Au VK : l’ouverture comme mot d’ordre

Illustration : Vida Dena

Chris­ta Ndi­ku­ma­na a rejoint il y a quelques mois l’équipe du Vaart­ka­poen (VK), dans le dépar­te­ment « Calei­dos­coop », qui déve­loppe diverses acti­vi­tés socio­cul­tu­relles avec des femmes béné­voles des quar­tiers his­to­riques. Le VK est un centre com­mu­nau­taire et cultu­rel fla­mand, très actif à Molen­beek depuis 40 ans qui met éga­le­ment en œuvre des pro­jets socioar­tis­tiques avec les habi­tants du quar­tier via Vk*art et pro­pose des concerts de musiques urbaines et alter­na­tives dans la salle du VK. Elle nous explique la démarche d’ouverture et les stra­té­gies de son orga­ni­sa­tion pour réta­blir le dia­logue interpersonnel.

Pouvez-vous nous rappeler votre action ?

On tra­vaille avec des femmes béné­voles, adultes, mamans pour la plu­part, par­fois enga­gées avec nous depuis 15 – 20 ans et on déve­loppe avec elles des pro­jets socio­cul­tu­rels concrets pour s’engager dans la socié­té, déve­lop­per un réel vivre ensemble et une vraie cohé­sion sociale au pre­mier sens du terme : à l’écoute de tous, dans la dif­fé­rence et dans la diversité.

L’idée c’est vrai­ment de pou­voir faire en sorte que le VK soit une mai­son de quar­tier où tous les talents, toutes les com­pé­tences peuvent se déve­lop­per à tous âges, de tous pro­fils venant de tous les hori­zons pos­sibles et ima­gi­nables avec toutes les confes­sions pos­sibles éga­le­ment. L’ouverture, c’est notre mot d’ordre principal.

Comment se traduit cette ouverture dans vos ateliers vis-à-vis de demandes religieuses ?

Pour que des femmes, par­fois prises dans un cer­tain enfer­me­ment, puissent recon­naitre l’espace dans lequel elles viennent comme pou­vant être le leur éga­le­ment, on a adop­té au VK une poli­tique d’ouverture. Cela per­met par exemple à un par­ti­ci­pant ou un béné­vole qui le sou­hai­te­rait d’avoir un espace pour faire sa prière, si cela lui per­met de se sen­tir à l’aise. Je pense que le pre­mier pas d’ouverture doit tou­jours exis­ter pour aller vers un deuxième pas, qui prend beau­coup plus de temps, pour pro­fes­sion­na­li­ser les ini­tia­tives, aider cha­cun à déve­lop­per ses talents et com­pé­tences, don­ner les outils à tous, éman­ci­per tout en res­pec­tant la liber­té et la diver­si­té de cha­cun. Pour nous, c’est l’acceptation de la diver­si­té, dans le sens où chaque per­sonne a son indi­vi­dua­li­té et donc dif­fé­rentes facettes de sa per­son­na­li­té, la reli­gion ne repré­sen­tant qu’une seule de ces facettes, mais fai­sant tout de même par­tie de l’ADN des gens qui viennent ici, de leur per­son­na­li­té dans leur glo­ba­li­té. On ne va donc pas la nier et leur dire : « Lais­sez cela dehors, lais­sez votre fou­lard ou cette petite croix dehors ». Mais bien : « Venez avec tout ce que vous êtes », parce que tout cela, c’est une richesse. Et ce sera une richesse pour nous parce que ces points de vue là vont orien­ter nos pro­jets, nos actions et nous per­mettre de mieux com­prendre la manière dont on fonc­tionne dans ce quar­tier. Mais on fait la part des choses, on ne va pas non plus don­ner des cours de reli­gion par exemple.

Est-ce que des évènements viennent remettre en question cette politique ?

La remise en ques­tion est constante. Est-ce que notre approche est tou­jours la bonne ? Tou­jours adap­tée au public ? Tou­jours adap­tée à la réa­li­té d’aujourd’hui ? En ate­liers, on a quel­que­fois des dis­cus­sions où la reli­gion des par­ti­ci­pants inter­vient par exemple sur l’homosexualité. L’idée, ce n’est ni de dire « ta reli­gion doit prendre toute la place » ni « non, ta reli­gion n’a aucune place », mais plu­tôt « OK ta reli­gion est là, par­lons-en parce que moi je peux apprendre de ta reli­gion comme toi tu peux apprendre du fait que je ne crois pas ou que je crois autre chose ». La diver­si­té c’est un concept dyna­mique qui évo­lue et on est prêt à contri­buer à cela, mais en res­tant ouvert. Les « inci­dents » qui arrivent sont fina­le­ment autant d’occasions de faire débat, de faire exis­ter un dia­logue, de nous rendre compte de réa­li­té, des lignes de frac­tures, des endroits où nous ne sommes pas d’accord et sur­tout des moyens de dépas­ser ces désac­cords. C’est aus­si notre rôle en tant qu’acteurs socio­cul­tu­rels de faire exis­ter ce dialogue.

