Justice sociale et justice environnementale en politique

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Joëlle Kapom­po­lé et Oli­via P’tito. Deux dépu­tées régio­nales, l’une wal­lonne, l’autre bruxel­loise. Deux carac­tères qui très tôt ont pris conscience de l’enjeu des bou­le­ver­se­ments des cycles de la nature et qui asso­cient tota­le­ment éman­ci­pa­tion sociale et pré­ser­va­tion des équi­libres natu­rels. Regard croisé.

Le socialisme a historiquement son centre de gravité autour de la question sociale. Quel est l’événement concret qui vous a convaincue de lier indissolublement l’égalité des travailleurs avec la défense de l’environnement ?

Joëlle Kapom­po­lé : Je ne pense pas à un seul évé­ne­ment en par­ti­cu­lier. Il s’agit d’une prise de conscience qui s’est déve­lop­pée en moi basée sur la mul­ti­pli­ca­tion des catas­trophes natu­relles, la média­ti­sa­tion des conclu­sions du GIEC et du pro­to­cole de Kyo­to, l’exposition Yann Arthus-Ber­trand orga­ni­sée par Pré­sence et Action Cultu­relles, le film d’Al Gore « Une Véri­té qui dérange », les débats menés au sein du Col­lec­tif pour une éco­lo­gie sociale, mes lectures,…

Oli­via P’tito : Mes études en droit social puis en droit de l’environnement m’ont convain­cue du lien entre ces enjeux. Paral­lè­le­ment, le 1er para­graphe de la Charte de Qua­re­gnon qui fonde mon atta­che­ment aux valeurs du PS d’autre part : « Les richesses, en géné­ral, et spé­cia­le­ment les moyens de pro­duc­tion, sont ou des agents natu­rels ou le fruit du tra­vail ‑manuel et céré­bral- des géné­ra­tions anté­rieures, aus­si bien que de la géné­ra­tion actuelle ; elles doivent, par consé­quent, être consi­dé­rées comme le patri­moine com­mun de l’hu­ma­ni­té ». Les bases de ce com­bat ont été posées en 1894… à nous de le continuer.

Quelle est la figure politique, intellectuelle, ou culturelle qui à vos yeux représente le mieux l’articulation des enjeux environnementaux et sociaux ?

Oli­via P’tito : Ric­car­do Petrel­la, doc­teur en sciences poli­tiques et sociales, qui s’engage – entre autres – pour l’eau en refu­sant sa pri­va­ti­sa­tion. J’ai eu la chance de par­ti­ci­per à un débat à ses côtés, à l’occasion du lan­ce­ment de sa cam­pagne euro­péenne, cam­pagne au cours de laquelle. Il a d’ailleurs salué la tra­di­tion belge ayant pré­ser­vé le carac­tère public de son réseau hydrique par le biais des intercommunales.

Joëlle Kapom­po­lé : Domi­nique Bourg, pro­fes­seur de phi­lo­so­phie de la nature à l’Université de Lau­sanne, car il insiste de manière per­ti­nente sur la répar­ti­tion inéga­li­taire de la richesse sur notre pla­nète et pose la ques­tion de notre mode de consom­ma­tion basé sur l’accumulation de biens matériels.

L’écologie politique a‑t-elle insuffisamment pris en compte la pauvreté, l’exclusion sociale et les inégalités qui s’accroissent chez nous, en Europe et dans les pays en développement ?

Joëlle Kapom­po­lé : Mal­heu­reu­se­ment non. Très long­temps, le débat a été confis­qué par des intel­lec­tuels pri­vi­lé­giés qui ne vou­laient pas (ou ne pou­vaient pas) com­prendre la réa­li­té vécue par les plus dému­nis de notre socié­té. À l’heure actuelle, consom­mer bio reste un luxe et l’impossibilité de se chauf­fer cor­rec­te­ment prend des pro­por­tions catastrophiques.

Oli­via P’tito : Non ! La pau­vre­té aug­mente… Voi­là pour­quoi il est urgent de par­tir du social pour rele­ver le défi envi­ron­ne­men­tal. On doit arrê­ter de pen­ser « grou­pe­ment d’achats soli­daires » (y com­pris d’énergie) ou pota­gers urbains sans en faire pro­fi­ter prio­ri­tai­re­ment les plus démunis.

La catastrophe de Fukushima a‑t-elle modifié votre analyse de l’enjeu du nucléaire ?

Oli­via P’tito : Toute catas­trophe est humai­ne­ment dra­ma­tique, mais ma vision n’a pas chan­gé : nous devons sor­tir du nucléaire. Cepen­dant, ce n’est pas du « y a qu’à » car il faut tout à la fois garan­tir la sécu­ri­té, y com­pris d’approvisionnement, bais­ser la consom­ma­tion éner­gé­tique (avec une popu­la­tion en plein boom démo­gra­phique à Bruxelles, rap­pe­lons-le) ain­si que la fac­ture éner­gé­tique et répondre à nos enga­ge­ments envi­ron­ne­men­taux. Les défis sont donc énormes, mais nous devons être prêts à les relever.

Joëlle Kapom­po­lé : Cette catas­trophe a juste confir­mé ma convic­tion que le nucléaire n’est pas une solu­tion à long terme pour notre pla­nète et pour ses habi­tants. Une tran­si­tion vers des éner­gies renou­ve­lables s’avère, plus que jamais, néces­saire. En outre, cette tran­si­tion doit s’opérer à un coût rai­son­nable pour les citoyens.

Quelle est la mesure, en termes d’écologie sociale, que vous rêveriez de faire adopter au sein de votre assemblée parlementaire ?

