Hubert-Félix Thiéfaine

Né désespéré !

Photo : Yann Orhan

Hubert-Félix Thié­faine était en concert le 25 octobre der­nier, invi­té par le Fes­ti­val des Liber­tés. Chan­teur enga­gé qui n’est plus à pré­sen­ter aujourd’hui, il était sur scène pour par­ta­ger avec le public son nou­vel album/DVD « Homo Ple­bis Ulti­mae ». Après le suc­cès de son album pré­cé­dent « Sup­plé­ments de men­songe », récom­pen­sé par deux vic­toires de la musique en 2012, ce Juras­sien, tenace et pug­nace, de plus de trente ans de car­rière, nous a livré quelques-unes de ses consi­dé­ra­tions. Sur les médias, la presse en géné­ral, sur l’artistique et le poli­tique qui ne peuvent aller de pair selon lui et sur son déses­poir face à la trop grande més­in­tel­li­gence entre êtres humains. Après avoir trom­pé ou sur­mon­té ses angoisses des décen­nies durant, il appa­raît plus en forme que jamais. Rencontre.

Hubert-Félix Thiéfaine, vous avez plus de trente ans de carrière. Vous êtes une personnalité digne des plus grands noms de la chanson française et pourtant on vous voit si peu dans les médias. Vous n’avez pas besoin de cela ou vous cultivez une véritable aversion pour les médias ?

Je pense que c’est plu­tôt eux qui n’ont pas tel­le­ment sui­vi le cours de l’histoire. Les médias ont tou­jours une quin­zaine d’années de retard. Ce n’est pas les médias qui font l’actualité et puis per­son­nel­le­ment je ne regarde pas beau­coup la télé­vi­sion. Je ne lis ni les maga­zines ni les jour­naux. Je n’écoute pas la radio, je reste infor­mé de ce qu’il faut sans regar­der la télé­vi­sion. En se pro­me­nant sim­ple­ment dans la rue, on est au cou­rant de ce qui se fait, de tout ce qui se passe. Quand quelqu’un a tiré sur le Pape, je l’ai su à la minute même où cela s’est pro­duit alors que je n’avais aucun sup­port d’information. Les infor­ma­tions vont très vite et main­te­nant avec les chaînes d’infos qui tournent en boucle, on est trop infor­mé. Cela devient ridicule.

Donc, je reste assez en dehors des médias. Je ne suis pas quelqu’un qui d’emblée a eu de fan­tasmes média­tiques. Je sais que Gains­bourg deve­nait malade sans la télé ou sans être pas­sé à la télé. Je n’en ai « rien à foutre ». J’ai choi­si d’écrire des chan­sons assez tôt après avoir essayé beau­coup d’autres choses. J’ai déci­dé de tout mettre dans mes chan­sons, cela m’occupe suf­fi­sam­ment pour ne pas aller m’emmerder avec les médias.

Mais j’ai éga­le­ment vu assez vite que cela n’était pas très inté­res­sant. Récem­ment, j’ai encore fait plu­sieurs émis­sions. Cer­taines émis­sions en direct, c’est bien parce que cela va vite. Mais il y a des émis­sions où cela traîne avec les enre­gis­tre­ments, ce n’est pas inté­res­sant. Je pré­fère être sur scène ou être dans un stu­dio ou tout seul à écrire mes chan­sons. J’ai déjà gagné beau­coup de temps en trente ans.

Main­te­nant, j’ai réa­li­sé des choses dans les médias au début des années 80. C’est vrai qu’à l’époque avec le rock’n’roll je ne m’en suis pas pri­vé, j’ai même tour­né les choses un peu en ridi­cule. Ce qui fait que les gens se sont dit « Méfions-nous de ce gar­çon » parce que j’ai appris que je fai­sais peur quand même. Mais je n’ai jamais cher­ché vrai­ment pour­quoi les médias ne vou­laient pas de moi parce que, quelque part, je suis en France par­mi les chan­teurs fran­çais qui res­tent, qui durent et pas par­mi ceux qui passent vite, qui vendent un mil­lion d’albums et puis qui dis­pa­raissent. Je suis sans doute celui qui vend régu­liè­re­ment beau­coup de disques et qui a un public qui rem­plit les salles depuis trente ans. Donc, je n’ai pas ce pro­blème de me dire où en est ma sur­vie. J’ai un public qui est mon mécène et qui me fait vivre de ma musique et de ma poé­sie. C’est fondamental.

Quel lien entretenez-vous avec le public ?

Pen­dant les concerts, c’est là où cela se passe, je n’ai pas de rai­sons d’être avec mon public en dehors de la scène. Le public, c’est un ensemble de gens qui aiment ce que je fais. En dehors de leur offrir des disques et des spec­tacles, je ne vois pas ce que je peux leur don­ner d’autre.

Vous avez été élu meilleur interprète et disque de l’année 2012 aux Victoires de la Musique, ces récompenses vous les dédiez à la fidélité que vous avez nouée avec votre public ?

