettre en avant. De ce fait-là, il y a eu aussi un espèce de vote de dépit sans conviction pour Hollande de la part des gens qui voulaient se débarrasser de Sarkozy. Et en même temps j’ai eu l’impression que l’espoir est revenu après coup, avec le soulagement.
C’était d’abord la crainte effectivement que cela ne change pas et que l’on ne parvienne pas à éjecter Sarkozy. Et une fois que cela s’est avéré, les gens ont commencé à réellement espérer en se disant que peut-être les choses allaient finalement changer ?
Oui, après on est dans un modèle social démocrate. Est-ce que l’on reconduit en même temps des choses qui sont en place, on entend toujours des expressions comme « rassurer les marchés » qui pour moi à partir du moment où on entérine le fait que l’objectif d’une politique économique c’est de rassurer les marchés, ce n’est pas un changement ou une révolution, c’est juste d’autres méthodes pour finalement arriver aux mêmes fins. Les méthodes semblent un petit peu moins expéditives et un petit peu plus soucieuses du bien général. Ayrault en tant que Maire est très décrié sur le plan de l’écologie avec cette histoire d’aéroport surnommé « l’Ayrauport » qu’ils veulent implanter en zone rurale d’ailleurs depuis des années et dont personne ne veut. Mais à part cela, sur le plan de gestion de sa ville, il a permis à celle-ci, après des années de gangue de droite où les choses semblaient mortes et étouffantes, de respirer. Cela passe beaucoup par la culture. Ce n’est pas tout mais elle permet de rendre à des vies une saveur particulière, je défends ma chapelle mais je pense que par la culture on peut arriver à amener les gens à penser différemment et à s’exprimer tout simplement. C’est un axe à part.
Est-ce que Jean-Marc Ayrault dans sa ville était quelqu’un qui parlait aux gens ?
Oui, avec une certaine raideur dans son attitude, il a su bien s’entourer surtout et il était très présent. C’est la seule fois de ma vie où j’ai accepté d’apposer ma signature sur une candidature politique parce qu’effectivement si on juge sur pièce… Nantes si elle est ce qu’elle est aujourd’hui c’est une volonté politique derrière tout cela donc il faut l’appuyer. Un Etat c’est différent. Mais en tout cas c’est avec le changement d’atmosphère et de sensation que les choses sont à nouveau possibles et que l’on ne va pas systématiquement vers le pire.
Il y avait une certaine vulgarité et une honte quand Sarkozy est passé et à la longue on se demandait si la France était bien le pays d’où on venait. Après les idées sarkozistes, je trouve qu’il y a une vraie gangrène en France et puis il ne faut pas oublier que le gouvernement de droite a été éjecté d’assez peu. C’est qui est fou, c’est que compte-tenu de tous les dégâts qui ont été causés sur tous les plans tant politique, sociale, du langage et aussi d’une idée de vivre ensemble Sarkozy, avec deux mois de campagne supplémentaires, aurait très bien pu reprendre les rênes du pays. C’est très inquiétant, il n’a pas été laminé et je pense que cela reste une carte à jouer pour l’opposition dans quelques années. Après peut-être qu’il y aura un vrai rejet de ces années-là et que les gens vont réagir et en même temps il y a une telle versatilité, les électeurs n’ont pas de mémoire.
Si tu étais Président, quelles seraient les mesures urgentes que tu prendrais ?
Socialement, ce qu’il faudrait c’est une redistribution et une imposition plus forte. Arrêtons ce discours de : ne faisons pas partir nos forces vives. Ce discours-là comme quoi c’est la porte ouverte à toutes les délocalisations, il faut arrêter.
Les mesures qui ont été prises dans ce sens-là me semblent être ce à quoi je crois. Après je te dirais que j’ai une conscience politique.
Après il y a un terrain sur lequel le temps passe et finalement rien ne se fait vraiment, Je veux parler des gens qui sont dépourvus de tout, des gens dans la rue, sur l’encadrement de ceux-ci, l’extrême précarité.
Finalement les gouvernements défilent, les politiques se succèdent et se suivent et rien ne se passe. Je pense que ce n’est pas un enjeu électoral, ces populations-là tout le monde s’en fout, elles ne votent pas donc il y a un côté marketing. C’est là le côté marketing de la vie politique, c’est le marketing des présidentielles, on s’adresse à une clientèle. Le plus choquant, c’est quand on entend des politiciens dire : « oui, mais on ne va pas prendre cette mesure, nos électeurs ne nous suivraient pas ». Mais le courage d’un homme politique c’est d’imposer son point de vue, ses convictions envers et contre tous sinon la guillotine serait toujours en vigueur et on couperait les couilles des pédophiles !
