Heavy Metal Memorabilia

Par Denis Dargent

Photo : Nathalie Caccialupi

Au tout début des années 80, le rock avait encore de l’importance dans la vie des jeunes gens. La musique pop avait vingt ans et elle avait accou­ché d’une nou­velle « lutte » des classes, net­te­ment plus fun que l’originale.

Il y avait une aris­to­cra­tie du rock. Pour en être, il fal­lait citer le Vel­vet, les Modern Lovers, Vic Godard ou, au pif, Caba­ret Voltaire.
Il y avait aus­si une bour­geoi­sie du rock. Post-soixante-hui­tarde, elle s’apprêtait à prendre le pou­voir. Et se gar­ga­ri­sait volon­tiers de Gene­sis, Pink Floyd, Toto, Led Zep… Jusqu’à l’indigestion.

Puis il y avait la plèbe, offerte corps et âme aux ten­dances braillardes du rock : punk oi, dub-ska, néo-dis­co, cold wave ou ce hard rock blanc-bec, décon­nec­té du blues, que nous appe­lions Hea­vy Metal. His­toire de mar­quer la distance.

Aris­tos ou pro­los, nous avions tous des années de retard mais nous vivions l’affaire comme un pré­sent indes­truc­tible, le cœur bon­dis­sant à l’approche du maga­sin de disques. Seul le Tiers-état en deve­nir, qui avait déjà U2 et la « world music », ne cher­chait plus à com­prendre nos moti­va­tions. L’ère du poli­ti­cal­ly cor­rect venait tout juste de com­men­cer. L’antidote, ce serait de ne jamais céder aux sirènes de la classe inter­mé­diaire. Mieux valait, en fin de compte, se joindre aux aris­tos. Pop s’entend.

Mais pour l’heure, nous étions donc des metal freaks.

Le Hea­vy Metal c’était le mau­vais goût par excel­lence. Amplis sur 11, riffs de gui­tares hal­lu­ci­nants et voix anor­ma­le­ment aiguës. Les textes et l’emballage gra­phique étaient à l’avenant : sexe, vio­lence, sor­cel­le­rie, sata­nisme, vitesse et beu­ve­rie… Les adeptes n’avaient pas, non plus, bonne répu­ta­tion ques­tion hygiène. C’est que les har­dos ou les métal­leux, et leurs che­veux longs, tels de modernes alchi­mistes, ten­taient déses­pé­ré­ment d’obtenir l’or en fusion­nant le cuir et le denim. Ce qui, disait Saxon dans ses chan­sons, contri­buait à la libé­ra­tion de l’esprit. Et puis bon, une veste pat­chée, bad­gée et clou­tée, ça passe pas à la machine, merde !

À l’époque, avoir un look c’était sur­tout affi­cher ses goûts musi­caux. Plus fon­da­men­ta­le­ment, der­rière la garde-robe span­dex et les motifs léo­pards, c’était toutes nos frus­tra­tions ado­les­centes qui trou­vaient là une échap­pa­toire. Un cura­tif à nos poi­sons exis­ten­tiels, un pied de nez à la socié­té qui s’annonçait. Celle qui, aujourd’hui, nous digère lentement…

C’était l’époque d’une cer­taine raquette de ten­nis plan­quée sous un divan de velours vert à bords fran­gés. La pre­mière envie, tenace, d’en découdre avec la terre entière, seul dans mon salon. Les sens comme explo­sés par la néces­si­té d’assurer le concert du soir, de séduire ce public de brailleurs fan­tômes et de sur­veiller la porte d’entrée pour évi­ter les vannes des parents qui arrivent tou­jours à l’improviste… Un jour, le manche est deve­nu trop petit, j’ai oublié la raquette. Aujourd’hui pour­tant, quand j’entends du Hea­vy Metal AOC, je plaque encore les accords et je balaie dans le vide. La terre entière peut aller se faire foutre.