Dominique A

Rendons-nous la lumière

Photo : Franck Loriou

Domi­nique A est l’un des ini­tia­teurs de ce que l’on appelle la « nou­velle chan­son fran­çaise », celle qui a confir­mé des talents comme Chris­tophe Mios­sec, Tho­mas Fer­sen, Ben­ja­min Bio­lay, Florent Mar­chet ou encore Julien Baer. Amou­reux de l’écriture, de l’art, du grand écran, et doux rêveur, le Nan­tais ins­tal­lé à Bruxelles a aus­si bien les pieds sur terre. Il mesure aujourd’hui sa chance, celle de pou­voir exer­cer le métier qu’il aime et salue les ren­contres qui ont chan­gé sa vie, prend conscience de ses acquis, déter­mi­né qu’il est à s’en ser­vir artis­ti­que­ment. Son tout der­nier album « Vers les lueurs » est une vraie réus­site. Ren­contre avec son auteur.

Tu as commencé ta carrière musicale au début des années 90. Quel est ton rapport à la musique ? Comment te situes-tu au niveau du paysage musical français ?

Je ne me situe pas, je laisse les autres me situer. Quand j’ai com­men­cé, je me sen­tais très iso­lé et j’avais l’impression que j’avais des points de vue sur la musique et sur la façon de faire un petit peu mar­gi­naux. Quand j’en dis­cu­tais avec des copains musi­ciens à Nantes, ils ne com­pre­naient pas très bien où je vou­lais en venir. J’étais obsé­dé par l’idée de ne pas se lais­ser dépos­sé­der en stu­dio par les pro­duc­teurs, par les chan­sons… donc tout faire soi-même. Aujourd’hui, c’est un peu banal mais à l’époque on consi­dé­rait que faire un disque, c’était se mettre entre les mains de gens. Donc, je me sen­tais un petit peu pau­mé avec des idées assez fortes, un petit peu en marge.

Puis, il y a eu un espèce de tour­nant au début des années 90 alors que j’étais vrai­ment déter­mi­né et un petit peu désa­bu­sé et qu’en même temps j’avais déci­dé de conti­nuer de façon com­plè­te­ment auto­nome. Quelqu’un est arri­vé pour me tirer de ma soli­tude : Vincent du label Lithium. Il m’a lais­sé entendre, lui qui mon­tait son label à ce moment-là, que c’était rece­vable par des gens qui ne me connais­saient pas et pas seule­ment par mes copains, puisqu’il avait envie d’engager son label. Et puis dans le même temps, il y a eu quelques signes, c’est-à-dire des gens comme Phi­lippe Kate­rine qui était de la même région que moi et qui par­ta­geait les mêmes lubies que moi par rap­port au maté­riel, au fait de ne pas remettre sa musique à quelqu’un qui ne la com­pren­drait pas en studio.

Ensuite il y a eu tout un par­cours. Et la scène fran­co­phone a énor­mé­ment évo­lué. J’ai eu la chance d’arriver dans un moment creux. Un espèce de creux géné­ra­tion­nel dans les musiques qui nous inté­ressent, des gens comme Bashung sans par­ler des géné­ra­tions d’avant. Et puis des gens de mon âge, à l’époque j’avais 22 – 23 ans, nous n’étions pas repré­sen­tés musi­ca­le­ment. Et aus­si, à l’époque, le fran­çais était rin­gar­di­sé : on consi­dé­rait que c’était pour la varié­té sauf à quelques excep­tions comme Bashung, Murat, Manset…

Fina­le­ment, c’était le moment idéal. On est arri­vé très sim­ple­ment, Phi­lippe et moi, mais avec des idées très arrê­tées. On pré­sen­tait à la fois une image de fra­gi­li­té totale et en même temps, on était déterminé !

Aujourd’hui, tu as vingt ans de carrière, tu viens de sortir ton 9e album, tu as à la fois cet esprit rock inspiré de l’ère punk, très minimaliste et des textes très poétiques. Assumes-tu cette ambiguïté d’être connu et reconnu et finalement si peu présent dans tout ce qui est média, dans tout ce qui est image ?

