Comment fonctionnent les principes de vos spectacles participatifs, comme les Veillées ou les Portraits de village ?
Le but du jeu est d’aller à la rencontre des gens. À un moment donné, je ne savais plus très bien le sens de ce qu’on faisait. On faisait des spectacles sur des scènes de théâtre et j’avais l’impression qu’ils s’adressaient toujours aux mêmes gens, alors qu’il y avait tout un public que je ne voyais jamais au théâtre. Comment se fait-il que tous ces gens-là ne venaient pas ? J’ai donc pensé qu’il devait y avoir de bonnes raisons, que ce n’est pas uniquement parce qu’ils n’étaient pas informés. Apparemment, ils n’étaient pas sensibles à la forme de théâtre que nous proposions. L’idée de départ était d’aller voir les gens, les uns après les autres, avec comme point de départ de parler de culture. D’aller les rencontrer en se disant que de toute façon tout le monde a une définition de la culture. Et, je ne sais pas plus que les autres ce qu’est la culture. Il serait donc intéressant d’avoir l’avis de tout le monde, puisqu’il n’y a pas de vérités en ce qui concerne l’art et la culture. En plus, comme on est situé sur un ancien site minier, on est entouré de cités ouvrières et les ouvriers n’ont pas vraiment dans leurs pratiques habituelles d’aller au théâtre ou d’aller voir de la danse. On s’est demandé : « Mais que doit-on faire, qu’est-ce qu’on peut faire pour trouver le lien, pour créer une œuvre qui intéresse, pour laquelle les gens se sentent concernés par ce qui se dit et ce qui se fait ? » On est donc allés à la rencontre des gens dans les quartiers, dans un premier temps ici tout autour, dans les quartiers populaires. Après, on est partis un peu partout, en France, au Brésil, et on va sans doute le faire au Canada l’année prochaine. Mais l’idée de départ était celle-là : puisque les gens ne viennent pas, allons vers eux. Personne ne détient de vérité sur le sujet de l’art et de la culture. Peut-être que la meilleure façon de faire, c’est d’inventer avec les gens… En étant au milieu des cités ouvrières, il était impossible de continuer à faire un théâtre qui soit complètement en dehors des réalités du quartier. Cela aurait été du cynisme de ma part. C’est pourquoi, on est allés à la rencontre de tout le monde. Les Veillées sont des spectacles faits pour rencontrer les gens, discuter avec eux et pour parler de la mémoire ouvrière et de la culture ouvrière. Mais, pas que de la mémoire : les gens nous racontent aussi le présent, comment on vit dans le quartier, comment on vit ensemble. Après une résidence de dix jours à trois semaines, on monte un spectacle, avec des acteurs et des acrobates, dont les gens et le quartier sont les acteurs principaux. Le but est de tout mettre au service de l’idée que l’œuvre d’art se construit ensemble.
Avez-vous l’impression ou l’envie d’apporter quelque chose aux gens ?
Je leur dois tout, puisqu’on construit tout avec eux. Si je leur apporte quelque chose ? C’est à eux qu’il faudrait demander, il faudrait aller voir à Maisnil-lès-Ruitz où on a fait le dernier Portrait de village. Vous pouvez consulter notre blog, où l’on montre un peu les réactions des gens. Les gens ne viendraient pas si nombreux à chaque fois, si on ne leur apportait rien, mais c’est difficile de parler à leur place.
Est-ce une envie de votre part d’aider les gens ?
Non. L’envie est de travailler ensemble. Le but est de dire : « On fait une œuvre d’art ensemble ». Ils m’apportent tout autant que je leur apporte. L’envie est de faire quelque chose ensemble et de se demander ensuite : « Est-ce que c’est ça ? Est-ce qu’on se trompe ? » C’est-à-dire de se questionner sur la pertinence de l’œuvre. Ce qui m’intéresse, est de travailler ensemble, dans le domaine artistique, qui parait être réservé à quelques-uns. Être artiste est la chose la mieux partagée qui soit au monde et quand on fait une Veillée, il faut que la porte soit ouverte à toutes les participations. Dans une Veillée, on rencontre le plus de gens possibles, parce que chaque vie est une œuvre d’art. D’ailleurs, c’est très bizarre qu’au fil du temps l’art soit devenu la propriété de quelques-uns, ce qui me semble une imposture totale. C’est peut-être une posture un peu politique ou philosophique, mais je pense que ça changera peut-être. C’est une certaine vision du travail qui a voulu cette situation. Ces dernières années, cela s’est particulièrement accentué avec le marché de l’art, particulièrement dans l’art contemporain, mais même au théâtre. J’ai horreur de l’idée du talent. Sartre disait que le talent était un crime contre soi-même et contre les autres. Pourquoi certains auraient-ils plus de talent que d’autres ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? C’est vraiment une pure invention. Je m’inscris en faux contre tout ça, avec cette envie de faire bouger le monde et de changer la vie.
Le lecteur pourra lire in extenso l'entretien avec Guy Alloucherie in Rémi Giachetti, Les enjeux des projets participatifs dans l’économie culturelle actuelle : études de cas dans le Nord-Pas de Calais, mémoire de master 1 dirigé par Sophie Proust, Création et études des arts contemporains, Université Charles-de-Gaulle-Lille 3, 2011, 83 p.