Oui, parce que le fait d’être le meilleur inter­prète de l’année et d’a­voir le meilleur disque de l’année aux Vic­toires de la Musique, c’est le public qui les a construits car j’étais disque de pla­tine avant d’avoir des récom­penses. Tout ce que je fais depuis un an, ce n’est pas pour empor­ter les Vic­toires, c’était déjà pré­pa­ré aupa­ra­vant, il y avait déjà une forte demande avant les Vic­toires. Les Vic­toires ont sim­ple­ment ajou­té la cerise sur le gâteau, mais c’est tout.

Vous êtes, on le dit, un écorché vif qui mêlait la poésie de Rimbaud, Baudelaire ou Lautréamont dans vos textes. Votre créativité ne connaît jamais de passage à vide ?

La créa­ti­vi­té n’est pas une chose abs­traite, ce qui est impor­tant c’est de tra­vailler tous les jours. Il y a des jours où il ne se passe rien et des jours où il y a des choses qui se pro­duisent. De plus, je suis en tour­née, donc je n’ai pas beau­coup de temps pour la recherche de la créa­tion. En plus, il faut beau­coup de silence. Il faut se taire et s’écouter et écou­ter une douce pen­sée qui vient de loin pour pou­voir créer. Pour le moment, je ne suis pas dans ces condi­tions. Les inter­views, cela casse la créa­tion. Tout ce que je raconte dans les inter­views, c’est tout ce qui se barre de mes chan­sons à venir.

Je tra­vaille sur le futur mais j’attends vrai­ment parce quand on arrête il faut beau­coup de temps pour remettre la machine en route. Je tra­vaille assez régu­liè­re­ment pour ne pas perdre le fee­ling mais je ne me fais pas d’illusions. Pour l’instant, c’est le spec­tacle et donc je suis dedans. Les deux choses sont incom­pa­tibles. L’une c’est le départ, l’autre c’est l’arrivée.

Quelles seraient les mesures d’urgence que vous prendriez si vous étiez Président ?

Mais je ne veux pas être Président !

Vous ne pouvez pas l’imaginer un peu ?

Non, c’est un refus ! Il y a des choses comme cela qui se pas­saient dans la Répu­blique romaine, deux trois siècles avant J.-C. Il y avait ce que l’on appe­lait un dic­ta­teur. Un dic­ta­teur c’est quand tout allait mal à Rome, il allait cher­cher quelqu’un qu’il pen­sait suf­fi­sam­ment sérieux, intel­li­gent et bon meneur pour prendre les rênes et il lui don­nait les pleins pou­voirs. Il y en a eu plu­sieurs qui ont refu­sé et je suis de ceux qui refu­se­raient. Cha­cun ses com­pé­tences, c’est comme si vous me deman­diez de faire des cal­culs pour emme­ner une fusée sur une autre terre. Je n’en ai pas du tout envie et je ne suis pas com­pé­tent pour cela. Et vous savez en plus, je déteste que l’on me com­mande et je déteste com­man­der, alors vous voyez, cela ne peut pas marcher.

Qu’est-ce qui vous indigne le plus ?

L’indignation, c’est un mot qui me per­turbe le plus en ce moment parce que la digni­té je n’en vois pas beau­coup dans le monde. La digni­té c’est une chose qui se fabrique indi­vi­duel­le­ment et nous sommes tous res­pon­sables de notre propre digni­té. Quand cela devient un mou­ve­ment, ce n’est plus une his­toire de digni­té, la digni­té est indi­vi­duelle. Ce mot est aujourd’hui tel­le­ment uti­li­sé avec déma­go­gie qu’il ne m’intéresse plus.

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Est-ce que vous vous livrez un peu dans votre musique ? Est-ce qu’il y a un soupçon d’autobiographie dans vos textes ?

Deman­dez à tel ou tel peintre si leurs tableaux sont auto­bio­gra­phiques ? For­cé­ment parce que même s’ils vous disent non et même s’ils n’ont pas sou­hai­té par­ler de leur vie dans leurs tableaux ou dans leurs poèmes ou dans leur musique, ils l’ont for­cé­ment fait avec une par­tie de leur conscience. C’est donc même plus qu’autobiographique, c’est de l’intimité à l’état brut !

Quel est le mot de la littérature que vous préférez le plus ? Et pourquoi ?

Le déses­poir. Parce que c’est le seul mot qui mérite d’être déve­lop­pé aujourd’hui.

C’est la situation actuelle que l’on vit ?

Non, je suis déses­pé­ré depuis que je suis né. Ce n’est pas la situa­tion actuelle, la situa­tion actuelle, les gens la méritent. Ils se conduisent comme des gou­jats et ils vont payer. La nature elle est comme cela.

C’est la situa­tion de l’humain face à l’univers. C’est le fait d’un manque d’intelligence, d’un manque de com­pré­hen­sion, de connais­sances. La majo­ri­té des gens s’en foutent com­plè­te­ment, ils ne pensent qu’à la bouffe et au cul, l’intelligence, ce n’est pas leur truc et cela se voit. Pour moi, c’est cela. C’est que l’on est tel­le­ment loin de la connais­sance que c’est déses­pé­rant de ne pas savoir ce que l’on fait ici. Donc, pour moi déses­poir c’est le mot fondamental.

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