Laurette Onkelinx

La Belgique, c’est « l’oiseau bleu » de Maeterlinck !

Photo : Véronique Vercheval

Lau­rette Onke­linx est une femme enga­gée. Vice-Pre­mière Ministre et Ministre des Affaires sociales. Elle est depuis long­temps sur tous les fronts poli­tiques. Ren­contre un peu déca­lée sur les ins­pi­ra­tions cultu­relles d’une grande dame de la poli­tique belge.

La culture, l’art, l’esthétique, est-ce un moment de détente pour toi ou bien est-ce aussi une inspiration qui t’aide dans ton combat politique ?

Cela a été même presque plus que cela. Cela a été au com­men­ce­ment de tout ce qui a fait de moi ce que je suis à l’heure actuelle. Je l’ai sou­vent dit, je viens d’un milieu très modeste et je me sou­viens que le contact avec la culture a été pour moi essen­tiel. Je suis la seule à avoir fait des études uni­ver­si­taires dans ma famille. Ce n’est pas un milieu qui ame­nait natu­rel­le­ment vers la culture. Je me dois de dire ce que je dois, notam­ment aux livres.

Un roman Nina Berberova ?

Avant Nina Ber­be­ro­va. Je lis tou­jours beau­coup et tout le temps, mais il y a des livres qui ont été des moments-clés de mon existence.

Lesquels ?

Quand j’étais très jeune, Molière, bizar­re­ment. Molière parce que c’était une décou­verte inima­gi­nable avec une des­crip­tion de gens qui me sor­taient de mon milieu avec des pein­tures d’individus qui étaient pour moi un choc. J’ai vrai­ment adoré.

Et puis effec­ti­ve­ment, à la fin de l’adolescence, je crois que cela a été la décou­verte de Nina Ber­be­ro­va. Je n’adore pas les romans que je trouve assez noirs avec des pein­tures assez sombres. Par contre, c’est son auto­bio­gra­phie « C’est moi qui sou­ligne », qui est extra­or­di­naire dans la maî­trise d’une vie. Ce sont les choix qu’on fait à titre indi­vi­duel, sur la maî­trise que l’on doit avoir sur sa propre vie. Cela a été un vrai choc.

Et aujourd’hui, qu’est-ce que tu lis tranquillement le dimanche ou entre les conseils des ministres ?

Je lis rare­ment des essais poli­tiques, je suis déjà là-dedans toute la jour­née et j’ai besoin d’un peu de recul. Je viens de ter­mi­ner un livre « La Dolce Vita » de Simo­net­ta Greg­gio, sur l’Italie de 1959 à 1979. Je le recom­mande. C’est excep­tion­nel et il donne toute une série de clés pour com­prendre Ber­lus­co­ni et l’Italie d’aujourd’hui. Simo­net­ta Greg­gio est une jour­na­liste. Elle prend des extraits de films, notam­ment de la Dolce Vita, elle parle de Paso­li­ni, de la loge P2, de tout ce qui a bou­le­ver­sé l’Italie. C’est vrai­ment très intéressant.

Mais avant cela, j’ai eu une période un peu par­ti­cu­lière. Dans le Nou­vel Obser­va­teur d’il y a quelques mois, on par­lait des génies contem­po­rains et dans ces génies on par­lait de Jac­que­line de Romil­ly qui est décé­dée il y a peu. J’ai donc eu ma période grecque pen­dant trois mois. C’est inima­gi­nable et en même temps, c’est tel­le­ment le ber­ceau de toute l’Histoire. Héro­dote et Thu­cy­dide, la démo­cra­tie. C’est extraordinaire !

Mais je ne fais pas que dans la Grèce, j’aime aus­si les livres comme « La Sou­pière chi­noise » qui est un vrai roman poli­cier. On reste en haleine jusqu’au bout pour savoir qui est le cou­pable. Les « Mil­lé­nium », les Camil­la Läck­berg, j’adore, je me plonge là-dedans. J’ai lu aus­si « Kati­ba » de Ruf­fin, on vient de le revoir dans une émis­sion avec Franz-Oli­vier Gies­bert, La semaine cri­tique, avec Nico­las Bedos.

