Votre appel à un débat autour du protectionnisme en Europe lancé par une carte blanche dans Le Soir a‑t-il été entendu ?
Je ne sais pas si c’est en lien avec ma Carte blanche, autant rester modeste, mais je me réjouis de l’attitude de la Commission et du Commissaire De Gucht face au photovoltaïque chinois d’imposer des droits de douane majorés pour pousser ce secteur à la négociation. Et ce, parce qu’il y avait concurrence déloyale de la part de la Chine. Au-delà de cet exemple, c’est de l’idée d’avoir un juste-échange, qu’on peut appeler protectionnisme, qu’il s’agit. Cela veut dire qu’il faut intervenir de manière ciblée, quand un secteur est indiscutablement touché en Europe par une concurrence déloyale en raison de normes environnementales et sociales dans nos pays ou encore des aides d’État dans d’autres pays qui faussent le marché. L’Europe ne peut pas rester une passoire, être le dindon de la farce avec des normes, dont on peut être fier, mais qui à un moment donné rendent la compétition injuste.
Dans quelle mesure ce « juste échange » est possible dans le cadre européen actuel, fortement libre-échangiste ?
À côté du cadre législatif européen, des traités de libre-échange ont été signés. Ainsi, les règles de l’OMC empêchent de faire ce que l’on veut n’importe comment. Mais on a bien vu avec l’exemple du photovoltaïque que c’est possible de faire autrement. Et cela pourrait aussi se faire dans le cadre de l’acier. En fait, ce n’est jamais qu’une attitude juste de notre part. Se dire que s’il n’y a pas les mêmes règles de concurrence, alors on ajuste à l’entrée. Il y a une vraie fenêtre juridique pour appliquer les choses. D’autres le font d’ailleurs.
Vous pensez à qui ?
Les États-Unis par exemple qui ont eu plusieurs fois des attitudes de protectionnisme chez eux. On a souvent peur de la rétorsion. S’il ne faut pas négliger la réaction possible, cela ne doit pas être un frein à toute action. On ne va pas éternellement se laisser faire !
Il faut aussi dire que le juste échange, par rapport à un libre échange qui laisse tout faire, c’est aussi une manière d’inciter à la négociation, pour insuffler une dynamique de nivellement des normes par le haut au niveau mondial. On fait face à des firmes de dimensions mondiales qui utilisent des avantages dans certains pays en raison de normes sociales quasi inexistantes en termes de sécurité : regardez ce qu’il s’est passé au Bangladesh… On ne peut pas accepter ça. Cela a donc aussi une vocation sociale avec une vision mondiale. Ce sont des prix de transferts au sein de firmes internationales qu’il faut à un moment réguler, en tout cas encadrer. En effet, ces firmes mettent telle production à tel endroit où les normes sociales sont peu contraignantes, transfèrent le produit semi-fini dans tel autre pays, où il y a tel autre avantage d’ordre fiscal pour finalement venir le vendre au marché européen. En fait, il s’agit d’une évasion fiscale, avec une exploitation sociale, avec des normes environnementales qui ne sont pas les mêmes et pas respectées de la même manière partout. On doit réagir, on ne peut pas accepter ça et laisser faire ça. Cela ne doit donc pas viser de manière linéaire telle ou telle région ou pays dans le monde. Ça doit viser des pratiques qui se font dans un secteur particulier, vis-à-vis de produits particuliers.
Quelles sont les filières concernées ?
Le photovoltaïque, l’acier, le textile… partout où l’on constate un compartimentage du cycle de production et de la commercialisation qui est nuisible au niveau de l’économie mondiale.
Est-ce qu’un juste échange pourrait favoriser une réindustrialisation de l’Europe ?
Cela doit y contribuer. Si on ne fait rien, il y aura toujours un pays où cela restera moins cher de produire. Il y aura dès lors une délocalisation pour la fabrication de tout ou partie des produits dans ce pays-là. Il faut remettre sur un pied d’égalité, réduire le différentiel pour maintenir notre industrie et un maximum de maillon de la chaine de notre industrie. Croire qu’on va simplement garder en Europe la haute technologie, la recherche, les cerveaux, l’innovation et que tout sera fabriqué ailleurs, c’est un leurre, car il y aura aussi délocalisation de cela à un moment donné.
