50 ans plus tard, Solidarité Socialiste croit toujours aux révolutions !

Photo : Solidarité socialiste

À bien­tôt 50 ans d’existence, Soli­da­ri­té Socia­liste est une orga­ni­sa­tion non gou­ver­ne­men­tale qui a tou­jours consi­dé­ré la coopé­ra­tion inter­na­tio­nale sous l’angle du par­te­na­riat avec des orga­ni­sa­tions de la socié­té civile et des mou­ve­ments sociaux du Sud, plu­tôt que sous celui d’une aide et de modèles à impo­ser à des « popu­la­tions en dif­fi­cul­té ». Chan­ger les poli­tiques, appuyer les luttes pour des droits poli­tiques, éco­no­miques et sociaux, valo­ri­ser l’économie soli­daire et sociale en tant qu’alternative au sys­tème capi­ta­liste, tels sont quelques-uns de ses chan­tiers. Ren­contre avec Pas­cale Bodi­naux, res­pon­sable action poli­tique et com­mu­ni­ca­tion à Soli­da­ri­té Socialiste.

Quels sont les éléments déclencheurs qui ont fait naître une ONG comme Solidarité Socialiste ?

En fait, l’histoire de cette orga­ni­sa­tion remonte à plus de cin­quante ans… En 1947, dans la lignée du Fonds Mat­teo­ti, créé en 1927 afin de venir en aide aux vic­times des régimes fas­cistes (Ita­lie, Alle­magne et plus tard Espagne), le PSB (Par­ti Socia­liste Belge) met en place un Comi­té d’aide aux socia­listes espa­gnols. En 1948, ce Comi­té se trans­forme en Entraide Socia­liste, une orga­ni­sa­tion des­ti­née à assu­rer, entre autres, l’ac­cueil des réfu­giés poli­tiques vic­times des régimes tota­li­taires. Et puis, en 1963, L’En­traide socia­liste va scin­der ses acti­vi­tés en deux ser­vices dis­tincts : l’Entraide aux bour­siers d’Afrique, un Ser­vice d’Ac­cueil et d’Hé­ber­ge­ment logé rue de Parme (futur SETM — Soli­da­ri­té Etu­diants Tiers Monde tou­jours actif aujourd’hui) et le Fonds Natio­nal de Coopé­ra­tion au Déve­lop­pe­ment, char­gé de « pro­jets de déve­lop­pe­ment », prin­ci­pa­le­ment en Afrique, qui pren­dra en 1978 le nom de Soli­da­ri­té Socialiste.

Pourquoi assiste-t-on à cette division en 1963 ?

Parce que le pro­ces­sus de la déco­lo­ni­sa­tion s’est amor­cé dès les années 60. Et ce phé­no­mène bou­le­verse la concep­tion de l’aide et de la soli­da­ri­té inter­na­tio­nale, en par­ti­cu­lier pour les socia­listes qui ont déjà com­men­cé à dénon­cer l’entreprise colo­niale belge au Congo. À par­tir de ce moment-là, l’Entraide Socia­liste se posi­tionne clai­re­ment dans l’appui aux mou­ve­ments d’indépendance et de déco­lo­ni­sa­tion, por­tés par des lea­ders de la socié­té civile des pays concer­nés. Dans les années 70, elle appuie­ra la lutte pour l’indépendance des anciennes colo­nies fran­çaises et por­tu­gaises (Ango­la, Mozam­bique, Cap Vert, Gui­née Bis­sau). Elle accueille éga­le­ment les réfu­giés chi­liens après le coup d’État mili­taire d’Augusto Pino­chet contre Sal­va­dor Allende. Jusqu’en 1983, Soli­da­ri­té Socia­liste était essen­tiel­le­ment sou­te­nue par le Par­ti Socia­liste. Ensuite, un chan­ge­ment impor­tant est inter­ve­nu quand elle a été consi­dé­rée comme l’outil prin­ci­pal de la soli­da­ri­té inter­na­tio­nale des quatre branches de l’Action Com­mune, à savoir : le Par­ti, les syn­di­cats, les mutua­li­tés et les coopé­ra­tives. Aujourd’hui, cha­cune de ces branches appuie indi­vi­duel­le­ment ou non notre action.

Quand on tra­vaille avec une cer­taine dose de convic­tions, d’idéalisme, et de volon­té de chan­ge­ment, il faut tou­jours se réin­ter­ro­ger sur les dif­fé­rentes formes que peut prendre la soli­da­ri­té. Com­ment consi­dère-t-on celui qu’on « aide », pour­quoi on le fait, ce qu’on attend en retour. L’aide n’est pas tou­jours néces­sai­re­ment adap­tée aux besoins des gens. Elle est par­fois et même sou­vent inté­res­sée. D’aucuns ont osé pré­sen­ter l’entreprise colo­niale par exemple comme une œuvre bien­fai­trice de la civi­li­sa­tion pro­di­guée par des puis­sances « avan­cées » aux popu­la­tions « sous-déve­lop­pées ». Nous savons qu’en ce qui concerne le Congo, le Bel­gique a reti­ré bien plus de richesses qu’elle n’en a appor­tées, impo­sant en outre au pas­sage son propre modèle de socié­té et sa reli­gion. Bien qu’au tra­vers de la coopé­ra­tion d’aujourd’hui on admette dif­fé­rentes approches du déve­lop­pe­ment, cette ques­tion de l’imposition de valeurs ou de modèles reste posée. Celles des inté­rêts poli­tiques ou éco­no­miques en jeu également.

De quelle manière Solidarité Socialiste pense-t-elle la coopération au développement ?