J’ai lu aus­si « Le Cha­grin et la Grâce » de Wal­ly Lamb. C’est assez inté­res­sant puisque c’est aus­si tout un tra­vail autour de ce qui s’est pas­sé à Colum­bine ou « Le cha­grin » de Lio­nel Duroy qui se passe pen­dant la guerre.
Je lis un peu de tout et quand je n’ai pas le temps d’aller à la librai­rie pour voir ce que je vais lire, je n’ai qu’à pui­ser dans ce que Marc a tou­jours sur sa table de nuit.

Et donc, cela t’inspire aussi dans ton action politique ? Il y a un lien d’une certaine manière même s’il est difficile à exprimer entre la littérature et la politique ?

C’est évident, cela ouvre l’esprit, cela per­met de prendre du recul. Il y a la lec­ture, mais des films aus­si. J’aime beau­coup le ciné­ma même si je n’ai plus trop le temps d’y aller.

Un film qui t’a particulièrement marqué ?

Je vais en dire trois. Indis­so­cia­ble­ment, ces films m’ont for­mé. C’était « Jona­than Living­ston le goé­land », « 1900 » et « Z », le film de Cos­ta-Gavras. Ceux-là m’ont vrai­ment for­mé. Je conti­nue à beau­coup aimer les films. Il y a des films pour les­quels je suis en mésen­tente par­faite avec mon mari qui les déteste tous les uns après les autres. Ce sont les films de Lars von Trier qui m’attirent beau­coup, sur la rédemp­tion par exemple. Les trois films que je t’ai cités m’ont vrai­ment for­mé comme les bouquins.

Le milieu dans lequel j’ai vécu au niveau cultu­rel, de la pein­ture, à l’architecture, n’était pas ouvert à la diver­si­té et quand je suis arri­vée à la fin du secon­daire, j’ai connu des gens d’un tout autre milieu. Je me sou­viens avoir vu chez mon copain une pein­ture d’Alechinsky. Je me sou­viens m’être éner­vée sur lui en disant : « qu’est ce que c’est cela et cela se vend cher ». Je ne com­pre­nais pas. Je le regarde main­te­nant et je l’adore.

On avait été à Paris à Beau­bourg. Je disais : « com­ment peut-on expo­ser cela ? » Et petit à petit, on m’a fait connaître cette forme d’art. C’est la tolé­rance. Cela ouvre véri­ta­ble­ment l’esprit.

Et dans la musique, dans la chanson ?

Mon père est un self-made-man. Il a appris seul le pia­no et tous les dimanches il jouait du Cho­pin, du Strauss. J’ai donc décou­vert la musique clas­sique grâce à mon père. Et aus­si des opé­rettes comme « La Veuve joyeuse ».
Puis, j’ai appris à décou­vrir d’autres auteurs qui cor­res­pondent plus à mon tem­pé­ra­ment. J’aime les auteurs russes comme Rach­ma­ni­nov et Tchaï­kovs­ki. C’est puis­sant, cela bouge dans tous les sens.

Et dans la chan­son moderne aujourd’hui, qu’y trouves-tu par rap­port à ton ado­les­cence ou ta vie d’adulte où il y avait tous les chan­teurs enga­gés, Lavilliers, Béran­ger, Rapsat ?

Il y a eu plu­sieurs périodes. J’ai d’abord vécu à Ougrée pas loin de Tilleur. Pour­quoi je dis cela ? Parce que quand j’étais très jeune, Fré­dé­ric Fran­çois, San­dra Kim habi­taient juste le vil­lage d’à côté. Puis petit à petit, cela a chan­gé. J’étais là évi­dem­ment quand Béran­ger est venu en concert.

