La population fait pression et gagne : d’importants moyens débloqués pour aider les migrant·es

Jeanne Menjoulet - CC BY-ND 2.0

De l’engagement à l’action poli­tique : c’est le défi rele­vé avec suc­cès par la Coor­di­na­tion wal­lonne des Col­lec­tifs et Asso­cia­tions en sou­tien aux Migrants en tran­sit. Com­po­sée d’associations (dont le CAI — le Centre d’Action Inter­cul­tu­relle, le centre régio­nal d’intégration de la Pro­vince de Namur —, le Cri Lux – le Centre régio­nal d’Intégration de la Pro­vince du Luxem­bourg et la régio­nale PAC de Namur) et de col­lec­tifs citoyens, cette coor­di­na­tion sou­tient les actions de ter­rain, per­met des échanges d’informations et inter­pelle les res­pon­sables poli­tiques. Elle s’attache éga­le­ment à conscien­ti­ser la popu­la­tion quant aux vio­lences que connaissent ces per­sonnes qui fuient leurs terres d’origine, tran­sitent par la Bel­gique pour fina­le­ment ten­ter de rejoindre un autre pays. Un impor­tant tra­vail, mené conjoin­te­ment sur le ter­rain et au niveau poli­tique, qui a per­mis des avan­cées majeures et des actes concrets de la part du Gou­ver­ne­ment wal­lon : l’envoi d’une cir­cu­laire vers les pou­voirs publics locaux, mais aus­si l’allocation d’une sub­ven­tion excep­tion­nelle de 300 000 €, dans le cadre de la crise sani­taire actuelle et afin de sou­te­nir les col­lec­tifs. Retour sur une démarche citoyenne, col­lec­tive et militante.

Com­men­çons par plan­ter le décor : nous sommes en 2018 et la ques­tion migra­toire émaille l’agenda poli­tique belge. Theo Fran­cken est secré­taire d’État à l’Asile et aux Migra­tions. Ses actions et prises de posi­tion sont qua­li­fiées par beau­coup comme très à droite et déshu­ma­ni­santes : pro­po­si­tion de loi sur les visites domi­ci­liaires, arres­ta­tion de sans-papiers dans les locaux de l’association cultu­relle Globe Aro­ma, volon­té de contour­ne­ment l’article 3 de la Conven­tion Euro­péenne des Droits de l’humain afin de pou­voir ren­voyer des bateaux de migrant·es vers leur lieu d’origine, pro­cès des hébergeur·euses. Mais aus­si le cas de la petite Maw­da, deux ans, tuée par un poli­cier qui tente de stop­per par la force une camion­nette à bord de laquelle se trouvent des migrant·es.

La même année, les popu­la­tions de Gem­bloux, de la Bruyère, de Jemeppe-sur-Sambre, de Roche­fort dans la pro­vince de Namur, et de Habay dans la pro­vince du Luxem­bourg, sont inter­pel­lées par le sort de nom­breuses per­sonnes en tran­sit dans leur com­mune. Ces hommes et ces femmes — aux par­cours aus­si divers que variés, en pro­ve­nance d’Érythrée, du Sou­dan, d’Éthiopie, de Soma­lie, de Lybie, d’Égypte, d’Afghanistan, d’Irak et de Syrie — passent la nuit sur les aires de par­king et tentent de rejoindre l’Angleterre par camion. Ielles ne sont que de pas­sage et ne dési­rent pas res­ter en Bel­gique, ielles n’entrent pas dans les condi­tions de prise en charge des migrant.es demandeur·ses d’asile. Les médias leur collent une éti­quette sur le front, abu­sive et déshu­ma­ni­sante à la fois, celle de transmigrant·es.

La nécessité de tisser un réseau

Les citoyen·nes des com­munes évo­quées font face à une situa­tion huma­ni­taire pré­oc­cu­pante. Grâce à l’appui d’associations actives sur le ter­rain, des ini­tia­tives com­mencent à voir le jour afin d’apporter des vivres et des vête­ments. De quoi tenir le coup. Mais rapi­de­ment, ces per­sonnes constatent les limites de leurs inter­ven­tions et sou­haitent que des déci­sions poli­tiques soient prises par les pou­voirs publics. On dénombre à ce moment-là entre 150 et 180 per­sonnes de pas­sage par jour sur la pro­vince de Namur et envi­ron une tren­taine sur la pro­vince du Luxem­bourg. Par­mi elles, des mineur·es, certain·es non accompagné·es et des femmes, dont quelques-unes enceintes.

