Dans « Après la gauche », Jérémy Forni questionne l’idée de la gauche, ses possibilités, ses errements et ses espoirs. Treize penseurs ou acteurs des gauches se répondent et argumentent. Se succèdent ainsi Christophe Aguiton (Chercheur et syndicaliste), Robert Castel (Sociologue), Christian Corouge (Ouvrier, sociologue, ancien du groupe Medvedkine), Susan George (Essayiste et militante altermondialiste), Eric Hazan (Editeur -La Fabrique- et essayiste), François Houtart (Prêtre et sociologue), Albert Jacquard (Généticien et militant au Droit au logement), Lionel Jospin (Ancien Premier ministre), Armand Mattelart (Sociologue), Antonio Negri (Philosophe), Edwy Plenel (Journaliste, ancien directeur du Monde, fondateur de Mediapart), Bernard Stiegler (Philosophe) et Jean Ziegler (Ancien rapporteur à l’ONU).
« On ne voulait pas d’historiens, pas d’économistes et pas d’hommes politiques en activité. » nous apprend Jérémy Forni. L’idée du film, c’est de confronter des figures de la gauche du 20e siècle aux questionnements d’une autre génération. « Le film part du constat d’une désespérance. Une désespérance du peuple de gauche. Ma génération, ceux qui m’entouraient et avec qui j’avais grandi. La génération Mitterrand qui a cru à une possibilité de la victoire de la gauche avec Lionel Jospin et qui a eu à subir la déception du 21 avril 2002. Ceux qui se disent : J’ai 30 ans, je me sens de gauche, qu’est-ce qui m’arrive ? ». À l’origine donc, la présence de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour, brutale entrée dans le monde adulte entraînant de nombreux questionnements : où en sommes-nous à gauche ? Pourquoi n’avons-nous pas réussi à incarner une utopie ? Le film revient sur des évènements structurants tout au long de ces vingt dernières années. Le point de départ de 1989 a été choisi car il s’agit d’une année charnière qui a notamment vu la chute du mur de Berlin et Tien Anmen.
Deux amis, journalistes, Geoffroy Fauquier et Gaël Bizien, même génération et questionnement similaire bien que provenant de sensibilité de gauche plus écologiste ou libertaire, se joignent à lui pour scénariser le documentaire.
UN FILM DE PAROLE À DESTINATION DE TOUS
« Le film est très construit. On donne des points d’entrée auxquels tout le monde peut se rattacher même sans background politique important. » C’était important pour le réalisateur, lui qui a consacré son précédent documentaire, « Traces de lutte », à l’activité du groupe Medvekine, expérience d’éducation populaire, qui a vu se construire la rencontre entre ouvriers et cinéastes, où il s’est agi pour les travailleurs de se saisir des outils de leur propre représentation. « Selon moi, il ne faut pas que la culture soit populiste ou élitiste. Mais culture populaire ne veut pas dire culture pas exigeante. » Ainsi ont été particulièrement soignés le cadre cinématographique, l’esthétique, la lumière, l’ambiance de ce « film de parole ».
Interventions et balises explicatives se succèdent à l’écran dans le décor d’une usine désaffectée de la banlieue parisienne à la charge forte symbolique. « Le lieu est un personnage du film. On a voulu exprimer la disparition de la culture ouvrière. Ce décor d’effondrement d’usine est une métaphore de la gauche ces 20 dernières années, de la fin des illusions, de la délocalisation d’une grande partie de la production industrielle européenne… »
DE LA DÉFAITE À L’ESPÉRANCE
« Après la gauche » pourrait presque s’appeler Après la défaite de la gauche car il débute justement sur ce constat. Mais, « au fur et à mesure du film, on passe du constat sombre à l’espérance. L’idée est de montrer une direction. »
Le film revient longuement sur le projet social-démocrate des années 1990, celui qui a vu « la mutation d’une logique de transformation sociale vers une logique gestionnaire et d’accompagnement du libéralisme même si c’est plus facile de développer une argumentation contre la social-démocratie car historiquement elle a été au pouvoir. Mais on n’est pas tendre non plus avec les autres mouvances de la gauche : l’extrême gauche qui continue de refuser l’exercice du pouvoir, ou l’altermondialisme qui s’est perdu dans un combat stérile face aux grandes organisations internationales et n’a jamais su exercer sa force, n’a jamais réussi rentrer dans le champ politique. »
Le film situe le « principe espérance » en Amérique du Sud, continent des avancées sérieuses qui remettent en cause la logique du système capitaliste. « Pour le vieux continent, ça a toujours été un eldorado idéologique. Le pays des révolutions, Allende, Cuba. Mais c’est aussi le continent des dictatures, de l’ultralibéralisme. Aujourd’hui, c’est l’endroit où une gauche renaît. Avec des exemples très différents : Chavez, Bachelet, Correa ou Lula . » En Europe, qui peut espérer un « retour des caravelles », la gauche reprend des couleurs depuis quelque temps, se reforme idéologiquement, et se réinstalle comme possibilité. « Tout concourt pour que les forces idéologiques et le mouvement social débutent une vraie réflexion sur la nécessité de sortir du système libérale suite à la crise de 2008. C’est dans la crise que les idéaux de gauche se révèlent ! ». En attendant l’après droite.
Après la gauche
De Jérémy Forni, Geoffroy Fauquier et Gaël Bizien
2010, Cie des Phares et Balises, Chevaldeuxtrois