Revenons sur votre parcours personnel. Vous ne vous attendiez pas à devenir ministre de la Culture ?
Ni ministre tout court parce que ce n’était pas du tout mon ambition au moment de ma candidature aux élections régionales de 2004. Quand mon nom a circulé dans les médias quelques jours avant la nomination des ministres, je me suis dit : « C’est impossible… » Et puis il y a ce coup de fil du parti le jour de la désignation des ministres. Et cette chose est devenue réalité.
Pour autant, j’avais déjà travaillé dans ce secteur. J’avais été juriste dans deux cabinets ministériels qui s’occupaient de Culture notamment. Et donc, en toute logique, pourquoi pas ? Je ne suis ni artiste ni actrice culturelle à la base, c’est vrai, mais il ne faut pas être médecin pour être Ministre de la Santé.
Votre désignation a suscité pas mal de commentaires, parfois très négatifs…
Oui, surtout sur le fait que je sois d’origine arabo-musulmane. Parce que la Culture belge jusqu’alors était gérée par des personnalités qui étaient Belges de souche. Si j’avais été désignée autre part, cela aurait peut-être été moins problématique. La culture fait tellement partie de l’identité d’une nation, d’une communauté, que cela entraîne des questionnements. En France, il aurait été inimaginable à l’époque qu’une femme comme moi soit désignée ministre de la Culture. Par contre avec Rachida Dati à la Justice par exemple, il y avait moins ce lien d’identité.
On se souvient aussi de commentaires carrément machistes…
Toutes les femmes connaissent cela quand elles sont nommées à des fonctions importantes. D’une femme on se demande toujours ce qu’elle a fait avant ; d’un homme on se demande ce qu’il va faire maintenant. On est dans une discrimination permanente. Mais on a heureusement des exemples positifs de femmes qui sont aux plus hautes responsabilités comme Laurette Onkelinx ou Joëlle Milquet, qui démontrent qu’être femme c’est aussi être de tous les combats et ne pas avoir peur d’affronter toutes les responsabilités. Les femmes seront toujours suspectées d’incompétence, on a intérêt à ne pas se planter sur un dossier parce qu’on nous le fait payer de manière terrible.
C’est vrai pour le physique aussi. Les médias ou les commentateurs font rarement allusion à au physique de mes collègues masculins. Par contre, pour les femmes, on dit qu’elles ont l’air « très fatiguées », « beaucoup vieillies », etc. C’est révoltant ! Je pense qu’il faudra encore du travail pour que l’ensemble des citoyens, des commentateurs politiques, des commentateurs de la presse acceptent cette idée qu’être une femme ce n’est pas une tare, ce n’est pas quelque chose de dramatique. On peut bien faire son boulot aussi bien qu’un homme et parfois même mieux.
Pour votre famille, votre nomination ce fut aussi une fameuse surprise, non ?
Après ma rhéto, je suis allée à l’université, c’était à chaque fois des étapes incroyables, extraordinaires dans l’esprit de ma famille. Mes parents sont des gens simples et modestes, arrivés en Belgique dans les années 60. Mon père a toujours été de toutes les campagnes électorales, courant de magasin en magasin pour essayer de trouver une petite place sur la vitrine pour y mettre mes affiches. Pour lui, c’était quelque chose de formidable. Puis, quand je deviens ministre, cela devient inimaginable ! Aujourd’hui, mes parents se sont habitués à cela parce qu’ils ont bien compris qu’être ministre ce n’est pas vivre dans un monde à part, c’est un travail comme un autre, au service des citoyens et qu’il faut le faire avec beaucoup de sérieux.
Et les réactions dans la communauté maghrébine de Bruxelles ?
Ma désignation a été ressentie comme un souffle d’espoir. Un signal fort. Le PS voulait donner ce signal fort à la communauté maghrébine sachant que c’est une communauté qui portait de manière très forte le PS en Wallonie et à Bruxelles. Les citoyens maghrébins l’ont compris comme étant une réponse à leur investissement, à leur soutien au PS.