C’est en train de chan­ger puisque je suis même pas­sé au jour­nal de TF1 l’autre jour… et je ne consi­dère pas que j’ai été sous-expo­sé ou dis­cret, je fais de la scène depuis des années… L’image fait par­tie du sys­tème, je n’ai jamais été un type de l’image, je crois. Je n’ai pas non plus culti­vé de mys­tère, j’ai été là où on me pro­po­sait d’aller…

Donc ce n’est pas par choix, certains fuient l’univers des médias.

Non, ce sont des coups de béliers qui sont don­nés dans le monde des médias pour arri­ver à impo­ser quelque chose et main­te­nant cela com­mence à por­ter ses fruits.

Ce n’était donc pas un refus de ta part ?

À un moment don­né c’était un refus, vers la deuxième moi­tié des années 90 où je ne vou­lais pas par­ti­ci­per au jeu média­tique, je vou­lais tout axer sur la musique. Puis je me suis ren­du compte que cela me cou­pait des gens. À ce moment-là, je me suis cou­pé de beau­coup de monde un peu sciem­ment, sans savoir que je me fer­mais à ce point. Pour les rou­vrir, il a fal­lu don­ner des coups de bélier. C’était après « La Mémoire neuve », après 1995. J’ai écrit l’album « Remué » en 1999 et c’était le plus dur. C’était une façon auto­nome encore une fois de reve­nir aux fon­da­men­taux, à savoir un esprit de contra­dic­tion, un esprit d’opposition, et de refus de deve­nir un énième chan­teur de varié­té. Parce que cela pre­nait cette tour­nure-là, parce que la mai­son de disques flai­rait que je com­men­çais à vendre des disques, je me suis bra­qué. Après, je suis reve­nu mais parce que cela cor­res­pon­dait dans ma vie à des moments un peu hou­leux, tout allait de paire. C’était ma crise de la trentaine !

Tu ne t’es jamais remis en question en te disant que tu pouvais faire autre chose, du genre : est-ce que c’est vraiment dans la musique que je dois être ?

Ce n’était pas vrai­ment de savoir si j’avais ma place ou pas, c’était de savoir si j’en avais envie. Il y a eu une année qui était un peu déli­cate, 1997 – 98 où j’avais du mal à savoir où j’allais… je me disais qu’il y avait quelque chose à faire et que c’était fait. Mais je ne voyais pas quoi faire d’autre.

C’est, que lors­qu’ on consi­dère cela aus­si c’est une moti­va­tion pour conti­nuer mais je vou­lais res­ter sur quelque chose d’un peu idéal artis­ti­que­ment dans le sens « pas cor­rom­pu » et au bout d’un moment je me suis dit que je le regret­te­rais toute ma vie si j’arrêtais. Cela a pris du temps mais à par­tir du moment où j’ai accep­té que ma vie était là et pas ailleurs il n’y a plus eu que des micros-périodes où je me suis dit que j’allais arrêter.

Ce n’était pas une idée de changer de style ou de courant ? Ce n’est pas un questionnement par rapport à cela ?

C’était aus­si de savoir ce que j’allais racon­ter musi­ca­le­ment, tex­tuel­le­ment. Je me sen­tais sec, il a fal­lu du temps parce que j’étais per­tur­bé par ces his­toires d’images jus­te­ment et je me suis lais­sé enva­hir par cela. Et puis de fil en aiguille, j’ai retrou­vé le feu sacré.

Avec l’album « Vers Les lueurs », on a l’impression d’un retour aux sources, du rapport à l’environnement, en références aux agressions typiquement urbaines sonores, à la détérioration de la nature, aux changements climatiques, à l’importance de la lumière, à l’envie de quitter la ville,… on a l’impression parfois de retrouver un univers un peu comparable à celui de Mickey 3D ou encore de Florent Marchet ?