Pour Sol­soc, même si la satis­fac­tion des besoins fon­da­men­taux des gens reste une prio­ri­té, il faut viser un réel chan­ge­ment social à plus long terme. Sol­soc sou­tient des orga­ni­sa­tions qui tra­vaillent dans ce sens. Il peut aus­si bien s’agir de grou­pe­ments pay­sans, que de mutuelles de san­té ou d’associations de quar­tier par exemple, qui veulent être mieux en mesure d’élaborer des pro­po­si­tions pour leur propre déve­lop­pe­ment et arri­ver à les négo­cier avec leurs propres auto­ri­tés publiques. Je dirais qu’une autre de nos spé­ci­fi­ci­tés consiste à pra­ti­quer et encou­ra­ger le par­te­na­riat « en réseaux ». Parce que, lorsque des asso­cia­tions se fédèrent, elles deviennent plus fortes. De cette manière, les socié­tés civiles locales se ren­forcent et deviennent capables d’influer sur les poli­tiques, d’interpeller leurs diri­geants, voire de se trans­for­mer en un véri­table mou­ve­ment social (comme dans le cas d’un syn­di­cat, par exemple), apte à entrer dans un rap­port de force dyna­mique avec le pouvoir.

Ain­si au Maroc, nous tra­vaillons avec des asso­cia­tions de quar­tiers popu­laires très concer­nées par les ques­tions de la démo­cra­tie et de la laï­ci­té ; et ce tra­vail n’est pas facile à mener dans un tel contexte. Ces asso­cia­tions ont été très impli­quées dans la dyna­mique du M20, expres­sion maro­caine des Prin­temps arabes. Soli­da­ri­té Socia­liste sou­tient leur tra­vail au niveau des réseaux d’associations de quar­tiers, de jeunes et de femmes.

Une spé­ci­fi­ci­té de Soli­da­ri­té Socia­liste est peut-être aus­si le fait que les orga­ni­sa­tions que nous sou­te­nons en Afrique, en Amé­rique Latine et en Pales­tine sont sys­té­ma­ti­que­ment asso­ciées à l’élaboration de nos pro­grammes d’activités glo­baux. Ceci afin de s’assurer que notre action colle bien aux réelles aspi­ra­tions des gens en termes de chan­ge­ment. Nous sommes dans un pro­ces­sus d’éducation popu­laire où nous échan­geons et appre­nons ensemble à construire le chan­ge­ment tant au Nord qu’au Sud.

Par contre, une de nos dif­fi­cul­tés reste la mobi­li­sa­tion de fonds au sein du monde socia­liste. Soli­da­ri­té Socia­liste a trop peu de dona­teurs par­mi les mili­tants. Peut-être parce qu’ils ne connaissent pas suf­fi­sam­ment l’ONG et son travail.

Que pensez-vous des prises de position, des actes posés par les soldats français et belges au Mali et ailleurs ? N’est-ce pas encore là une forme de post-colonialisme, des intérêts à protéger avant tout ?

Il est clair que la colo­ni­sa­tion ne s’est pas ache­vée avec les indé­pen­dances. Les choses sont peut-être même encore plus com­plexes aujourd’hui où cer­tains méca­nismes sont cachés. Dans ce qu’on appelle le sys­tème de la Fran­ça­frique, ce sont des chefs d’Etat afri­cains, y com­pris par­mi les pires dic­ta­teurs, qui, grâce aux richesses qu’ils détournent de leurs popu­la­tions, sou­tiennent cer­tains hommes poli­tiques ou cer­tains par­tis occi­den­taux. Aujourd’hui, c’est un jeu dans lequel les élites occi­den­tales et afri­caines en l’occurrence sont com­plices. Ce qui se passe au Mali n’est pas uni­que­ment une œuvre de défense de la démo­cra­tie, d’autres inté­rêts, géo­po­li­tiques et éco­no­miques sont évi­dem­ment en jeu. C’est assez révé­la­teur de la manière dont la France — je parle de l’Etat et du Gou­ver­ne­ment fran­çais – a géré ses anciennes colo­nies et qu’elle conti­nue d’ailleurs à gérer aujourd’hui. Certes, une par­tie de la popu­la­tion malienne sem­blait appe­ler de ses vœux une inter­ven­tion mili­taire exté­rieure contre les extré­mistes isla­mistes. Mais il faut bien se rendre compte que cela don­ne­ra à la France encore un peu plus de poids poli­tique et éco­no­mique dans le pays.

Le néo-colo­nia­lisme prend dif­fé­rentes formes. Les puis­sances occi­den­tales ont tou­jours des vues sur les richesses de leurs anciennes colo­nies, mais elles ne sont plus les seules à en pro­fi­ter. La Colom­bie, par exemple est un pays pillé par toute une série de puis­sances exté­rieures et pas seule­ment occi­den­tales, les pays émer­gents com­mencent aus­si à jouer sur ce ter­rain. Le Répu­blique Démo­cra­tique du Congo (RDC) est sûre­ment l’exemple le plus désas­treux, car depuis la déco­lo­ni­sa­tion, il fait l’objet de beau­coup de convoi­tises exté­rieures, ce qui ali­mente une guerre inter­mi­nable à l’Est du pays. La RDC est com­plè­te­ment pillée et les gou­ver­ne­ments qui se sont suc­cé­dés après Mobu­tu ne sont pas fran­che­ment arri­vés à lui rendre une auto­no­mie poli­tique et éco­no­mique. Même en ce qui concerne le bud­get de l’Etat, il reste très dépen­dant de l’extérieur.

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