Jef Aérosol est originaire du Nord de la France, a 57 ans, ce pochoiriste est passé dans toutes les contrées de la planétaire, des plus proches aux plus éloignées. Partout il y a laissé ses traces d’artiste engagé sans pour autant que ce soit flagrant en utilisant plus particulièrement cet outil incroyable qu’est la bombe aérosol.
Considères-tu ton travail comme politique
Cela n’existe pas de la création artistique non politique ou apolitique. Le simple fait de dire ce n’est pas politique c’est déjà politique. Le fait de dire, je ne veux pas que mon art soit politique c’est déjà un refus de quelque chose, c’est déjà être politisé, c’est déjà poser un geste. Je dis souvent que l’art est dans l’acte et l’acte est marqué en grande partie par son envie, même si on n’en parle pas. C’est important de pouvoir parler de ce que l’on fait sans pour autant que cela supplante l’impact des œuvres elles-mêmes, bien souvent les images permettent d’exprimer ce que les mots ne suffisent pas à dire ou au contraire, les mots réduisent. Si on commence à analyser ou à expliciter son art, on réduit alors le champ de l’imaginaire des spectateurs, c’est forcément politique.
Pour revenir à mon travail, je pense qu’il y a un engagement ignorant au fait de travailler sur la ville. Ce n’est pas anodin de mettre des images sur les murs. Hormis ceux de droite, d’extrême droite, de gauche, d’extrême gauche qui balancent des slogans politiques purs et ne font pas de tags sur les murs, hormis ces gens-là, je crois qu’une grande majorité des artistes urbains aujourd’hui ne sont ni de droite, ni d’extrême droite. Je pense qu’il y a eu un élan qui émanait davantage d’un besoin d’expression au sens large en passant par tous les sous-groupes. Le fait de descendre travailler sur les murs de la ville, ce n’est pas anodin et je crois que cela marque les esprits. En même temps nous existons car nous estimons que l’espace public n’est pas ce qu’il devrait être. Ce qui appartient aux gens, c’est-à-dire leur espace de vie, la sphère publique, la rue, leur est un peu confisqué par la publicité, les spéculateurs immobiliers, par des politiques d’urbanisme cavalières qui occultent souvent la vie de la cité pour en faire une ville un peu aseptisée.
Que penses-tu du travail de Banksy, tu t’en sens proche ?
Dans mes choix d’images, j’ai parfois des pochoirs qui sont purement des messages, j’en ai quelques-uns mais je ne veux pas être illustratif à l’instar de Banksy, il est un peu pour moi le Plantu des murs !
Hormis quelques images très poétiques, intemporelles et universelles comme cette petite fille qui tient un ballon en forme de cœur, on a au moins 50 % de son travail qui est quelque chose de très illustratif. J’adore, il a un génie du contexte et de l’à‑propos, c’est un grand artiste mais parfois on ne trouve pas l’intemporalité et l’universalité vers lesquelles j’aime tendre et que j’apprécie chez beaucoup d’artistes. Je pense que c’est important qu’une image puisse être reçue par quelqu’un qui est à l’autre bout de la planète, qui n’est pas en Occident et pas forcément au fait et au courant des turpitudes de notre monde occidental. Je me souviens en 2004 en allant à Londres, j’ai compris le travail de Banksy. J’avais vu dans ses travaux énormément de références aux caméras de surveillance, dispositifs qui n’étaient pas encore arrivés en France. J’ignorais totalement qu’il y en avait autant en Angleterre. En ce sens, c’est un chroniqueur politico-social de ce qui se passe, en particulier en Occident. Mon travail ne s’implique pas tout à fait dans cette logique. Il m’arrive pourtant de le faire ainsi quand la crise a pris de l’ampleur, ce trader assis en tailleur en costume cravate qui a les mains jointes comme en prière et qui a les yeux tournés vers le ciel et la légende est Prions la sainte trinité : (la sainte trinité du dollar, de l’euro et de la livre sterling). J’ai fait également un autoportrait où je suis la main contre un mur en train de vomir et ce que je vomis ce sont tous ces logos des monnaies internationales d’une part et les mots comme crédit, finance, crise, pouvoir, argent… J’étais là tout à fait dans le message directement politique sans pour autant dire votez ceci ou votez cela.
Mais la plupart du temps je suis plutôt dans un engagement poétique.
On fait de l’image ce que l’on veut et en ce sens mon engagement c’est vraiment rendre aux gens ce qui leur appartient. C’est-à-dire que pour moi la publicité, les grands encarts publicitaires de 6m x 4m que l’on nous impose même si certaines peuvent être considérées comme des œuvres d’art, j’estime que ce sont quand même des pulsions ou en tout cas des impositions à la population. On est dans une situation où la ville, les gens sont dépossédés de ce qui leur appartient et ne sont pas choqués par un mobilier qui est le même (c’est-à-dire Decaux) dans toutes les grandes villes du monde.
Ce phénomène qu’est le Street art n’est pas un mouvement artistique pour moi mais bien un phénomène. Et c’est pour cela que je refuse maintenant, et pourtant je l’ai beaucoup fait, de séparer le Street art du graffiti du tag, etc. Parce que artistiquement parlant on peut s’interroger sur où commence l’art et où s’arrête-t-il ? Il y a des milliers ou des millions de jeunes ou de moins jeunes qui déposent des traces, des marques que l’on peut trouver belles ou pas belles mais qui en tout cas se réaccaparent la ville. C’est un phénomène planétaire qui n’a jamais existé auparavant. La figuration libre en France dans les années 80 était représentée par : Robert Combas, Hervé Di Rosa, Rémi Blanchard, François Boisrond. Si on allait en Afrique du Sud ou en Asie, absolument personne n’avait entendu parler de ces gens-là. Alors qu’aujourd’hui, il y a des gens dans le moindre village d’Afrique, d’Asie, d’Inde, des pays de l’Est, du Nord de l’Europe, en Amérique latine, qui font des choses sur les murs, connus ou inconnus, ils se considèrent comme artistes ou pas. Ils sont en lutte et expriment des colères sur les murs ou au contraire essaient de dessiner leur rêve. Ils le font en utilisant, en particulier, un outil incroyable qu’est la bombe aérosol. Ils collent, détournent la signalétique urbaine, fabriquent des choses en volume, s’inscrivent dans des lignées qui peuvent appartenir au muralisme latino-américain ou à la calligraphie arabe, même à la peinture rupestre.