Oui… après sur le dis­cours éco­lo­gi­sant, pour moi ce sont les deux pre­mières chan­sons, après il y a beau­coup de réfé­rences à la nature parce que j’avais envie de dire des choses assez sim­ple­ment dans le début du disque sur effec­ti­ve­ment un refus d’agressions urbaines. Il se trouve que pour des rai­sons musi­cales, j’ai mis les deux pre­mières chan­sons côte à côte et pas tel­le­ment pour des rai­sons thé­ma­tiques. Et c’est vrai que l’ouverture est très impor­tante et je crois que le dis­cours que ces deux chan­sons ont, conta­mine en quelque sorte la per­cep­tion que les gens ont du disque mais les autres chan­sons passent et ce n’est pas aus­si expli­cite. Après j’avais envie de ne pas être trop méta­pho­rique par rap­port à ces ques­tions-là, c’est un peu naïf…

Ce qu’on retient c’est « tiens, il semble fatigué de la ville ».

Tout y concour­rait. Il y a le fait qu’il y a énor­mé­ment d’instruments à vent, les flûtes… qui peuvent évo­quer un cer­tain décor cham­pêtre. C’est assez rigo­lo parce que juste avant les légis­la­tives il y a un dépu­té éco­lo qui a vou­lu uti­li­sé « Ren­dez-nous la lumière » mais j’ai refu­sé parce que pour moi ce n’est pas une prise de par­ti mais plus un res­sen­ti­ment, une exas­pé­ra­tion, c’était très basique, il n’y a pas de dis­cours. Je ne crois pas à la chan­son qui change les consciences.

Ce n’est pas un rien moralisateur ?

Les gens le disent, il doit y avoir un côté comme cela chez moi mais… Ce côté mora­li­sa­teur, je l’ai à mon corps défen­dant. C’est l’impératif de la chan­son qui amène cela, la chan­son aurait dû s’appeler « Ren­dons-nous la lumière » mais cela son­nait tel­le­ment moins bien que c’est une sup­plique envers n’importe qui, ce n’est pas un dieu, ce n’est pas un gou­ver­ne­ment, c’est plus une façon de dire qu’il y a une cer­taine lai­deur dans nos vies qui est envi­ron­ne­men­tale, pay­sa­gère, et même morale parce que à un moment don­né il est ques­tion dans le deuxième cou­plet de « l’écriture blanche », « des années empi­lées ». Ce n’est pas poli­tique, c’est une façon de poser la ques­tion de ce que l’on fait de nos vies.

Oui, il y a un côté mora­li­sa­teur mais alors à ce moment-là on ne peut plus rien dire. Mais je crois que c’est l’impératif qui amène la per­cep­tion… parce que par ailleurs, il n’y a pas de solu­tions pré­sen­tées. Et puis, il y a cette nuance dans le refrain : c’est « si le monde était beau », il n’était peut-être pas plus beau avant. Je ne suis pas un apo­logue du « c’était mieux avant » je n’étais pas là, je ne suis là que depuis 43 ans. Sim­ple­ment sur un cer­tain nombre de plans en tant que par exemple musi­cien qui arpente un peu les mêmes ter­ri­toires tout le temps, c’est vrai que le fait de pas­ser de zones indus­trielles en zones indus­trielles peut jouer énor­mé­ment sur la per­cep­tion que je peux avoir de ce qu’est pour moi le pay­sage, la ville aujourd’hui dans ce péri­mètre Bel­gique-France. Ce que je vois, où je vais, à quel type de pay­sage je suis confron­té et une espèce d’uniformisation de la gri­saille en quelque sorte. Il y a des gens qui peuvent me dire que c’est très prê­chi-prê­cha, que le béton ce n’est pas beau, les zones indus­trielles ne sont pas belles, etc… oui je le pense mais appa­rem­ment le dire fron­ta­le­ment cela pose des sou­cis à un cer­tain nombre de gens ! C’est tel­le­ment basique, c’est un dis­cours qui est un peu trop cari­ca­tu­ral sans doute. Comme par ailleurs on me dit sou­vent que ce que je fais est méta­pho­rique ou codé, là au moins c’est clair.

Tu aimes Bruxelles ?