Par rapport au radicalisme ou aux attentats, quelle est votre action sur Molenbeek ?

Notre objec­tif prin­ci­pal, c’est vrai­ment deve­nu de réta­blir le dia­logue inter­per­son­nel, que les gens se ren­contrent et se parlent. Qu’ils puissent s’identifier les uns aux autres et qu’ils arrêtent de caté­go­ri­ser ou réduire quelqu’un juste à tra­vers une seule carac­té­ris­tique de sa per­son­na­li­té. Pour nous, c’est ce qui fonc­tionne. On l’a vu dans le pro­jet « Molem ma belle » qui s’installe dans l’espace public et va à la ren­contre des habi­tants. Mais aus­si avec un pro­jet de salon de thé en exté­rieur, en col­la­bo­ra­tion avec l’asbl Vor­ming­plus Citi­zenne, qui se veut un espace d’expression, de dia­logue et de ren­contre pour dépas­ser les cli­chés en connec­tant des gens d’horizons dif­fé­rents. Ain­si, des pen­sion­nés fla­mands d’Anvers ou Leu­ven, qui viennent à Molen­beek visi­ter les endroits beaux et calmes de la Com­mune, loin de la vision média­tique « Molen­beek = ter­ro­risme » pour finir par une ren­contre-dis­cus­sion à bâtons rom­pus avec des femmes de Molen­beek. Cha­cun a posé les ques­tions pour savoir com­ment est-ce que cela se pas­sait ici. Et fina­le­ment, il y a eu des ques­tions comme « pour­quoi tu portes le fou­lard ? » Et il y a eu des réponses : « voi­là pour moi le fou­lard c’est cela ». Et tout le monde en est vrai­ment res­sor­ti avec une meilleure com­pré­hen­sion et accep­ta­tion des dif­fé­rences de cha­cun. Quelque chose comme : à pré­sent, je com­prends mieux ma conci­toyenne, je la com­prends dans sa réa­li­té, et je com­prends main­te­nant mieux Molenbeek.

Et cela s’est aus­si tra­duit dans plu­sieurs autres pro­jets. Par exemple avec l’association Merha­ba on lance cette année un pro­jet de dia­logue inter­gé­né­ra­tion­nel. Un groupe de jeunes filles va dis­cu­ter des dif­fé­rents sujets socié­taux que ce soit la reli­gion, que ce soit l’homosexualité,etc.. On fait pareil avec des mamans (qui ne sont pas celles des jeunes filles). Et puis on relie les deux groupes pour voir com­ment on peut réta­blir un dia­logue qui s’est bri­sé entre les géné­ra­tions. C’est notre res­pon­sa­bi­li­té à tous en tant qu’acteurs sociaux de pou­voir recréer cet espace, que cette socié­té soit à tout le monde. Pour faire bais­ser la pres­sion et évi­ter que les gens se referment sur le semblable.

On a aus­si un pro­jet qui s’appelle le Forum­théâtre. Des béné­voles uti­lisent les méthodes du théâtre-action et jouent des petites scènes de la vie cou­rante. Puis ils demandent l’avis du public, voire au public de rejouer la scène pour trou­ver des solu­tions. Cela a super bien fonc­tion­né parce que c’est quelque chose auquel on peut s’identifier, et qu’on peut poser des ques­tions, réagir. On en avait fait un sur les vio­lences intra­fa­mi­liales. Vu l’actualité, on a com­men­cé, il y a quelques mois suite à la demande du public, à en faire autour de la radi­ca­li­sa­tion de cer­tains jeunes. On avance vrai­ment à tâtons parce que c’est com­pli­qué. Com­ment est-ce qu’on peut faire ce genre de sujet sans par­tir dans les débats théo­lo­giques pur et dur ? Parce qu’on n’a pas les com­pé­tences ni les connais­sances pour ce faire et que c’est un débat trop hou­leux. Et puis, on ne veut pas non plus par­tir dans le « voi­là ce que la socié­té devrait faire » ou le « voi­là cela c’est la faute de untel ou c’est la faute de ceci ».