Joëlle Kapom­po­lé : J’aimerais que les indi­ca­teurs alter­na­tifs (indice de sou­te­na­bi­li­té envi­ron­ne­men­tale, indice de bien-être, indi­ca­teur de pro­grès véri­table, empreinte éco­lo­gique…) deviennent la norme pour notre gou­ver­nance dans toute la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles à côté des indi­ca­teurs clas­siques tels que la crois­sance ou le pro­duit inté­rieur brut.

Oli­via P’tito : La créa­tion d’un véri­table enca­dre­ment des loyers fixé en tenant compte de l’état du bâti­ment y com­pris au niveau éner­gé­tique. Car, outre que les prix n’ont fait qu’augmenter en Région bruxel­loise, une large majo­ri­té de notre popu­la­tion est loca­taire et non-pro­prié­taire contrai­re­ment aux deux autres Régions. Cette situa­tion rime avec inéga­li­tés sociales et pré­ca­ri­té énergétique.

À l’inverse, quelle est la plus mauvaise mesure législative que vous avez été contraintes de voter en matière environnementale ?

Oli­via P’tito : Je m’interroge sou­vent sur les énormes bud­gets consa­crés aux primes éner­gie qui, certes depuis l’an pas­sé et au prix de longs débats, ont été modi­fiées afin de tenir compte des reve­nus des béné­fi­ciaires, mais s’apparentent encore sou­vent à des effets d’aubaine. Le retour sur inves­tis­se­ment tant en termes d’économies d’énergie que d’emplois devrait être plus mesurable…

Joëlle Kapom­po­lé : Les décrets rela­tifs aux aéro­ports même si nous avons réa­li­sé du bon tra­vail en matière de réduc­tion des nui­sances sonores et environnementales.

En matière de production et de consommation, de normes sociales et environnementales, l’État doit-il être plus contraignant ou faut-il faire confiance aux citoyens ?

Oli­via P’tito : Oui, il faut faire confiance aux citoyens, mais en l’accompagnant afin que ses choix soient éclai­rés en tant que consom­ma­teur au milieu de l’écologie de mar­ché actuelle. Il importe aus­si de « régu­ler » cer­tains mar­chés créés de toutes pièces (PEB, sols pol­lués, etc.) et bien sûr impo­ser des normes et sanc­tions comme ce qui concerne la propreté.

Joëlle Kapom­po­lé : L’État doit jouer son rôle et édic­ter la norme. Par contre, il faut sans cesse convaincre les citoyens de la per­ti­nence de celles-ci pour sus­ci­ter l’adhésion de tous.

Êtes-vous favorable à une régulation des prix de l’énergie et dans l’affirmative, sur quels critères ?

Oli­via P’tito : Oui, bien évi­dem­ment, l’accord de gou­ver­ne­ment pré­voit d’ailleurs l’instauration d’une tari­fi­ca­tion soli­daire ‑comme pour l’eau- dès que la com­pé­tence nous sera trans­fé­rée. Il fau­drait aus­si inter­dire aux four­nis­seurs la réper­cus­sion dans leurs prix des taxes, envi­ron­ne­men­tales ou liées aux mis­sions de ser­vice public, qui leur sont imposées.

Joëlle Kapom­po­lé : Évi­dem­ment, je suis favo­rable à une régu­la­tion des prix de l’énergie. Je pense qu’il faut tra­vailler sur les prix de l’énergie elle-même et sur les coûts de dis­tri­bu­tion, ce qui implique d’agir au niveau fédé­ral et au niveau régio­nal. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la libé­ra­li­sa­tion de l’énergie n’a pas été favo­rable au consommateur.

Le développement durable, avec ses quatre piliers, vous apparaît-il comme un modèle opérationnel de gouvernance face aux catastrophes climatiques et aux perturbations des cycles naturels ?

Joëlle Kapom­po­lé : En tout cas, je n’en vois pas d’autres pour l’instant.

Oli­via P’tito : Ce qui compte c’est la trans­ver­sa­li­té opé­ra­tion­nelle qui doit exis­ter der­rière ce concept de déve­lop­pe­ment durable : les admi­nis­tra­tions doivent tra­vailler ensemble.

Une production culturelle, une chanson, un film, une recette, un tableau, un paysage, un roman… qui symbolise pour vous l’alliance des deux justices, la sociale et l’environnementale ?

Joëlle Kapom­po­lé : Le film « One water » que j’ai pu pré­sen­ter à une cen­taine d’étudiants de 4ème secon­daire dans le cadre de mes acti­vi­tés de pré­si­dente du Contrat de Rivière de la Haine. Ce film montre les mul­tiples façons dont l’eau touche les êtres humains tout autour du globe. Il a été fil­mé dans 15 pays, sur les 2 hémi­sphères, pen­dant une période de 5 ans. J’ai appré­cié les séquences visuelles fortes, les com­men­taires ain­si que la musique jouée par l’Orchestre phil­har­mo­nique de Rus­sie. Sur­tout, j’ai été heu­reuse d’échanger mes impres­sions avec celles des jeunes pré­sents dans la salle.

Oli­via P’tito : L’enjeu de cette alliance des deux jus­tices et la vul­ga­ri­sa­tion des enjeux afin que cha­cun puisse s’en empa­rer. L’humour y a donc sa place et Jamel Deb­bouze a bien résu­mé les choses : « Ma mère, c’est elle qui a inven­té l’écologie : un bain pour 7 ! ». Côté BD, « Les inno­cents » sonnent comme un « retour à la nature » de Étienne Davo­deau, plus habi­tué à des thèmes clai­re­ment sociaux…

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