Pas spé­cia­le­ment. Non, parce que je trouve Bruxelles très iso­lée. J’aime beau­coup Bruxelles en hiver, c’est une ville d’hiver où on a envie de s’engouffrer. C’est aus­si une archi­tec­ture proche par moment de l’architecture des villes en Angle­terre et c’est vrai que pour moi, c’est des lieux d’hiver, des lieux de nuit. Et du coup, je trouve que la ville est vrai­ment belle et plai­sante à ce moment-là.

Sinon, elle n’est pas facile à vivre ?

Si, elle est facile à vivre mais elle est pesante, elle a été déna­tu­rée. J’ai été frap­pé par cet espèce de terre-plein, rue Royale, la cité admi­nis­tra­tive, un terre-plein immense avec des bâti­ments qui sont com­plè­te­ment à l’abandon, c’est super cho­quant en plein centre-ville. N’étant pas d’ici, j’ai un regard un peu exté­rieur et cela me pèse.

Autre­ment, il y a une dou­ceur de vivre dans les rap­ports humains qui est vrai­ment appré­ciable. Il y a tou­jours une balance.

Il y a pas mal de chanteurs français qui sont passés au 7e art : Bénabar, Jeanne Balibar, Bashung, cela ne t’a jamais tenté ?

À part Jeanne Bali­bar ou Reg­gia­ni, je n’ai jamais trou­vé cela très convain­cant. Et puis je n’en ai jamais eu envie bien qu’on me l’ait pro­po­sé. Claire Denis me l’a pro­po­sé il y a quelques années mais j’ai refu­sé parce que je ne suis pas un homme d’images, car je n’ai pas envie de jouer, cela m’est étran­ger, cela ne me tente pas du tout.

Est-ce que tu as un rêve inavoué ?

Non et c’est ce qui est triste. Ce que je dis sou­vent, c’est que le fait d’avoir fait ce par­cours et d’être là depuis vingt ans, cela été beau­coup plus loin que ce que j’imaginais. Je dirais que sur le plan per­son­nel intime, ce sont plu­tôt des rêves de voyages qui sont encore à réa­li­ser. Mais sur le plan musi­cal, c’est de par­ve­nir à lais­ser quelque chose de solide der­rière moi et si pos­sible en récol­ter les fruits de mon vivant. Je suis modeste par rap­port à mes rêves et je suis un peu triste mais en même temps, ils me dépassent. J’ai sim­ple­ment envie que mes chan­sons aillent vers plus de gens parce qu’elles ont cette capa­ci­té-là. Et ce qui a peut-être fait bar­rage jusqu’à pré­sent, c’est moi. Et comme je suis en train de chan­ger et qu’il y a un res­sen­ti par rap­port à cela, le res­sen­ti des gens est aus­si en train de changer.

Quel est ton type de public ?

Beau­coup de qua­dra­gé­naires. Sou­vent des gens de ma géné­ra­tion, qui me suivent depuis long­temps. Il y a une espèce de fidé­li­sa­tion. C’est quel­que­fois un peu flip­pant et en même temps très gra­ti­fiant parce cela prouve que l’on ne s’est pas tota­le­ment four­voyé. C’est ras­su­rant et il y a l’envie de conti­nuer à sur­prendre les gens.

Sur le der­nier disque-là, c‘est mar­rant mais il y a beau­coup de gosses qui l’aiment vrai­ment. C’est nou­veau et c’est sans doute les enfants de qua­dra­gé­naires… mais j’ai beau­coup d’échos sur les gamins qui écoutent spon­ta­né­ment le disque. L’autre fois, un gosse de 11 ans est venu me voir en me regar­dant très inten­sé­ment en sou­riant et il m’a dit : j’adore vos chan­sons. Cela m’a vrai­ment fait un drôle d’effet et a été très intense car je n’étais pas pré­pa­ré à rece­voir cela.

Depuis 2 – 3 ans, ce que je fais après les concerts – avant, j’en avais hor­reur et je n’allais pas spon­ta­né­ment vers les gens – on vend les disques et cela m’a obli­gé à sor­tir de ma tanière pour aller à la ren­contre des gens qui vou­laient par­ler. Je trouve cela bien parce que quand on fait un concert on est un petit peu dans son monde et pour cer­tains on les vit très mal et les gens le res­sentent un peu dif­fé­rem­ment. On s’enferme faci­le­ment dans sa tour d’ivoire en se disant qu’on était très mau­vais et nul. Et il suf­fit d’aller voir les gens pour avoir un autre son de cloche et pour sor­tir de cet esprit-là aus­si. Je suis rare­ment tom­bé sur des gens qui disaient que c’était vrai­ment trop nul. C’est une façon de sor­tir de sa tour.

