Quels sont les éléments déclencheurs qui ont fait naître une ONG comme Solidarité Socialiste ?
En fait, l’histoire de cette organisation remonte à plus de cinquante ans… En 1947, dans la lignée du Fonds Matteoti, créé en 1927 afin de venir en aide aux victimes des régimes fascistes (Italie, Allemagne et plus tard Espagne), le PSB (Parti Socialiste Belge) met en place un Comité d’aide aux socialistes espagnols. En 1948, ce Comité se transforme en Entraide Socialiste, une organisation destinée à assurer, entre autres, l’accueil des réfugiés politiques victimes des régimes totalitaires. Et puis, en 1963, L’Entraide socialiste va scinder ses activités en deux services distincts : l’Entraide aux boursiers d’Afrique, un Service d’Accueil et d’Hébergement logé rue de Parme (futur SETM — Solidarité Etudiants Tiers Monde toujours actif aujourd’hui) et le Fonds National de Coopération au Développement, chargé de « projets de développement », principalement en Afrique, qui prendra en 1978 le nom de Solidarité Socialiste.
Pourquoi assiste-t-on à cette division en 1963 ?
Parce que le processus de la décolonisation s’est amorcé dès les années 60. Et ce phénomène bouleverse la conception de l’aide et de la solidarité internationale, en particulier pour les socialistes qui ont déjà commencé à dénoncer l’entreprise coloniale belge au Congo. À partir de ce moment-là, l’Entraide Socialiste se positionne clairement dans l’appui aux mouvements d’indépendance et de décolonisation, portés par des leaders de la société civile des pays concernés. Dans les années 70, elle appuiera la lutte pour l’indépendance des anciennes colonies françaises et portugaises (Angola, Mozambique, Cap Vert, Guinée Bissau). Elle accueille également les réfugiés chiliens après le coup d’État militaire d’Augusto Pinochet contre Salvador Allende. Jusqu’en 1983, Solidarité Socialiste était essentiellement soutenue par le Parti Socialiste. Ensuite, un changement important est intervenu quand elle a été considérée comme l’outil principal de la solidarité internationale des quatre branches de l’Action Commune, à savoir : le Parti, les syndicats, les mutualités et les coopératives. Aujourd’hui, chacune de ces branches appuie individuellement ou non notre action.
Quand on travaille avec une certaine dose de convictions, d’idéalisme, et de volonté de changement, il faut toujours se réinterroger sur les différentes formes que peut prendre la solidarité. Comment considère-t-on celui qu’on « aide », pourquoi on le fait, ce qu’on attend en retour. L’aide n’est pas toujours nécessairement adaptée aux besoins des gens. Elle est parfois et même souvent intéressée. D’aucuns ont osé présenter l’entreprise coloniale par exemple comme une œuvre bienfaitrice de la civilisation prodiguée par des puissances « avancées » aux populations « sous-développées ». Nous savons qu’en ce qui concerne le Congo, le Belgique a retiré bien plus de richesses qu’elle n’en a apportées, imposant en outre au passage son propre modèle de société et sa religion. Bien qu’au travers de la coopération d’aujourd’hui on admette différentes approches du développement, cette question de l’imposition de valeurs ou de modèles reste posée. Celles des intérêts politiques ou économiques en jeu également.
De quelle manière Solidarité Socialiste pense-t-elle la coopération au développement ?
Pour Solsoc, même si la satisfaction des besoins fondamentaux des gens reste une priorité, il faut viser un réel changement social à plus long terme. Solsoc soutient des organisations qui travaillent dans ce sens. Il peut aussi bien s’agir de groupements paysans, que de mutuelles de santé ou d’associations de quartier par exemple, qui veulent être mieux en mesure d’élaborer des propositions pour leur propre développement et arriver à les négocier avec leurs propres autorités publiques. Je dirais qu’une autre de nos spécificités consiste à pratiquer et encourager le partenariat « en réseaux ». Parce que, lorsque des associations se fédèrent, elles deviennent plus fortes. De cette manière, les sociétés civiles locales se renforcent et deviennent capables d’influer sur les politiques, d’interpeller leurs dirigeants, voire de se transformer en un véritable mouvement social (comme dans le cas d’un syndicat, par exemple), apte à entrer dans un rapport de force dynamique avec le pouvoir.
Ainsi au Maroc, nous travaillons avec des associations de quartiers populaires très concernées par les questions de la démocratie et de la laïcité ; et ce travail n’est pas facile à mener dans un tel contexte. Ces associations ont été très impliquées dans la dynamique du M20, expression marocaine des Printemps arabes. Solidarité Socialiste soutient leur travail au niveau des réseaux d’associations de quartiers, de jeunes et de femmes.
Une spécificité de Solidarité Socialiste est peut-être aussi le fait que les organisations que nous soutenons en Afrique, en Amérique Latine et en Palestine sont systématiquement associées à l’élaboration de nos programmes d’activités globaux. Ceci afin de s’assurer que notre action colle bien aux réelles aspirations des gens en termes de changement. Nous sommes dans un processus d’éducation populaire où nous échangeons et apprenons ensemble à construire le changement tant au Nord qu’au Sud.
Par contre, une de nos difficultés reste la mobilisation de fonds au sein du monde socialiste. Solidarité Socialiste a trop peu de donateurs parmi les militants. Peut-être parce qu’ils ne connaissent pas suffisamment l’ONG et son travail.
Que pensez-vous des prises de position, des actes posés par les soldats français et belges au Mali et ailleurs ? N’est-ce pas encore là une forme de post-colonialisme, des intérêts à protéger avant tout ?
Il est clair que la colonisation ne s’est pas achevée avec les indépendances. Les choses sont peut-être même encore plus complexes aujourd’hui où certains mécanismes sont cachés. Dans ce qu’on appelle le système de la Françafrique, ce sont des chefs d’Etat africains, y compris parmi les pires dictateurs, qui, grâce aux richesses qu’ils détournent de leurs populations, soutiennent certains hommes politiques ou certains partis occidentaux. Aujourd’hui, c’est un jeu dans lequel les élites occidentales et africaines en l’occurrence sont complices. Ce qui se passe au Mali n’est pas uniquement une œuvre de défense de la démocratie, d’autres intérêts, géopolitiques et économiques sont évidemment en jeu. C’est assez révélateur de la manière dont la France — je parle de l’Etat et du Gouvernement français – a géré ses anciennes colonies et qu’elle continue d’ailleurs à gérer aujourd’hui. Certes, une partie de la population malienne semblait appeler de ses vœux une intervention militaire extérieure contre les extrémistes islamistes. Mais il faut bien se rendre compte que cela donnera à la France encore un peu plus de poids politique et économique dans le pays.
Le néo-colonialisme prend différentes formes. Les puissances occidentales ont toujours des vues sur les richesses de leurs anciennes colonies, mais elles ne sont plus les seules à en profiter. La Colombie, par exemple est un pays pillé par toute une série de puissances extérieures et pas seulement occidentales, les pays émergents commencent aussi à jouer sur ce terrain. Le République Démocratique du Congo (RDC) est sûrement l’exemple le plus désastreux, car depuis la décolonisation, il fait l’objet de beaucoup de convoitises extérieures, ce qui alimente une guerre interminable à l’Est du pays. La RDC est complètement pillée et les gouvernements qui se sont succédés après Mobutu ne sont pas franchement arrivés à lui rendre une autonomie politique et économique. Même en ce qui concerne le budget de l’Etat, il reste très dépendant de l’extérieur.