On veut pou­voir l’entendre des gens. On s’est donc dit qu’on allait par­tir d’une réa­li­té que tout le monde connais­sait, c’est-à-dire une réa­li­té intra­fa­mi­liale : une maman qui a une dis­cus­sion avec sa jeune fille qui lui dit qu’elle ne veut plus aller à la pis­cine parce que cela va à l’encontre de ses convic­tions. Com­ment gérer cela ? On s’est dit qu’on tenait quelque chose parce que tous les parents peuvent s’identifier au fait qu’à par­tir d’un cer­tain âge l’enfant recherche son iden­ti­té et qu’on ne sait pas trop bien com­ment lui par­ler. Pour nous fina­le­ment le pro­blème de la radi­ca­li­sa­tion des jeunes, c’est cela. C’est com­ment est-ce qu’on peut en arri­ver à connec­ter dans cette période dif­fi­cile qu’est l’adolescence. Et c’est donc là-des­sus qu’on va se concentrer.

Comment le radicalisme intervient dans votre travail ? Rencontrez-vous des cas ? Est-ce que c’est un de vos chevaux de bataille ?

Ça se mani­feste par exemple par des mamans qui nous disent : main­te­nant on a peur. On avait déjà peur avant, mais on a encore plus peur main­te­nant. Parce qu’en tant que maman on ne sait pas tou­jours ce que fait son enfant ado­les­cent après l’école ou pen­dant le week-end quand il va avec ses copains. Et c’est une réa­li­té qui exis­tait déjà, mais on ne se ren­dait pas compte de l’ampleur de la chose. Cela a été tel­le­ment pré­sent dans les médias qu’elles se sont dit : si cela se trouve, ça peut me concer­ner demain. Elles enten­daient dire des choses par la voi­sine, la cou­sine, mais c’est deve­nu une réa­li­té très concrète pour ces femmes-là. Elles ne s’en dou­taient abso­lu­ment pas et beau­coup l’ont décou­vert à la télé­vi­sion comme tout le monde. Et cela c’est une peur qu’ont tous parents d’adolescents, celle qu’on vienne toquer à votre porte pour vous dire qu’on a retrou­vé votre enfant over­do­sé ou qu’il a fait quelque chose de très mal. C’est une peur parce qu’on ne peut pas contrô­ler les moindres faits et gestes de ses enfants.

C’est pour­quoi on a ten­té de réta­blir le dia­logue inter­gé­né­ra­tion­nel entre les parents ou d’autres figures et les jeunes. Mais aus­si de ras­su­rer les mamans dans le fait qu’il y a une part qu’elles ne contrôlent pas. Les ras­su­rer et leur per­mettre d’exprimer leur peur plu­tôt que de hur­ler sur leurs enfants ou avoir ten­dance à vou­loir les contrô­ler et les étouf­fer et du coup pro­duire exac­te­ment l’effet inverse que celui recher­ché. L’idée c’est de don­ner des outils à tout le monde que ce soit pour com­mu­ni­quer, mais aus­si pour se ras­su­rer et pour souf­fler deux secondes.

Est-ce que vous pensez que face à des tentations djihadistes pour des jeunes ou moins jeunes la culture prise au sens large, l’action culturelle, socioculturelle, socioartistique, peuvent faire quelque chose ?

C’est notre rôle jus­te­ment de rap­pe­ler à la socié­té qu’on en fait tous par­tie. Et c’est à nous de mon­trer la beau­té de la diver­si­té et de la richesse mul­ti­cul­tu­relle qui peuvent exis­ter que ce soit à Bruxelles, en Bel­gique ou par­tout dans le monde. Et je crois que l’art c’est le meilleur moyen pour pou­voir le véhi­cu­ler. Le dia­logue que ce soit inter­per­son­nel, mais sur­tout inter­cul­tu­rel per­met de se rap­pe­ler qu’on peut tous apprendre des dif­fé­rences des uns des autres et fina­le­ment tous se com­plé­ter dans cette dif­fé­rence. Et que cette dif­fé­rence peut deve­nir la mienne d’un jour à l’autre. C’est ce qui nous per­met de nous rap­pe­ler que les dif­fé­rences nous relient plus qu’elles nous divisent. Et l’art pour moi, c’est le meilleur dia­logue parce quand on fait une acti­vi­té où les femmes sont en train de dan­ser, où les jeunes sont en train de chan­ter ou de rap­per, ils n’ont pas for­cé­ment besoin d’avoir un diplôme ou de par­ler la même langue pour pou­voir se com­prendre. Quand on écoute un rap d’une langue qu’on ne connait pas, on arrive sou­vent à sen­tir l’émotion qu’ils veulent déga­ger et le mes­sage passe bien, même s’ils ne connaissent pas la langue. Et c’est cela qu’on essaie de dire ici aus­si : fina­le­ment, on parle la même langue, il faut juste qu’on arrive à s’écouter…

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