Comment te projettes-tu dans la décennie qui vient ?

Conti­nuant, je pense que je suis en train d’asseoir un truc. Par le pas­sé avec un peu moins d’expérience avec un peu plus de jeu­nesse et d’orgueil, j’ai fer­mé cer­taines portes au moment où elles m’étaient grandes ouvertes. En ce moment, les portes sont en train de se rou­vrir et j’ai donc envie d’être dans cette dyna­mique-là et d’être dans un rap­port d’engagement par rap­port à mon métier. Pas de retrait. J’évoluerais sui­vant la façon dont ce métier évo­lue parce qu’on n’est pas indé­pen­dant de cela. Je com­mence à vendre des disques au moment où on n’en vend plus, c’est donc un peu contra­dic­toire mais cela résume bien mon parcours.

C’est dans une forme d’adversité que je me suis la mieux adap­tée, révé­lée et j’aime bien cette idée de ne pas être le cul dans le beurre et res­té assis sur ses acquis. Aujourd’hui, il y a des acquis qui sont en train de sur­gir et j’ai envie de m’en ser­vir pour être ambi­tieux artistiquement.

Et dans l’immédiat, ce sont des concerts ?

On en finit. On en a quelques-uns dans des fes­ti­vals. C’est un peu déli­cat et démo­ra­li­sant, je reviens d’un fes­ti­val en Suisse. Quand on est fran­çais et pas extrê­me­ment connu et que l’on chante en fran­çais au milieu d’anglo-saxons et grosses têtes d’affiche ou encore des moments très fes­tifs, c’est une vraie bataille. J’y vais dans l’espoir de faire décou­vrir mes chan­sons, mon uni­vers et en même temps, j’ai l’impression de ne pas faire le poids face à des machines de guerre. En réa­li­té, les gens n’ont pas envie de se prendre la tête avec des chan­sons comme les miennes donc ils sont là pour s’amuser et j’ai donc vrai­ment l’impression de venir cas­ser ce type d’ambiance.

Je ne suis pas le seul à le pen­ser. Des gens comme Murat ou même Hubert-Félix Thié­faine qui est pas­sé à Nyons en début de soi­rée, ce n’était pas la vedette du jour. C’est aus­si lié à ce qu’il fait lui, au type de chan­sons qu’il pro­pose, les gens se disent qu’ils ne vont pas le pro­po­ser à 21h ou 22h. C’est ce rap­port qui est com­pli­qué en fes­ti­vals donc je pré­fère jouer en salle. C’est là que les choses se passent et puis en salle on a une grosse créa­tion au niveau des lumières et si on n’a pas cela c’est 20 % du concert qui part.

As-tu un personnage que tu admires, vis-à-vis duquel tu as une très forte sympathie de longue date ?

Il y en a beau­coup pour les­quels j’ai une sym­pa­thie très forte. Alors je dirais sur un plan musi­cal stric­te­ment et fran­co­phone, il y a des gens comme Gérard Man­set. Je l’ai ren­con­tré pour la pre­mière fois la semaine der­nière dans un ascen­seur. Je n’avais pas envie de le ren­con­trer car je l’avais trop écou­té et je ne vou­lais pas être déçu et fina­le­ment ce n’est pas la ren­contre de ma vie mais cela m’a quand même fait un sacré quelque chose.

Sinon, ce sont sou­vent des artistes. Il n’y a pas vrai­ment quelqu’un que je suis. Il y a des gens que j’aime bien.

Cela peut être aus­si un écri­vain alle­mand comme W.G Sebald mais qui est mort.