En même temps, pour beaucoup de parents, je suis un exemple positif pour leurs enfants. La Belgique est un pays de tous les possibles, c’est un pays où l’on peut devenir quelqu’un en travaillant, en faisant un effort, en s’intégrant dans la société mais c’est aussi un pays qui le permet. C’est un pays qui est avant-gardiste par rapport à l’intégration des immigrations même s’il existe encore des discriminations, à l’embauche notamment.
Votre premier mandat démarre très fort avec les Etats généraux de la Culture. Quel bilan tirez-vous de cette expérience ?
Il était important de retourner vers les acteurs culturels et de leur demander comment ils envisageaient de refonder les politiques culturelles.
Il faut se rappeler qu’avant 2004, on avait eu une succession de ministres de la Culture à la Communauté française, avec un éclatement des compétences entre les partis, c’était devenu très compliqué. On a donc trouvé en face de nous des acteurs très en colère. Mais je pense que le fait d’avoir pris le temps de les entendre, de les écouter, et de définir avec eux un certain nombre de priorités, tout cela fut très positif.
J’ai toujours voulu travailler dans la transparence totale par rapport à mes moyens budgétaires. De 2004 à 2009, la situation économique de la Fédération Wallonie-Bruxelles était meilleure, le budget de la Culture a augmenté de plus de 40%. Un contexte favorable que nous ne connaissons plus depuis 2009. Dès l’installation du nouveau gouvernement, nous avons consenti à bien des efforts pour le retour à l’équilibre des finances de la Fédération Wallonie-Bruxelles à l’horizon 2015, et pour participer aux mesures d’assainissement du gouvernement fédéral. Mais mon budget n’a pas diminué comme cela s’est passé dans certains pays européens. Au contraire, il a même augmenté de plus de 10% depuis 2009. Le seul problème c’est que cette augmentation ne permet pas de rencontrer les dépenses incompressibles liées aux reconnaissances de nouveaux opérateurs ou les changements de catégories dans des cadres décrétaux, comme dans les secteurs de l’éducation permanente, des musées ou de la lecture publique, ainsi qu’aux indexations quand elles sont obligatoires. Et elles ne le sont pas toujours malheureusement…
En gros, le budget de la Culture a donc augmenté mais pas de manière suffisante ou satisfaisante. Nous avons dû réaliser des économies dans des budgets extraordinaires ou facultatifs : des budgets consacrés à l’aide aux projets ponctuels, mais surtout aux secteurs des infrastructures et de l’équipement culturels.
Que retiendrez-vous de cette aventure de près de dix ans à la Culture ? C’est tout de même un secteur avec de fortes personnalités, et parfois des égos surdimensionnés, non ?
La Culture, et j’y inclus l’audiovisuel, n’est pas une compétence comme les autres. Je l’ai constaté sous cette législature où j’ai aussi les compétences de l’Egalité des chances et de la Santé. Je vois bien que ma relation avec les acteurs culturels n’est pas la même qu’avec les acteurs des autres secteurs, où les relations sont plus réservées, plus formelles. Dans la Culture, on touche à l’humeur, à l’émotion, à la sensibilité. La relation de la ministre avec l’acteur culturel dépasse toujours la frontière de la relation professionnelle. Cela devient une relation humaine avec beaucoup de sensibilité. Quand je dis à un opérateur culturel que je ne peux pas le soutenir dans un projet, c’est comme si je le réduisais à néant lui-même. Comme si je portais un coup à sa personne. Mais ces relations nous permettent aussi d’être plus proches avec les gens. Comme je suis quelqu’un de simple, d’accès facile, cela entraîne parfois des situations un peu compliquées : quand je ne les soutiens pas, certains opérateurs se sentent trahis…
Les loyautés sont parfois à géométries variables aussi, mais sans doute pas plus que dans d’autres secteurs.
En 2012, lorsque le contexte budgétaire m’a conduit à envisager de réduire les aides à la création théâtrale pour préserver les conventions et les contrats-programmes, la mobilisation du secteur a été forte. J’ai été très positivement impressionnée par la réaction collective des jeunes créateurs. J’ai entendu le message qu’ils m’ont fait passer, et je continue à le relayer auprès de mes collègues du Gouvernement. J’ai moins bien compris celui de certaines grandes institutions, qui se sont exprimées différemment en fonction des moments et des interlocuteurs. Mais l’essentiel était de trouver des solutions, et celles-ci ont été dégagées conformément aux engagements que j’avais pris.