Sur un autre plan, il y a un livre de François Emmanuel qui avait fait l’objet d’un film super « La Question humaine ». Cela se passe en entreprise, une enquête est menée par un cadre qui va être amené à découvrir les secrets honteux et soigneusement gardés de l’entreprise notamment par rapport à la Seconde Guerre mondiale et il y a tout un discours et une théorie sur le langage en entreprise, l’héritage de ce langage. D’où vient ce langage déshumanisé que l’on entend et qui est adopté dans les entreprises, ce sur quoi il peut déboucher et la mise en parallèle avec des choses qui ont donné lieu historiquement à des catastrophes. Tout cela est intéressant et je pense que le langage est un vrai enjeu politique, c’est pour cela que quand on entend « rassurer les marchés » de la part d’un homme politique, ça me fait mal. Quand j’entends un commentateur économique sur les ondes nationales parler de « rassurer les marchés » comme quelque chose qu’on ne discute pas, qui fait partie de l’ordre des choses, c’est très choquant.
Quelle est ta citation ou ta philosophie préférée ?
Il y a une phrase que j’aime beaucoup qui est encore rattachée à la culture, c’est une phrase de Robert Filliou, un artiste américain qui faisait partie dans les années 60 d’un mouvement artistique qui s’appelait Fluxus et il a dit : « L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art ». C’est un peu mon crédo par rapport à ma vie parce que ma vie est faite autour de cela, autant sur le plan de mon activité que sur le plan de la nourriture spirituelle. Je me nourris sans arrêt de disques, de bouquins, de films et j’en crève quand je n’ai pas cela. Je vis un peu pour cela hormis les relations personnelles, amoureuses, familiales, c’est vrai que toute ma vie s’organise autour de cela et j’ai du mal à m’entendre avec quelqu’un qui n’a pas du tout ce rapport-là parce que sinon cela induit un rapport prosaïque. Je trouve que c’est une façon pour moi idéale de se remettre les pieds sur terre, c’est justement de pouvoir s’en détacher de temps à autre pour souffler.
Quel est le dernier film que tu as vu ?
« Holy Motors » de Leos Carax, et je l’ai vu deux fois. C’est vraiment super et cela faisait longtemps que je n’avais pas vu un film qui m’a autant touché. C’est super poétique et en même temps toutes les séquences sont marquantes. Il y a aussi des gens qui sont très partagés, j’ai entendu dire que c’était un film à sketches, c’est un film branché… C‘est tellement poétique et tellement fort par moment. Je comprends tout à fait que l’on ne soit pas attiré par ce genre de cinéma mais personnellement, cela m’a embarqué.
La première fois, j’ai été le voir seul, puis j’y suis retourné avec ma copine. J’ai eu autant de plaisir à le voir la seconde fois.
Est-ce que tu aurais voulu faire autre chose que chanteur ?
Mon enfance m’a amené vers l’art. Cela n’aurait peut-être pas été chanteur mais sans doute avec les mots. De par mon caractère, je n’aurais pas été ailleurs. Après ma chance, c’est que j’ai pu en vivre. Est-ce que c’est une chance, est-ce que ce n’est pas du volontarisme ? Est-ce que je peux vivre de cela parce que j’ai pu rencontrer une bonne personne, Vincent Chauvier. Je crois un petit peu à cela et en même temps je me dis que si je n’avais pas rencontré Vincent, est-ce que je n’aurais pas rencontré quelqu’un d’autre. Peut-être un peu plus tard.
Je ne pense pas qu’avec ma personnalité, j’aurais pu aller vers autre chose. Après, il y des tas de gens qui font des métiers qu’ils n’aiment pas, donc qui suis-je pour dire cela.
Et dans l’immédiat, ce sont les concerts, d’autres projets ?
Pas de projets, mais j’écris pour des gens, j’écris des chansons pour Saule. J’essaie d’écrire pour Camélia Jordana parce que je trouve que c’est une jeune fille qui a une belle voix et qui a un caractère super trempé, qui est très mature. Elle a vingt ans et elle sait très précisément ce qu’elle veut et en plus elle défend bien ses choix artistiques. Elle va vers des gens comme Bertrand Belin, Mathieu Boogaerts. Je fais partie des gens qui ont découvert Mathieu vraiment sur le tard, c’est un vrai musicien et super créatif.