Je suis en géné­ral admi­ra­tif par rap­port à la musique, poli­ti­que­ment je n’ai pas d’idole, je n’ai jamais été mili­tant. Je peux avoir énor­mé­ment d’empathie pour cer­tains mais je ne suis pas mili­tant. Tous les chan­teurs que j’ai connus ayant sui­vi par mili­tan­tisme un homme ou une femme poli­tique s’en sont mor­dus les doigts, il y a tou­jours une récu­pé­ra­tion et ils ont vu l’envers de la médaille, le côté sombre des choses.

Sur le plan politique, qu’est-ce que tu penses du gouvernement français actuel, je pense notamment à Jean-Marc Ayrault ?

Sur le plan du gou­ver­ne­ment, c’est un peu tôt pour juger des résul­tats. La seule chose c’est que l’on vivait en France dans une gangue extrê­me­ment étouf­fante une atmo­sphère très lourde pen­dant les années Sar­ko­zy avec des glis­se­ments qui se sont révé­lés de plus en plus, en fin de cam­pagne sur des thé­ma­tiques qui sont tou­jours là et qui sont tou­jours inquié­tantes, liées à la place de plus en plus pré­pon­dé­rante de l’extrême droite en France. Il y a eu un sen­ti­ment de sou­la­ge­ment réel de la part de tas de gens et on ne peut pas dire que la cam­pagne a été pla­cée sous le signe de l’espoir. J’ai rare­ment et aus­si peu enten­du ce mot ou l’espérance durant une cam­pagne. Aucun des deux et même les autres can­di­dats ne s’autorisaient à uti­li­ser ce mot-là parce que per­sonne n’y croit plus. C’est un petit peu inquié­tant de se dire que l’espoir est une notion qu’on n’ose plus mettre en avant. De ce fait-là, il y a eu aus­si un espèce de vote de dépit sans convic­tion pour Hol­lande de la part des gens qui vou­laient se débar­ras­ser de Sar­ko­zy. Et en même temps j’ai eu l’impression que l’espoir est reve­nu après coup, avec le soulagement.

C’était d’abord la crainte effectivement que cela ne change pas et que l’on ne parvienne pas à éjecter Sarkozy. Et une fois que cela s’est avéré, les gens ont commencé à réellement espérer en se disant que peut-être les choses allaient finalement changer ?

Oui, après on est dans un modèle social démo­crate. Est-ce que l’on recon­duit en même temps des choses qui sont en place, on entend tou­jours des expres­sions comme « ras­su­rer les mar­chés » qui pour moi à par­tir du moment où on enté­rine le fait que l’objectif d’une poli­tique éco­no­mique c’est de ras­su­rer les mar­chés, ce n’est pas un chan­ge­ment ou une révo­lu­tion, c’est juste d’autres méthodes pour fina­le­ment arri­ver aux mêmes fins. Les méthodes semblent un petit peu moins expé­di­tives et un petit peu plus sou­cieuses du bien géné­ral. Ayrault en tant que Maire est très décrié sur le plan de l’écologie avec cette his­toire d’aéroport sur­nom­mé « l’Ayrauport » qu’ils veulent implan­ter en zone rurale d’ailleurs depuis des années et dont per­sonne ne veut. Mais à part cela, sur le plan de ges­tion de sa ville, il a per­mis à celle-ci, après des années de gangue de droite où les choses sem­blaient mortes et étouf­fantes, de res­pi­rer. Cela passe beau­coup par la culture. Ce n’est pas tout mais elle per­met de rendre à des vies une saveur par­ti­cu­lière, je défends ma cha­pelle mais je pense que par la culture on peut arri­ver à ame­ner les gens à pen­ser dif­fé­rem­ment et à s’exprimer tout sim­ple­ment. C’est un axe à part.

Est-ce que Jean-Marc Ayrault dans sa ville était quelqu’un qui parlait aux gens ?