Dans ce contexte de crise, n’êtes-vous pas parfois tentée de dire aux opérateurs : il n’y a pas que la Culture, il y a d’autres secteurs de la société qui souffrent ?
Je l’ai toujours dit. Avant 2013, il n’y a eu aucune économie en Culture puisque nous étions dans une situation économique plutôt favorable. On avait des marges de manœuvre financières. Ce n’est qu’à partir de 2009 que la situation est devenue catastrophique. Mais jusqu’en 2011 – 2012, aucun acteur culturel ne s’est rendu compte que l’on faisait des économies. Les économies étaient faites par qui essentiellement ? Par la RTBF, et puis les communes à travers le moratoire sur les infrastructures. Le moment où les opérateurs se sont rendus compte des économies c’est en 2011 – 2012 quand j’ai dû récupérer une partie des moyens de l’aide à la création. Vous savez, je me suis toujours battue au gouvernement pour devoir faire le moins d’économies possibles, mais je suis aussi consciente que dans le contexte actuel, l’ensemble des secteurs doivent faire des efforts.
Je sais aussi qu’avant 2004, la Culture a toujours été le parent pauvre sur le plan budgétaire, alors, quand on fait une économie, l’effet est tout de suite important. Plus important que des économies dans l’Enseignement où quelques dizaines de millions d’euros pèsent moins sur un budget qui représente près de 70 % du budget global de la Fédération.
Je pense que tout le monde doit faire un effort et qu’il faut tous se dire qu’on aura l’opportunité d’avoir une situation économique meilleure à l’avenir parce que l’exercice qui est réalisé aujourd’hui par le gouvernement fédéral sur l’égide d’Elio Di Rupo, et par les entités fédérées, est un exercice qui permettra vraiment un espace financier positif dans les années à venir. Je sais que les opérateurs culturels ne voient pas leurs moyens indexés tout en devant indexer les salaires ; ils doivent donc rogner sur leur fonctionnement et sur une partie de la création artistique. C’est très compliqué pour les opérateurs, et je le regrette, mais je pense qu’il faut être patient encore quelques années pour pouvoir trouver de nouv
eau un espace financier positif comme on l’a connu de 2004 à 2009.
Il y a toujours eu des tensions dans les politiques culturelles entre les gros opérateurs et puis la création, les formes émergentes… Avez-vous le sentiment d’avoir pu avancer un peu là-dessus ?
Oui. Les grands opérateurs culturels continuent à être soutenus et à développer leurs projets. A côté de cela, il y avait toute une frange d’artistes et d’acteurs culturels qui étaient complètement marginalisés. Je pense notamment au secteur des arts urbains qui était complètement livré à lui-même. Or, il faut qu’il y ait une grande diversité, un véritable pluralisme dans le paysage. Venant d’un milieu modeste, populaire, cette disparité m’a frappée tout de suite. Très vite, on a mis en place des dispositifs adéquats, aujourd’hui on a un budget pour les arts urbains ou pour le rock par exemple. Il fallait redonner leurs lettres de noblesse à des cultures méprisée ou jugées « mineures ».
Dans ces deux législatures, on trouve quelques temps forts : un nouveau décret sur la lecture publique, un nouveau décret qui va être voté sur les centres culturels, un travail de réflexion sur la dimension territoriale, etc. Quel est le bilan ? Pensez-vous avoir marqué des points ? Avez-vous fais évoluer la démocratisation de la culture parce que cela fait partie de l’enjeu mais aussi la démocratie culturelle ? Quel recul avez-vous par rapport à ces grands chantiers ?
Entre 2004 et 2009, j’étais plutôt dans une réflexion par rapport à la Fédération Wallonie-Bruxelles. Pour moi, la Culture, l’Enseignement, le Sport devaient être considérés comme des compétences qui transcendaient les frontières territoriales et régionales. Et je sentais, et ayant des collègues plutôt régionalistes, qu’il y avait un danger par rapport à ces compétences qui touchent à l’humain, qui sont des matières personnalisables. J’ai toujours défendu le lien Wallonie-Bruxelles.
