L’univers troublant de Michael Borremans

 Michaël Borremans, The Devil’s Dress, 2011Courtesy Zeno X Gallery Antwerp and David Zwirner New York/London © Photographer Ron Amstutz

Michaël Bor­re­mans, né en 1963 à Gram­mont. Mécon­nu en Bel­gique, il embrasse pour­tant une car­rière inter­na­tio­nale depuis la fin des années 90. Depuis février 2014, BOZAR, asso­cié au Dal­las Museum of Art, lui consacre une grande rétros­pec­tive : « As sweet as it gets », un pano­ra­ma de sa pro­duc­tion artis­tique mul­ti­dis­ci­pli­naire de 1990 à nos jours. Des pièces issues de col­lec­tions publiques et pri­vées en Europe et aux États-Unis. Pas moins d’une cin­quan­taine de pein­tures, une qua­ran­taine de des­sins et cinq films per­mettent d’accéder à son uni­vers mys­té­rieux, absurde, hal­lu­ci­na­toire, sombre et violent, ain­si qu’à son lan­gage pic­tu­ral subversif.

Actuel­le­ment l’artiste vie et tra­vaille à Gand. Ses études le pré­des­ti­naient au métier de gra­veur. Pour­tant, il en fut tout autre­ment. Arri­vé tar­di­ve­ment à l’art, il a d’abord ensei­gné la pho­to­gra­phie jusqu’au-delà de la tren­taine. Des­si­na­teur dans l’âme, il com­mence à se consa­crer au des­sin et à l’envisager comme une dis­ci­pline à part entière à la fin des années 90. Ces des­sins com­plexes s’inscrivent dans un riche héri­tage artis­tique, mais sont réso­lu­ment ancrés dans le pré­sent. Ils sont réa­li­sés tant au crayon qu’à la gouache ou à l’encre de chine sur des car­tons et bouts de papiers récu­pé­rés, des pages de vieux maga­zines. Les couches y sont superposées.

Les sujets de ses des­sins sont par­fois frap­pés de silence ou aveu­glés. Ils sont sou­vent repré­sen­tés telles de petites figu­rines face à une échelle archi­tec­tu­rale variable, le plus sou­vent oppres­sive et impo­sante. Si bien que ces œuvres paraissent par­fois assez cruelles, truf­fées de sym­boles, de sous-enten­dus et de réfé­rences. Bor­re­mans n’hésite ain­si pas à réin­ter­pré­ter des tableaux de Vélas­quez, Goya ou Manet et fait aus­si sou­vent réfé­rence à la lit­té­ra­ture, à la pho­to­gra­phie et au ciné­ma. Ces der­nières années, et cela avec une faci­li­té gran­dis­sante, il a fait de la pein­ture sa scène la plus ima­gi­na­tive. Ses tra­vaux explorent des états psy­cho­lo­giques com­plexes qui mettent par­fois le visi­teur dans un drôle d’état : entre malaise, contem­pla­tion et ver­tige. L’atmosphère peut être pesante, intem­po­relle. Les per­son­nages cen­traux semblent être impli­qués dans un scé­na­rio trou­blant. Ils viennent en rap­pel, se frot­ter au sur­réa­lisme de René Magritte, Paul Del­vaux ou encore Mar­cel Duchamp.

Avec ses séries d’œuvres évo­ca­trices, ses tableaux, films, des­sins, pho­to­gra­phies, il place le visi­teur dans un cos­mos à la fois fami­lier mais qui devient très vite illo­gique et pro­pre­ment absurde. Michaël Bor­re­mans aime l’instantanéité de la pho­to­gra­phie, dans ses com­po­si­tions, le réfé­rent pho­to­gra­phique devient sou­vent le sujet domi­nant de leur inter­pré­ta­tion. Le sens de ses pho­tos peut être effrayant, elles vous rem­plissent d’un mélange de fas­ci­na­tion et de dégoût, comme un acci­dent de par­cours, un cadavre. « La médio­cri­té et le manque de sens cri­tique craint Michaël Bor­re­mans, lamine la socié­té en géné­ral et le monde de l’art en par­ti­cu­lier ».

Le temps œuvrant pour lui, Bor­re­mans s’est mué en cinéaste et a créé des images mou­vantes d’une beau­té toute pic­tu­rale. Une prin­ci­pale carac­té­ris­tique qui relie encore plus sûre­ment ses films à sa pein­ture, c’est leur ter­rible silence, en rela­tion avec l’immobilité de ses pein­tures. Toute une sym­bo­lique du mal-être, du malaise et de la dif­fi­cul­té de la com­mu­ni­ca­tion, comme dans le théâtre sur­réa­liste de Beckett, Jean Genet ou encore Eugène Iones­co. Les regards, absents ou fuyants, sont tour­nés vers l’intérieur.

À l’instar de ses toiles, ses films ne contiennent aucune nar­ra­tion, le ter­rible mutisme qui s’en dégage accorde de l’importance à l’espace et la lumière.

La mélan­co­lie et la tris­tesse sont constam­ment pré­sentes dans ses œuvres. Si bien que les sujets sont repré­sen­tés dans des états de sou­mis­sion, de mani­pu­la­tion, de vic­time, de com­plai­sance forcée.

L’univers inson­dable, énig­ma­tique de Michaël Bor­re­mans ne peut lais­ser insen­sible. On en res­sort pétri d’émotions de gran­deur et de déca­dence ! Un artiste hors pair que vous pou­vez décou­vrir jusqu’au 3 août 2014 au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles.

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