Oui, avec une cer­taine rai­deur dans son atti­tude, il a su bien s’entourer sur­tout et il était très pré­sent. C’est la seule fois de ma vie où j’ai accep­té d’apposer ma signa­ture sur une can­di­da­ture poli­tique parce qu’effectivement si on juge sur pièce… Nantes si elle est ce qu’elle est aujourd’hui c’est une volon­té poli­tique der­rière tout cela donc il faut l’appuyer. Un Etat c’est dif­fé­rent. Mais en tout cas c’est avec le chan­ge­ment d’atmosphère et de sen­sa­tion que les choses sont à nou­veau pos­sibles et que l’on ne va pas sys­té­ma­ti­que­ment vers le pire.

Il y avait une cer­taine vul­ga­ri­té et une honte quand Sar­ko­zy est pas­sé et à la longue on se deman­dait si la France était bien le pays d’où on venait. Après les idées sar­ko­zistes, je trouve qu’il y a une vraie gan­grène en France et puis il ne faut pas oublier que le gou­ver­ne­ment de droite a été éjec­té d’assez peu. C’est qui est fou, c’est que compte-tenu de tous les dégâts qui ont été cau­sés sur tous les plans tant poli­tique, sociale, du lan­gage et aus­si d’une idée de vivre ensemble Sar­ko­zy, avec deux mois de cam­pagne sup­plé­men­taires, aurait très bien pu reprendre les rênes du pays. C’est très inquié­tant, il n’a pas été lami­né et je pense que cela reste une carte à jouer pour l’opposition dans quelques années. Après peut-être qu’il y aura un vrai rejet de ces années-là et que les gens vont réagir et en même temps il y a une telle ver­sa­ti­li­té, les élec­teurs n’ont pas de mémoire.

Si tu étais Président, quelles seraient les mesures urgentes que tu prendrais ?

Socia­le­ment, ce qu’il fau­drait c’est une redis­tri­bu­tion et une impo­si­tion plus forte. Arrê­tons ce dis­cours de : ne fai­sons pas par­tir nos forces vives. Ce dis­cours-là comme quoi c’est la porte ouverte à toutes les délo­ca­li­sa­tions, il faut arrêter.

Les mesures qui ont été prises dans ce sens-là me semblent être ce à quoi je crois. Après je te dirais que j’ai une conscience politique.

Après il y a un ter­rain sur lequel le temps passe et fina­le­ment rien ne se fait vrai­ment, Je veux par­ler des gens qui sont dépour­vus de tout, des gens dans la rue, sur l’encadrement de ceux-ci, l’extrême précarité.

Fina­le­ment les gou­ver­ne­ments défilent, les poli­tiques se suc­cèdent et se suivent et rien ne se passe. Je pense que ce n’est pas un enjeu élec­to­ral, ces popu­la­tions-là tout le monde s’en fout, elles ne votent pas donc il y a un côté mar­ke­ting. C’est là le côté mar­ke­ting de la vie poli­tique, c’est le mar­ke­ting des pré­si­den­tielles, on s’adresse à une clien­tèle. Le plus cho­quant, c’est quand on entend des poli­ti­ciens dire : « oui, mais on ne va pas prendre cette mesure, nos élec­teurs ne nous sui­vraient pas ». Mais le cou­rage d’un homme poli­tique c’est d’imposer son point de vue, ses convic­tions envers et contre tous sinon la guillo­tine serait tou­jours en vigueur et on cou­pe­rait les couilles des pédophiles !

Sur un autre plan, il y a un livre de Fran­çois Emma­nuel qui avait fait l’objet d’un film super « La Ques­tion humaine ». Cela se passe en entre­prise, une enquête est menée par un cadre qui va être ame­né à décou­vrir les secrets hon­teux et soi­gneu­se­ment gar­dés de l’entreprise notam­ment par rap­port à la Seconde Guerre mon­diale et il y a tout un dis­cours et une théo­rie sur le lan­gage en entre­prise, l’héritage de ce lan­gage. D’où vient ce lan­gage déshu­ma­ni­sé que l’on entend et qui est adop­té dans les entre­prises, ce sur quoi il peut débou­cher et la mise en paral­lèle avec des choses qui ont don­né lieu his­to­ri­que­ment à des catas­trophes. Tout cela est inté­res­sant et je pense que le lan­gage est un vrai enjeu poli­tique, c’est pour cela que quand on entend « ras­su­rer les mar­chés » de la part d’un homme poli­tique, ça me fait mal. Quand j’entends un com­men­ta­teur éco­no­mique sur les ondes natio­nales par­ler de « ras­su­rer les mar­chés » comme quelque chose qu’on ne dis­cute pas, qui fait par­tie de l’ordre des choses, c’est très choquant.