En 2009, je me suis rendu compte qu’il y avait une espèce de disparité entre cette théorie et ce qui se passait sur le terrain. Dans l’enseignement par exemple, on ne tient pas compte suffisamment des réalités territoriales des bassins de chaque région. Quand je dis cela, je ne fais pas de distinction entre Wallons et Bruxellois parce que je pense que les problèmes qui se posent parfois à Bruxelles se posent de la même façon dans les grandes villes wallonnes. Mais ma perception commençant à changer par rapport à l’Enseignement, je me suis dis que c’était peut-être la même chose par rapport à la Culture. Que la ministre de la Culture ne pouvait pas gérer les compétences et les disciplines de la même façon dans les communes urbaines et les communes rurales, dans les grandes villes et les petites villes. Je me suis dis que le lien avec le territoire avait du sens.
Puis il y a eu ce changement d’appellation de la Communauté Française, devenue Fédération Wallonie-Bruxelles. La terminologie territoriale avait du sens. Dans le cahier des charges que l’on s’est fixé dans les politiques culturelles, l’idée du lien territorial était devenue quelque chose de très important. Cela explique la mise en œuvre du chantier des Assises du développement culturel territorial : cette évaluation, cet examen, cette analyse de chaque territoire afin de voir comment la culture y est envisagée. C’est un exercice formidable parce qu’il associe tout le monde, tous les acteurs politiques, les acteurs culturels, les acteurs économiques et sociaux, l’Enseignement. La question c’est : comment peut-on mieux agencer ces politiques culturelles sur chaque territoire en fonction des réalités géographiques, démographiques de chaque entité. C’est quelque chose de vraiment important.
Au début, j’avais peur d’une scission, d’un régionalisme bête et primaire.
Aujourd’hui, je suis plus pour un régionalisme qui soit fédérateur, où on tient compte des réalités territoriales mais en même temps où l’on reste dans ce lien fédéré associant les Bruxellois francophones et les Wallons. C’est essentiel pour redynamiser nos deux régions, pour qu’elles se développent économiquement et socialement.
Il n’y a pas un risque de remontée en puissance des tendances ultra municipalistes ?
Le risque est toujours là. Mais il faut défendre un cadre commun qui fédère l’ensemble des acteurs des deux régions. Il faut le faire dans une solidarité, c’est essentiel. On entend parfois des choses un peu brutales de part et d’autre des frontières régionales mais je suis plutôt quelqu’un de positif et j’ai toujours beaucoup respecté ces liens. Je ne pense pas que l’on puisse dire un jour que j’ai été bruxello-centriste et que j’ai maltraité les Wallons ou les acteurs wallons. J’aime cette fédération qui favorise ces liens entre ses citoyens qui ont la même langue, la même culture, le même enseignement.
Le décret sur lecture publique, c’est plutôt une réussite…
Bien sûr. Il y avait des enjeux importants. Une demande des acteurs de la lecture publique de programmer les choses avec un délai, avec une capacité d’évoluer, de rendre accessible ce patrimoine littéraire, d’être des conseilleurs, d’être des formateurs, des animateurs. Il faut qu’aujourd’hui la bibliothèque soit un lieu de dynamisme culturel. De la même manière que l’on a fait évoluer cet autre opérateur phare qu’est la Médiathèque, devenue aujourd’hui « Point Culture ». Ce sont des lieux qui doivent former, conseiller, diffuser. On sait bien que la culture a évolué et que les supports physiques sont dépassés, qu’aujourd’hui il y a une évolution, que les gens empruntent moins à la médiathèque, que l’on télécharge plus par internet. Il a fallu repenser toutes ces missions parce qu’on avait aussi des personnes qui étaient vraiment des transmetteurs de connaissances et de culture. Je trouve que c’est un métier qui doit absolument servir à l’ensemble des citoyens. J’ai beaucoup d’espoir sur l’évolution de ce métier.
Quels sont vos pires et vos meilleurs souvenirs de Ministre ?
