Gand à l’avant-garde des communs urbains

Photo : Nathalie Snauwaert

Les com­muns, c’est la mise en com­mun de la ges­tion de cer­taines res­sources col­lec­tives par des groupes d’habitant·es. À Gand, leurs déve­lop­pe­ments battent leur plein au point de faire de cette ville l’un des phares mon­diaux en la matière. Près de 500 ini­tia­tives com­munes urbaines ont vu le jour en 10 ans ! Elles résultent d’une col­la­bo­ra­tion fruc­tueuse entre la Ville et les « com­mo­neurs », ceux et celles qui col­la­borent à la construc­tion de com­muns. Nous nous sommes entre­te­nus avec Michel Bau­wens, fon­da­teur de la Fon­da­tion P2P, théo­ri­cien renom­mé de l’économie col­la­bo­ra­tive et prin­ci­pal concep­teur et faci­li­ta­teur de ce pro­jet nova­teur se dérou­lant à l’échelle de la ville entière.

Comment s’organisent et se développent les différents projets à Gand ?

Je crois que tout démarre par et se base sur l’action de citoyens et citoyennes qui ont conscience de devoir anti­ci­per les pro­blèmes, ou bien qui veulent trou­ver des solu­tions là où l’État et le Mar­ché ne jouent par leur rôle. Bien sou­vent ces ini­tia­tives sont sou­te­nues par des orga­ni­sa­tions infra­struc­tu­relles, par des ini­tia­tives de la Ville ou par des fonc­tion­naires de bonne volon­té. Ils vont cher­cher des sou­tiens afin de rendre pos­sibles ces pro­jets coopé­ra­tifs. Par exemple pour que des occu­pa­tions tem­po­raires qui sont pro­po­sées soient par la suite sou­te­nues par la Ville. Ces pro­jets com­binent donc auto­no­mie et faci­li­ta­tion par des tiers, par des pro­ces­sus qui ne sont plus ceux des vieilles ONG qui pre­naient tout en main. Ensuite, pour garan­tir leur auto­no­mie et un enga­ge­ment plus pérenne, il n’est par rare que ces ini­tia­tives cherchent à se démar­quer par des acti­vi­tés mar­chandes éthiques et « géné­ra­tives » — l’adjectif « géné­ra­tif » qua­li­fi­fiant des acti­vi­tés éco­no­miques qui enri­chissent les com­muns humains et natu­rels, plu­tôt que de les exploi­ter et les affaiblir.

Le meilleur scé­na­rio pos­sible est celui du Ener­gie­wende, pro­ces­sus de tran­si­tion éner­gé­tique en Alle­magne : des pion­niers montrent le che­min, la sphère publique édicte de nou­velles régu­la­tions en vue de faci­li­ter ces ini­tia­tives. Celles-ci deviennent alors la norme, par le biais d’activités génératives.

Quels sont les initiatives phares qui sont selon vous exemplaires à Gand ?

Par­mi les nom­breuses ini­tia­tives, je cite­rai en tout pre­mier lieu le NEST, une occu­pa­tion tem­po­raire d’une vieille biblio­thèque, qui s’est déve­lop­pée après un appel à la coopé­ra­tion : 70 ini­tia­tives cultu­relles, sociales, socio­cul­tu­relles etc. se sont coor­ga­ni­sées en deux mois. Autres exemples d’occupation tem­po­raires que la Ville pro­pose les « Buren van de Abdij » qui orga­nisent plu­sieurs fois par semaine des acti­vi­tés cultu­relles sur le ter­rain d’une abbaye que la ville ne pou­vait plus entre­te­nir. Mais aus­si, le parc col­lec­tif Drie­mas­ter­park qui ras­semblent de nom­breux habi­tants d’un quar­tier popu­laire autour de la ges­tion com­mune d’un ancien site indus­triel. S’y sont déve­lop­pés une plaine de jeux mais aus­si un jar­din pota­ger, un pou­lailler et un esapce réser­vé aux chiens. Il y en a évi­dem­ment beau­coup d’autres, au niveau de l’alimentation, du co-loge­ment, de la mobi­li­té par­ta­gée, ou de l’approvisionnement en éner­gie comme par exemple Energent. Il s’agit d’une coopé­ra­tive d’énergies renou­ve­lables [qui per­met aux habitant·es d’acquérir à bas prix des pan­neaux solaires reliés en réseau et redis­tri­buant à éga­li­té l’électricité pro­duite par ce réseau à tous les membres de la coopé­ra­tive – même à ceux ayant des orien­ta­tions peu pro­duc­tives NDLR]. 

Qu’est-ce que ça implique de passer des « communs urbains » à une vision plus ambitieuse, celle d’une « ville des communs » ?

