Il n’y a rien de honteux à afficher sa jamesbondophilie. Pour beaucoup d’entre nous, mâles hétérosexuels d’un âge certain, James Bond c’est un peu l’homme idéal : courageux quand la situation l’impose, distingué même dans l’effort, adepte des libations et des belles choses, dénudées de préférence. Ce qui n’en fait pas un misogyne pour autant comme d’aucuns, les excessifs habituels, le prétendent. Il faudrait pour cela que le commander Bond détestât les femmes. Or il n’en est rien ! Il les aime terriblement ! Un peu comme on aime les coupés sport, certes, mais l’homme à ses faiblesses. Son mariage éphémère avec Teresa Di Vicenzo/Draco, assassinée une demi-heure après les noces, l’a empli à tout jamais d’amertume. Bond reste avant tout un solitaire, tatillon et un peu « vieille fille ».
Mais revenons à l’action. Après 12 romans et deux recueils de nouvelles, signés Ian Fleming (entre 1952 et 1964), après 24 longs-métrages, de Dr No (1962) à Spectre (2015), après une quantité invraisemblable d’ouvrages, films « inspirés de », pastiches, documentaires, études, etc. que reste-t-il à écrire sur le plus célèbre des agents secrets ? Pas grand-chose. On en oublierait presque qu’il s’agit d’un personnage de fiction. Et c’est peut-être là que réside la clef de son succès au fil des décennies. Bond fait partie des meubles depuis le début des années 60. Malgré ses multiples avatars, il reste le témoin privilégié d’un monde nouveau, issu de la Seconde Guerre mondiale. Ses concepteurs, écrivains, réalisateurs et scénaristes, ont respecté à la lettre l’idée première de Fleming qui s’astreignit toujours à faire de son personnage le reflet fidèle de son époque. Contre vents et marées, 007 incarne le défenseur du vieil Occident blanc – petit blanc même –, héritier du fardeau de l’homme de même couleur, n’obéissant in fine qu’aux ordres de Sa Très Gracieuse Majesté. Rien de politiquement correct. « Ni saint ni monstre » (dixit Fleming, encore lui). On se plaît à trouver en James Bond l’homme de toutes les situations, l’ultime rempart contre toutes les formes de terrorisme : privé, confessionnel ou étatique. Bond n’est après tout qu’un fonctionnaire (attaché au MI6) auquel on confie des missions délicates et dangereuses. Missions dont il s’acquitte avec brio, évitant aux populations du monde libre de vivre en permanence dans l’angoisse et la peur. 007 est un gardien de la paix. C’est son côté rassurant.
Dès les années 60, les écrivains de science-fiction avaient prévu le grand bordel géopolitique et culturel dans lequel nous pataugeons aujourd’hui. Mais aucun d’entre eux n’avait imaginé un instant accumuler un tel nombre de psychopathes au pouvoir dans un seul roman ! La ficelle eût été trop grosse pour être plausible (ce constat vaut aussi pour le rayon espionnage). Nous devons donc déplorer qu’en ce début de 21e siècle, la réalité a bel et bien dépassé la fiction. Et James Bond, rappelons-le, n’existe pas vraiment…