La chose la plus difficile sous cette législature, c’est la situation économique. Même dans le cadre des réunions au Gouvernement, c’est dur entre nous parce que chacun essaie de préserver ses moyens.
Ce que je retiendrais de plus positif, c’est d’avoir pu accompagner certains acteurs culturels dans leurs projets. J’ai parfois eu l’impression de participer un peu à leur bonheur, à leur enthousiasme. Ce sont des choses qui m’ont beaucoup touché. Quand on a mis en place l’ « Espace Magh » par exemple, le centre culturel laïque maghrébin. Il n’y avait pas de lieu pour la diffusion des jeunes belges d’origine maghrébine, certains lieux leur étaient fermés. Heureusement, les choses ont évolué depuis les Etats généraux de la culture, la diversité culturelle est aujourd’hui inscrite dans le contrat-programme de l’ensemble des acteurs culturels.
Et je trouve que cela participe aussi à l’évolution de notre pays, à l’évolution de notre culture qui est brassée, qui s’est mélangée, qui s’est mixifiée. Cela fait du bien, c’est cela la richesse de la diversité culturelle, cela a du sens pour moi.
Justement, à propos de diversité culturelle, parlons de l’international. La convention de l’Unesco est à cet égard un acte important. Mais cela reste un dossier sensible…
En effet. C’est un combat qui existe depuis 1993 quand Elio Di Rupo, sous la présidence belge de l’UE, organise la réunion des ministres de l’audiovisuel à Mons, d’où est née l’idée de l’exception culturelle. Cela fait 20 ans déjà que ce dossier est sur la table. C’est grâce à cela aussi qu’on a pu approuver la convention sur la diversité culturelle à l’Unesco, qui est un peu le nouveau parent de l’exception culturelle. On a changé la terminologie.
Mais aujourd’hui, de nouveau, on remet en cause ce principe dans le cadre de la négociation entre les Etats-Unis et l’Europe. Il faudra rester vigilant par rapport à cette question, la culture n’est pas une marchandise comme une autre. La culture c’est quelque chose qui peut s’échanger, se vendre. Et je suis de celles et ceux qui pensent que le domaine des industries culturelles et créatives est formidable en terme de déploiement économique. Des millions d’européens travaillent dans ce secteur, c’est une nécessité qui développe économiquement et socialement les sociétés. Mais en même temps, on sent bien que certains sont là à l’affût pour essayer mettre en danger ce secteur. Or, si demain les états ne peuvent plus soutenir leur culture, on arrivera à une société complètement uniformisée, standardisée, où il n’y aura que des produits commerciaux qui pourront survivre et tout le reste sera mis de côté. Celui ou celle qui me succédera devra rester vigilant.
Et si vous vous succédiez à vous-même ? Trois mandats c’est impensable ?
Deux mandats, c’est déjà quelque chose d’extraordinaire et d’unique dans notre pays. Cela a permis que l’on puisse travailler dans la confiance. A la fin de la législature précédente, certains acteurs culturels souhaitaient que je sois reconduite dans mes fonctions parce qu’ils appréciaient ce climat de confiance. On se connaissait, on savait où étaient les priorités qu’il fallait réaliser. Maintenant, je pense qu’il est sain qu’il y ait de nouvelles énergies.
Quel est le grand chantier qui reste à accomplir ?
Je pense que le lien entre la Culture et l’Enseignement doit être renforcé et ce, même si avec Marie Arena on a fait adopter le décret culture-école qui a permis de faire revenir la culture dans les établissements scolaires. On est de fait toujours dépendant de la bonne volonté des directions d’établissement qui acceptent ou pas que leur projet pédagogique soit intégré dans un projet culturel. Ce n’est vraiment pas toujours évident.
Il faut qu’au niveau de l’éducation on retrouve cet espace de confrontation à la culture. Quand les enfants et les jeunes sont confrontés à la culture, ils ne peuvent plus vivre sans. Il faut leur donner cette opportunité.
Le rôle de l’éducation permanente ?