Quelle est ta citation ou ta philosophie préférée ?

Il y a une phrase que j’aime beau­coup qui est encore rat­ta­chée à la culture, c’est une phrase de Robert Filliou, un artiste amé­ri­cain qui fai­sait par­tie dans les années 60 d’un mou­ve­ment artis­tique qui s’appelait Fluxus et il a dit : « L’art est ce qui rend la vie plus inté­res­sante que l’art ». C’est un peu mon cré­do par rap­port à ma vie parce que ma vie est faite autour de cela, autant sur le plan de mon acti­vi­té que sur le plan de la nour­ri­ture spi­ri­tuelle. Je me nour­ris sans arrêt de disques, de bou­quins, de films et j’en crève quand je n’ai pas cela. Je vis un peu pour cela hor­mis les rela­tions per­son­nelles, amou­reuses, fami­liales, c’est vrai que toute ma vie s’organise autour de cela et j’ai du mal à m’entendre avec quelqu’un qui n’a pas du tout ce rap­port-là parce que sinon cela induit un rap­port pro­saïque. Je trouve que c’est une façon pour moi idéale de se remettre les pieds sur terre, c’est jus­te­ment de pou­voir s’en déta­cher de temps à autre pour souffler.

Quel est le dernier film que tu as vu ?

« Holy Motors » de Leos Carax, et je l’ai vu deux fois. C’est vrai­ment super et cela fai­sait long­temps que je n’avais pas vu un film qui m’a autant tou­ché. C’est super poé­tique et en même temps toutes les séquences sont mar­quantes. Il y a aus­si des gens qui sont très par­ta­gés, j’ai enten­du dire que c’était un film à sketches, c’est un film bran­ché… C‘est tel­le­ment poé­tique et tel­le­ment fort par moment. Je com­prends tout à fait que l’on ne soit pas atti­ré par ce genre de ciné­ma mais per­son­nel­le­ment, cela m’a embarqué.

La pre­mière fois, j’ai été le voir seul, puis j’y suis retour­né avec ma copine. J’ai eu autant de plai­sir à le voir la seconde fois.

Est-ce que tu aurais voulu faire autre chose que chanteur ?

Mon enfance m’a ame­né vers l’art. Cela n’aurait peut-être pas été chan­teur mais sans doute avec les mots. De par mon carac­tère, je n’aurais pas été ailleurs. Après ma chance, c’est que j’ai pu en vivre. Est-ce que c’est une chance, est-ce que ce n’est pas du volon­ta­risme ? Est-ce que je peux vivre de cela parce que j’ai pu ren­con­trer une bonne per­sonne, Vincent Chau­vier. Je crois un petit peu à cela et en même temps je me dis que si je n’avais pas ren­con­tré Vincent, est-ce que je n’aurais pas ren­con­tré quelqu’un d’autre. Peut-être un peu plus tard.

Je ne pense pas qu’avec ma per­son­na­li­té, j’aurais pu aller vers autre chose. Après, il y des tas de gens qui font des métiers qu’ils n’aiment pas, donc qui suis-je pour dire cela.

Et dans l’immédiat, ce sont les concerts, d’autres projets ?

Pas de pro­jets, mais j’écris pour des gens, j’écris des chan­sons pour Saule. J’essaie d’écrire pour Camé­lia Jor­da­na parce que je trouve que c’est une jeune fille qui a une belle voix et qui a un carac­tère super trem­pé, qui est très mature. Elle a vingt ans et elle sait très pré­ci­sé­ment ce qu’elle veut et en plus elle défend bien ses choix artis­tiques. Elle va vers des gens comme Ber­trand Belin, Mathieu Boo­gaerts. Je fais par­tie des gens qui ont décou­vert Mathieu vrai­ment sur le tard, c’est un vrai musi­cien et super créatif.

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