Je précise aussi que le protectionnisme n’est pas une attaque sur la compétitivité de nos entreprises ou un appel à un laxisme. Il s’agit de rétablir une certaine justice par rapport à des désavantages concurrentiels au niveau mondial. Par exemple, nous ne pouvons pas en Europe « jouer » sur la monnaie, le taux de change, comme les États-Unis peuvent le faire. Quelques points de différence en termes de taux de change peuvent changer totalement le caractère compétitif de nos entreprises. Et comme nous n’avons pas la même marge de manœuvre au niveau européen qu’aux États-Unis par rapport à notre Banque centrale, c’est un élément qui peut être très dangereux quand l’économie est tout à fait ouverte. Cet élément de faiblesse au niveau monétaire renforce l’utilité des mécanismes de protection.
Comment ce discours est-il accueilli au Parlement européen ?
C’est un discours difficile. Même au sein du groupe socialiste, cela ne fait pas l’unanimité. Certains voient ça comme un élément contraire à la nécessité d’ouverture et d’internationalisation. D’autres pensent que c’est un frein au développement du commerce international, à notre capacité de vendre à l’extérieur. Mais cela fait de plus en plus débat et quand la Commission assume ses responsabilités et décide dans quelques cas de poser l’acte, ça conforte la thèse que cela peut être positif.
Actuellement est négocié entre l’Europe et les États-Unis l’inquiétant TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership), un traité commercial de libre-échange instaurant un « marché commun transatlantique ». Il ouvre la porte à encore plus de libéralisation et risque de menacer le modèle social européen. Quelle est votre position à cet égard ?
J’ai clairement voulu attirer l’attention par rapport à ces risques-là, par rapport à la mise à mal de notre modèle. Notre modèle, c’est un modèle économique, social, culturel, sociétal avec des règles qui ne sont pas les mêmes chez nous qu’aux États-Unis. On est dans deux sociétés différentes. Elles sont peut-être moins éloignées que ne le sont l’Europe et la Chine mais il y a malgré tout des différences.
Il faut certes se mettre autour de la table, il y a un potentiel d’affaires et de relations économiques dans un intérêt réciproque. Mais il faut mettre des barrières, des balises, des garde-fous : affirmons que nous avons un modèle à défendre !
Je suis heureux qu’on ait pu obtenir l’exception culturelle. Il faut garder cette exception culturelle, notre diversité culturelle et notre secteur audiovisuel par rapport aux géants qui existent aux États-Unis. C’est fondamental mais cela ne suffit pas ! On a vu la difficulté d’obtenir certaines garanties vis-à-vis de la culture et je regrette qu’on ne l’ait pas mis dans d’autres domaines. Et c’est pour cela que j’ai voté contre la résolution du Parlement qui fixait sa position à l’égard de la Commission, car elle ne fournissait pas assez de garanties pour baliser les négociations. Maintenant, il n’y a encore rien de mal fait mais je crois que le combat sera important pour sensibiliser comme on l’a fait sur la culture et il faudra sur les autres thèmes de réelles réponses. Le Parlement va suivre de près les négociations, sans avoir de participation, puis il approuvera — ou non – ce traité.
Donc si des clauses étaient intolérables, il pourrait encore être refusé par le Parlement, à la manière de l’ACTA ?
Oui, on pourrait le refuser. C’est un bel exemple.
Est-ce que c’est aussi la position du PS ?
Le PS belge en tout cas observe une grande prudence face à cet accord. Par contre, au sein du groupe « Socialistes & Démocrates » au sein du Parlement européen, les positions sont plus nuancées. Il y en a peu qui sont opposés comme nous. Il y a au contraire un soutien majoritaire au texte même s’il y a une attention portée vis-à-vis des thèmes abordés.