C’est le secteur qui a le plus évolué. Il est d’ailleurs devenu numéro 2 dans les budgets de la culture après les arts de la scène. C’est un secteur qui est devenu essentiel dans notre société, à côté des acteurs classiques. C’est un secteur tellement diversifié, qu’il est le plus accessible possible à l’ensemble des citoyens et qui rencontre l’ensemble des besoins des ceux-ci.
Quel livre emporteriez-vous sur une île déserte ?
Celui que j’aime plus que tout : « L’Écume des jours » de Boris Vian. Un classique que j’ai lu et relu.
Un livre plus récent ?
Cet été j’ai lu « La liste de mes envies » de Grégoire Delacourt. L’histoire d’une femme à qui il arrive des choses assez étonnantes ; elle a plus ou moins mon âge. C’était assez rafraîchissant.
Un film ?
Peut-être « La source des femmes » de Radu Mihaileanu, un réalisateur français magnifique. L’histoire se passe au Maroc, les femmes n’ont pas de fontaine dans leur village et elles doivent aller au puits situé à des kilomètres. C’est horrible. Il y a une femme enceinte qui perd son bébé en chutant avec ses seaux… Ces femmes décident de ne plus faire l’amour tant qu’on n’installe pas une fontaine dans leur village.
C’est l’histoire de ces femmes qui mènent un combat. C’est un film plein d’espoir.
Un disque ?
J’aime beaucoup de choses, c’est assez difficile…
C’est un vrai. C’est aussi un jeune gars modeste qui a un talent fou. Il fait tout rimer autour de lui. Qu’on soit flamand, germanophone ou francophone, on chantonne tous ses chansons. Je l’ai rencontré avant qu’il ne devienne la star qu’on connaît aujourd’hui, c’est quelqu’un de très généreux. Quand je lui ai demandé de soutenir la campagne que je lancée sur l’accessibilité des lieux culturels pour les personnes à mobilité réduite, il s’est tout de suite prêté au jeu et il a posé dans une chaise roulante sous le slogan « Alors on danse ? ». J’ai beaucoup d’admiration pour lui. J’espère qu’il continuera à garder les pieds sur terre car c’est un bel exemple de notre Belgique, qui est très à la mode aujourd’hui dans le monde.
D’autres coups de cœur ?
Il y en a tellement ! Selah Sue, j’adore cette chanteuse flamande. Elle participe aussi de cette belgitude. Elle est flamande, elle chante en anglais, elle a un côté universel, rafraîchissant. Je trouve qu’on a de la chance en Belgique d’avoir des artistes qui sont de part et d’autre de la frontière linguistique et qui sont en fait ces ambassadeurs de notre belgitude, j’adore ça et je trouve que c’est une chance. A l’étranger, on ne me parle pas de la culture francophone ou flamande, on me parle de la culture belge, de nos artistes belges, du cinéma belge.
On n’a pas parlé de la RTBF. Ça reste un gros dossier. Vous êtes satisfaites de son évolution ?
Je ne fais jamais de commentaires personnels sur la programmation de la RTBF. J’estime qu’ils sont soumis à un cahier des charges assez important vu leur dotation, mais pour ce qui est de la programmation, j’évite toujours de la commenter parce que j’estime que ce n’est pas le rôle du ministre de tutelle. Il y a des organes de contrôle pour cela, notamment le CSA.
C’est une entreprise qui a évolué et qui évolue avec son temps mais dans un cadre financier limité alors que les missions de service public augmentent de contrat de gestion à contrat de gestion. C’est clair que ce n’est pas facile. C’est une mission un peu compliquée et Jean-Paul Philippot réalise un travail plutôt admirable dans le cadre de son mandat. Mais il faut aussi lui laisser une marge de manœuvre, c’est une entreprise publique autonome, elle doit pouvoir réaliser un certain nombre de missions et le faire avec toute la liberté, mais évidemment dans le respect des législations en vigueur et du cahier des charges qui lui est imposé.
Il est vrai que la Ministre de la Culture n’est pas censée donner son avis. C’est frustrant à la longue ?
J’évite de donner mon avis personnel sur tout et n’importe quoi. Pas simplement parce que je suis ministre de la Culture et que je fais confiance aux instances d’avis. Simplement, j’estime que je ne suis pas là pour donner mon point de vue personnel.