Main­te­nant, je trouve qu’il y a une belle chan­son fran­çaise qui se déve­loppe. C’est un lieu com­mun mais j’aime beau­coup les chan­sons de Bénabar.

Une série TV américaine ?

« Mai­son blanche », c’est ma série culte ! J’ai dit que je n’avais plus tel­le­ment le temps d’aller au ciné­ma et donc, soit je regarde des films à la mai­son quand je reviens tard le soir, soit des séries comme « Mai­son blanche » qui sont abso­lu­ment excep­tion­nelles. Il faut que les gens voient cela. Cela per­met de déco­der toute la poli­tique amé­ri­caine. On a l’impression de vivre l’avènement d’Obama. C’est une équipe autour du Pré­sident et on com­prend bien les rela­tions entre le Congrès, le Sénat et la Mai­son blanche. Mais depuis lors, j’ai regar­dé la série « Car­los » d’Olivier Assayas qui vient d’être pri­mée. Un autre film que j’ai appré­cié, c’est « L’armée du crime » de Gué­di­guian. Et « Les piliers de la Terre » de Ken Follett.

La culture, c’est aussi une autre civilisation, de beaux voyages. Ce sont les rencontres avec de nouvelles cultures, dans un monde qui est homogénéisé par la culture anglo-saxonne ?

C’est vrai­ment cher­cher la dif­fé­rence. C’est être confron­tée à autre chose, à une autre culture, à un autre soi. Je vais don­ner peut-être l’exemple qui m’a le plus frap­pé. C’est le désert. C’est par­ti­cu­lier mais on est confron­té à soi-même dans des moments d’immensités splen­dides. Cela apporte beau­coup. On voit de vraies sculp­tures par la nature. Les Gia­co­met­ti, le matin quand tu te réveilles, tu les vois devant toi. Toutes ces roches balayées par le vent.

Mais est-ce que je pour­rais vivre sans livres, sans films, non je ne pour­rais pas !

Les nouveaux médias, Facebook, Twitter, ont joué un rôle très positif au Moyen-Orient. Mais c’est aussi un outil d’atomisation, d’individualisation, très superficiel. Ton sentiment ?

Un peu tout cela en même temps. J’ai sou­vent dit le rôle que cela a joué au Moyen-Orient. Dans l’ensemble des pays arabes main­te­nant, c’est assez excep­tion­nel. On peut être cri­tique sur Wiki­leaks mais c’est quand même assez inté­res­sant. Par contre, cela pro­voque énor­mé­ment d’isolement chez les ados, de rup­ture sociale. Et puis sur­tout, je me pose la ques­tion du rap­port au temps. La patience dis­pa­raît. On atten­dait une lettre. On l’a dans la seconde. La réflexion est contrac­tée, le temps est contrac­té. Avant, on n’avait pas de télé­phone por­table. C’était il n’y a pas si long­temps. Quand j’ai com­men­cé la poli­tique, je n’avais abso­lu­ment pas d’ordinateur, de Black­Ber­ry, et main­te­nant je me rends compte que je fais plu­sieurs choses à la fois. Je négo­cie, je regarde mes mails qui arrivent, je suis prête à réagir à tout. Ce n’est pas bon. Je pense que l’on n’a pas fini de réflé­chir sur cette contrac­tion du temps et ses consé­quences sur la vie.

Olivier Poivre d’Arvor vient d’écrire un très beau livre sur la culture qui s’appelle « Bug made in France, histoire d’une capitulation culturelle ». Qu’est-ce que tu penses de ce qu’on appelle le Mainstream, c’est-à-dire la culture anglo-saxonne qui est en train d’uniformiser le monde et les résistances difficiles que l’Europe met en œuvre ? Un exemple : une vache européenne est subventionnée 1.000 fois plus par l’Union européenne qu’un créateur européen.

