On l’appelle le Prisonnier. Il est le Numéro 6. Il dit : « Je ne veux pas me faire ficher, estampiller, enregistrer, ni me faire classer puis déclasser ou numéroter. Ma vie m’appartient ».
Pour Noël, on évitera donc de lui offrir la montre connectée d’Apple, ce nouveau symbole d’un monde parfait. Ce n’est évidemment pas un gadget pour cet asocial notoire ! Qui, de fait, ne connaîtra jamais les joies de porter à son poignet un outil lui permettant, en temps réel, de recevoir les informations les plus intimes de son propre corps (« au 3e top votre cœur va lâcher… ») ou, mieux encore, les messages toujours plus intéressants de ses nombreux amis à travers le monde (« help, suis dans la mdr ») !
Mais le Prisonnier a‑t-il encore besoin d’amis ? De relations sociales ? Et qui est-il au juste ce personnage farouche qui résiste au progrès de l’auto-surveillance et qui répète : « Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre ? »
Série britannique en 17 épisodes, produite et diffusée en Angleterre entre 1967 et 1968, le Prisonnier (The Prisoner) est surtout l’œuvre d’un seul homme, Patrick McGoohan. L’acteur anglais qui interprète le rôle-titre est aussi le principal concepteur de cet ovni télévisuel, dont il signa plusieurs scénarios et réalisa cinq épisodes.
McGoohan, déjà une star à l’époque, avait fait ses classes dans Destination Danger (Danger Man), endossant le rôle de l’agent secret John Drake ; une série d’espionnage visionnaire (86 épisodes réalisés et diffusés entre 60 et 66) que d’aucuns définissent comme une prémisse au Prisonnier. Mais la réalité est ailleurs. Car même si le Numéro 6 est bel et bien un ex-agent secret à qui l’on (mais qui est ON ?) voudrait soutirer des renseignements (des renseignements, des renseignements… répète une voix inlassablement), le Prisonnier est une œuvre-concept et même, aux dires de son créateur, une énigme allégorique dont chacun, chacune, devrait donner sa propre interprétation. Voilà pourquoi, depuis 50 ans, le Prisonnier donne du fil à retordre aux chercheurs en série-cinéphilie…
Enfermé dans un lieu indéterminé appelé le Village, le Prisonnier nourrit deux obsessions : s’évader et connaître l’identité du mystérieux Numéro 1. L’épisode final, très attendu, pose donc question. Appelé Le dénouement (Fall Out), il nous révèle le vrai visage du Numéro 1 qui est celui… du Numéro 6 lui-même. Coup de tonnerre ! Scandale !
Nous serions donc, toutes et tous, prisonniers de nous-mêmes, en lutte permanente contre nos tendances au conformisme social, à l’autocensure, à la « normopathie » généralisée, dans un village global où tout finira, un jour, par se réduire au plus grand commun dénominateur de nos us et coutumes consuméristes… Et même si nous réussissons de temps en temps à quitter le Village, c’est pour mieux y revenir, encore et toujours, c’est une histoire sans fin.
On l’appelle le Prisonnier. Il est le Numéro 6. Et vous ?