Avec la RTBF, on touche aussi un domaine très sensible parce que c’est un opérateur de radio diffusion, un opérateur audiovisuel mais aussi un opérateur d’informations. Dès que l’on émet une critique ou l’autre, c’est comme si on portait atteinte à la liberté de la presse ou à l’indépendance des journalistes. Je ne me suis jamais permis de prendre mon téléphone pour dire que je n’aimais pas telle ou telle émission !
Un mot sur notre cinéma. Il se porte plutôt bien…
Très bien même. Le cinéma est un secteur qui a évolué positivement parce que beaucoup de gens y ont cru. Feu Henry Ingberg, notre ancien secrétaire général de la Communauté française, était très sensible à ce secteur ; il y est pour beaucoup. C’est un secteur qui est bien soutenu à la fois dans sa dimension créative, artistique et culturelle par la Fédération Wallonie-Bruxelles et par le Centre du cinéma. Et puis par le tax shelter qui est un outil fiscal fédéral et aussi par les dispositifs économiques régionaux que sont Wallonie Image et Bruxelles Image. J’ai eu l’occasion de mettre en place le décret cinéma. Jusqu’alors, avant 2011, toutes les aides qui étaient apportées au cinéma n’étaient pas soumises à des critères objectifs et transparents. On avait une commission, une instance d’avis qui pouvait juger des projets mais ce n’était pas du tout inscrit de manière pérenne et de manière transparente dans un texte. Le décret a objectivé tout cela, permettant à chacun de pouvoir disposer des mêmes informations et de pouvoir postuler à des projets à la fois pour produire des films mais aussi pour développer des salles de cinéma, des festivals, des ateliers de production… Tout est bien ficelé et motivé. Cela permet à chacun de trouver de l’espace financier. Il y a une vraie cohérence. C’est aussi un domaine où la collaboration avec les partenaires flamands fonctionne très bien, comme avec les français, et d’autres pays proches culturellement.
Il n’empêche que le public continue de bouder le cinéma belge en Wallonie et à Bruxelles…
C’est vrai. Culturellement, nous observons tellement ce qui est fait en France. Du coup, on connaît mal ce qui est produit chez nous. Mais on est en train d’évoluer positivement. La mise en place du Prix des Lycéens du Cinéma belge francophone fut une très bonne chose. 5.000 élèves du secondaire ont l’opportunité de découvrir 5 à 6 films par an, de rencontrer les réalisateurs, les acteurs. Quand on organise la remise du prix au Flagey, le star system fonctionne ! Cela existe aussi en Belgique, ces jeunes qui font la file pour un autographe, pour voir les comédiens, les réalisateurs. Il faut continuer à promouvoir notre cinéma par des campagnes de publicité et donner aux gens l’envie de découvrir ce cinéma. Le cinéma belge, ce n’est pas forcément social et emmerdant. Aujourd’hui, on a l’opportunité d’avoir un cinéma qui est joyeux, drôle et populaire. On a ouvert les soutiens à cette diversité. Il faut poursuivre les Magritte du Cinéma. Cela apparaissait un peu bling-bling au départ mais je constate que les opérateurs audiovisuels et la presse se sont saisis aussi de cet évènement comme d’un moment important. Cela met en évidence notre cinéma, nos acteurs, nos réalisateurs, nos producteurs. C’est aussi important d’être fier, je veux que l’ensemble des citoyens soient fiers d’être belges et d’avoir cette culture qui ne se prend pas la tête, qui est modeste et qui en même temps est joyeuse, enthousiaste et intelligente.
Le cinéma, c’est comme les Diables rouges finalement…
Même ceux qui n’aiment pas le foot ont été pris d’émotion lors du match contre l’Ecosse. Certains me disaient avoir eu la chair de poule en voyant le match. Un ami est parti voir le match à Glasgow, et il a été très ému quand les supporters belges ont quitté le stade et que les supporters anglais ont commencé à applaudir, c’était tellement fairplay, c’est génial la Belgique ! J’ai aussi regardé, j’ai un mari et un fils qui sont des fans de foot. C’était vraiment chouette !