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Je suis le Prisonnier du village global…

Photo : Editions Huitième Art, 1989

On l’appelle le Pri­son­nier. Il est le Numé­ro 6. Il dit : « Je ne veux pas me faire ficher, estam­piller, enre­gis­trer, ni me faire clas­ser puis déclas­ser ou numé­ro­ter. Ma vie m’appartient ».

Pour Noël, on évi­te­ra donc de lui offrir la montre connec­tée d’Apple, ce nou­veau sym­bole d’un monde par­fait. Ce n’est évi­dem­ment pas un gad­get pour cet aso­cial notoire ! Qui, de fait, ne connaî­tra jamais les joies de por­ter à son poi­gnet un outil lui per­met­tant, en temps réel, de rece­voir les infor­ma­tions les plus intimes de son propre corps (« au 3e top votre cœur va lâcher… ») ou, mieux encore, les mes­sages tou­jours plus inté­res­sants de ses nom­breux amis à tra­vers le monde (« help, suis dans la mdr ») !

Mais le Pri­son­nier a‑t-il encore besoin d’amis ? De rela­tions sociales ? Et qui est-il au juste ce per­son­nage farouche qui résiste au pro­grès de l’auto-surveillance et qui répète : « Je ne suis pas un numé­ro, je suis un homme libre ? »

Série bri­tan­nique en 17 épi­sodes, pro­duite et dif­fu­sée en Angle­terre entre 1967 et 1968, le Pri­son­nier (The Pri­so­ner) est sur­tout l’œuvre d’un seul homme, Patrick McGoo­han. L’acteur anglais qui inter­prète le rôle-titre est aus­si le prin­ci­pal concep­teur de cet ovni télé­vi­suel, dont il signa plu­sieurs scé­na­rios et réa­li­sa cinq épisodes.

McGoo­han, déjà une star à l’époque, avait fait ses classes dans Des­ti­na­tion Dan­ger (Dan­ger Man), endos­sant le rôle de l’agent secret John Drake ; une série d’espionnage vision­naire (86 épi­sodes réa­li­sés et dif­fu­sés entre 60 et 66) que d’aucuns défi­nissent comme une pré­misse au Pri­son­nier. Mais la réa­li­té est ailleurs. Car même si le Numé­ro 6 est bel et bien un ex-agent secret à qui l’on (mais qui est ON ?) vou­drait sou­ti­rer des ren­sei­gne­ments (des ren­sei­gne­ments, des ren­sei­gne­ments… répète une voix inlas­sa­ble­ment), le Pri­son­nier est une œuvre-concept et même, aux dires de son créa­teur, une énigme allé­go­rique dont cha­cun, cha­cune, devrait don­ner sa propre inter­pré­ta­tion. Voi­là pour­quoi, depuis 50 ans, le Pri­son­nier donne du fil à retordre aux cher­cheurs en série-cinéphilie…

Enfer­mé dans un lieu indé­ter­mi­né appe­lé le Vil­lage, le Pri­son­nier nour­rit deux obses­sions : s’évader et connaître l’identité du mys­té­rieux Numé­ro 1. L’épisode final, très atten­du, pose donc ques­tion. Appe­lé Le dénoue­ment (Fall Out), il nous révèle le vrai visage du Numé­ro 1 qui est celui… du Numé­ro 6 lui-même. Coup de ton­nerre ! Scandale !

Nous serions donc, toutes et tous, pri­son­niers de nous-mêmes, en lutte per­ma­nente contre nos ten­dances au confor­misme social, à l’autocensure, à la « nor­mo­pa­thie » géné­ra­li­sée, dans un vil­lage glo­bal où tout fini­ra, un jour, par se réduire au plus grand com­mun déno­mi­na­teur de nos us et cou­tumes consu­mé­ristes… Et même si nous réus­sis­sons de temps en temps à quit­ter le Vil­lage, c’est pour mieux y reve­nir, encore et tou­jours, c’est une his­toire sans fin.

On l’appelle le Pri­son­nier. Il est le Numé­ro 6. Et vous ?