C’est exac­te­ment le pas­sage d’une vision des com­muns encore « à la marge », vers une recon­nais­sance des com­muns comme un des outils tout à fait cen­tral pour une tran­si­tion éco­lo­gique et sociale. Cette recon­nais­sance est vitale pour la sur­vie d’une ville et d’une bio-région dans un contexte d’urgence cli­ma­tique et éco­lo­gique. Et ce, avec une vraie approche de « ville par­te­naire » c’est-à-dire avec une véri­table ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion de la coopé­ra­tion public-com­mun. Ain­si, on peut créer de l’emploi local et rendre la vie cita­dine plus résiliente.

Cepen­dant, je vou­drais atti­rer votre atten­tion sur le fait que bien que Gand ait une admi­nis­tra­tion pro­gres­siste et moti­vée d’une part, une sphère des com­muns très active d’autre part, cela ne veut pas dire pour autant que la rela­tion entre ces deux sphères aille de soi et soit satisfaisante.

Mal­gré mon rap­port et sa récep­tion posi­tive, nous ne sommes en effet qu’aux pre­miers bal­bu­tie­ments de cette trans­for­ma­tion. Il y a encore beau­coup de frag­men­ta­tion de part et d’autre des deux sphères. Mais il est impor­tant de sou­li­gner qu’un dia­logue conti­nu est désor­mais ins­ti­tué. Celui-ci per­met­tra d’emmagasiner des pro­grès, sur­tout après les élec­tions, lorsqu’il y aura de nou­veaux man­dats démo­cra­tiques. Pour le moment, les fonc­tion­naires de la ville pré­parent des dos­siers avec la contri­bu­tion des « com­mo­neurs » et « commoneuses ».

Votre projet permet-il de mener une transition sociale et écologique nécessaires face aux échecs relatifs de l’État (désengagement des services publics) et du marché en la matière ? Quel serait le rôle de l’État dans le cadre de la généralisation des communs ?

D’un côté, la réémer­gence des com­muns est pré­ci­sé­ment une réac­tion aux man­que­ments de l’État et à ceux des forces du mar­ché. Mais atten­tion, il y a des forces poli­tiques qui vont essayer d’utiliser cette émer­gence pour encore plus affai­blir l’action de l’État. Cela appa­rait clai­re­ment dans les pro­jets de gou­ver­ne­ments ultra-libé­raux comme en Grande Bre­tagne (la « Big Socie­ty » des conser­va­teurs) et aux Pays-Bas (la fin de l’État social et son rem­pla­ce­ment par le « Par­ti­ci­pa­tie samen­le­ving »).

Donc, atten­tion, un État par­te­naire ou faci­li­ta­teur ne signi­fie pas un « État faible », au contraire ! Pre­nez l’exemple de la Sécu­ri­té sociale. Au départ, vers la moi­tié du 19e siècle, il s’agissait de com­muns sociaux auto-orga­ni­sés, mar­qués par des inéga­li­tés sec­to­rielles et spa­tiales. Puis, le mou­ve­ment ouvrier a créé des mutuelles natio­nales, mais qui n’ont jamais cou­vert qu’une mino­ri­té de la popu­la­tion. C’est l’État et ses droits sociaux pour tous qui ont créé un vrai poten­tiel d’égalités (au cours des Trente glo­rieuses), mais au prix d’une bureau­cra­ti­sa­tion. Notre idéal aujourd’hui, c’est de gar­der cette échelle et ce socle de droits, mais en démo­cra­ti­sant le fonc­tion­ne­ment de ces services.

Ces projets de communs urbains vont-ils réussir à tenir sur le long terme et à se multiplier, à Gand et ailleurs ?

Nous sommes glo­ba­le­ment dans un cycle de re-mutua­li­sa­tion et de ré-inven­tion des com­muns, toutes les sta­tis­tiques le montrent. Mais, sans réforme légis­la­tive et sans nou­velles régu­la­tions, et même s’ils résolvent des pro­blèmes, beau­coup de ces pro­jets risquent de res­ter mar­gi­naux. Regar­dez com­ment le fameux feed-in tariff en Alle­magne (un méca­nisme poli­tique conçu pour accé­lé­rer les inves­tis­se­ments dans les tech­no­lo­gies d’éner­gie renou­ve­lable) a per­mis aux coopé­ra­tives d’énergie de se géné­ra­li­ser, jusqu’à les ame­ner à pro­duire aujourd’hui la majo­ri­té de l’électricité dans le pays ! La recon­nais­sance de ces nou­veaux modèles pas­se­ra néces­sai­re­ment par une lutte sociale et poli­tique pour chan­ger les indi­ca­teurs de l’achat public et de l’analyse finan­cière. Mais je n’ai aucun doute sur la fai­sa­bi­li­té des choses. Ni leur néces­si­té si l’humanité veut sur­vivre aux mul­tiples crises éco­lo­giques convergentes.

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