C’est une mau­vaise poli­tique. Nous sommes en posi­tion défen­sive. C’est vrai que l’on s’est bien défen­du au niveau euro­péen quand il s’est agi que la culture soit pro­té­gée contre les règles habi­tuelles de concur­rence euro­péenne et contre une inté­gra­tion notam­ment via la direc­tive « Ser­vices ». Il y a là une défense active qui a don­né des résul­tats, mais je pense qu’il faut par­tir à l’offensive. Mais pour cela, il faut être fier de sa propre culture.
Quand on m’interroge par exemple pour le moment en disant « c’est quoi la Bel­gique ? » « Est-ce que cela a encore un sens ? » On a un modèle par­ti­cu­lier, un modèle social de bien-être, on a une aven­ture com­mune et on a sur­tout un génie créa­teur com­mun. La Bel­gique est abso­lu­ment extra­or­di­naire dans à peu près toutes les dis­ci­plines. Quand tu vois au niveau de la pein­ture, c’est quand même la pein­ture belge qui ame­né la lumière. La plu­part des grands peintres ita­liens recon­naissent notam­ment l’apport de Van Eyck. Quand tu vois qu’on est le ber­ceau du sur­réa­lisme. Par­tout ! Dans la BD, dans la chan­son, dans l’architecture, Horta !

Je pense qu’il y a un génie belge de la créa­tion, mais si tu le demandes aux gens, ils ne le savent pas ou ne le recon­naissent pas comme belge. Il faut affir­mer une plus grande fier­té qui fait de nous ce que nous sommes.
J’étais très fière quand der­niè­re­ment, pour un com­men­ta­teur russe, la Bel­gique, c’est « L’Oiseau bleu » de Maeterlinck !

Pour en reve­nir à ta ques­tion, oui je crois qu’il faut pas­ser de la défen­sive où je trouve qu’on a bien tra­vaillé, à l’offensive et à la fier­té de cette culture qui nous a fait ce que nous sommes.

Certains disent que la culture est par essence non démocratique, qu’elle est élitiste et aristocratique. Comment émanciper quand on sait que les gens lisent très peu, qu’ils regardent surtout les séries télévisées ou bien qu’ils écoutent des chansonnettes ? Est-ce que l’école par exemple devrait consacrer plus de place à l’enseignement artistique, à la sensibilité à tous ces courants-là ? Pas toujours les sciences, les mathématiques, le quantifiable, l’économique ? Quel est ton sentiment ?

Je suis encore maman d’ados et d’une petite fille. Elle a été dans une école à dis­cri­mi­na­tion posi­tive. On ne peut pas dire que ce soit une école éli­tiste. Et bien les moyens qu’ils avaient en dis­cri­mi­na­tion posi­tive, ils les uti­li­saient pour la culture. Donc elle est allée, je ne sais pas com­bien de fois, au théâtre, au ciné­ma, et je trouve cela excep­tion­nel. Elle reve­nait à la mai­son, elle fai­sait des pein­tures, par exemple, à la Miró, à la Pol­lock. C’est cer­tai­ne­ment le moyen le plus inté­res­sant dans les milieux de socia­li­sa­tion, de favo­ri­ser les visites de musées. C’est par­fois chiant une visite de musée pour des gosses mais il faut trou­ver des formes pour les intéresser.

Je me sou­viens que j’emmenais mes enfants dans de petits voyages et je pas­sais dans un musée. Il y a des décou­vertes, il y a des flashs. C’est ce qui m’est arri­vée, à titre per­son­nel dans une aven­ture qui n’était pas col­lec­tive, mais avec des amis. Moi à l’école, je n’ai pas été confron­tée à la pein­ture contem­po­raine. Main­te­nant, ils le sont beau­coup plus. À l’époque, c’était la télé sco­laire, de temps en temps les films, Explo­ra­tion du Monde. C’était les Jeu­nesses musi­cales. C’était inté­res­sant et puis il y avait des dis­cus­sions, le Ciné­club, mais autour de la sculp­ture, la culture, la pein­ture, de la chan­son, de la musique clas­sique, il n’y avait rien. Or je pense que cela enri­chit énormément.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

code