L’hiver finit par appro­cher. Le CAI est inter­pel­lé par les citoyen·nes. Il entre­prend dès lors de mettre en réseau les opé­ra­teurs au niveau de chaque com­mune et de faire le lien entre les ini­tia­tives exis­tantes autour de Namur. Sept asso­cia­tions œuvrent désor­mais d’une même voix : le C.A.I., le GABS (Groupe d’Animation de la Basse-Sambre), le CIEP-MOC Namur, le RWLP (Réseau Wal­lon de Lutte contre la Pau­vre­té), le CNCD 11.11.11 Namur, Afi­co et la régio­nale PAC de Namur. Elles sont rejointes par les col­lec­tifs citoyens. Ensemble, ielles sen­si­bi­lisent le grand public1, informent les citoyen·nes et tentent d’aider chaque col­lec­tif dans ses besoins spé­ci­fiques en fai­sant le relais entre eux et les asso­cia­tions de ter­rain ou les pou­voirs locaux.

Du terrain au politique

La pre­mière inter­pel­la­tion poli­tique sera fera en pro­vince du Luxem­bourg, avec le CRILUX et la COLUXAM (la Coor­di­na­tion Luxem­bour­geoise Asile et Migra­tion). Ensemble, ils inter­pellent le Gou­ver­neur de la Pro­vince, en octobre 2018. La pla­te­forme des sept asso­cia­tions namu­roises inter­pel­le­ra, quant à elle, deux mois plus tard, le Gou­ver­neur de la Pro­vince de Namur.

À la fin de l’année 2018, le CAI orga­nise une réunion à Bruxelles avec BXL Refu­gees (la Pla­te­forme citoyenne de Bruxelles), le CIRE et la Ligue des droits de l’humain. Objec­tif : par­ta­ger leurs bonnes pra­tiques sur Bruxelles et ana­ly­ser ce qu’il y aurait lieu de faire en Wal­lo­nie, de manière décen­tra­li­sée et sur un ter­ri­toire semi-rural.

Quelques mois plus tard, en mars 2019, une lettre ouverte est envoyée aux élu·es de tous les niveaux de pou­voir pour deman­der que les pou­voirs publics prennent leurs res­pon­sa­bi­li­tés et sou­lagent les col­lec­tifs citoyens, fati­gués de don­ner de leur temps et de leur argent depuis déjà un hiver. Cette lettre demande en outre, avec insis­tance, qu’un relai poli­tique soit mis en place. Elle est por­tée par pas moins de 45 signa­taires, qui s’ajoutent aux col­lec­tifs et aux asso­cia­tions por­teuses du projet.

À la fin du mois de novembre 2019, une pre­mière ren­contre s’opère entre les deux pro­vinces et les inter­pel­la­tions poli­tiques se mul­ti­plient, grâce à l’appui du CNCD, de la COLUXAM et du CRILUX. De son côté, la pla­te­forme namu­roise orga­nise des réunions de coor­di­na­tion pro­vin­ciale avec les acteur·trices citoyen·nes et associatif·ves. Des inter­pel­la­tions poli­tiques aux éche­lons locaux et pro­vin­ciaux s’organisent, notam­ment via la motion de « com­mune hos­pi­ta­lière. » La Région wal­lonne est éga­le­ment inter­pel­lée afin que, à l’instar de la Région bruxel­loise, elle vienne en aide à ce public dont les droits fon­da­men­taux ne sont pas res­pec­tés et afin qu’elle inter­pelle tant le gou­ver­ne­ment fédé­ral que les pou­voirs publics locaux.

Du communal au régional

La conver­gence des asso­cia­tions et col­lec­tifs actifs sur la ques­tion a mis en exergue la néces­si­té d’action de la part du monde poli­tique afin qu’une réponse struc­tu­relle à la situa­tion des migrant·es en tran­sit soit officialisée.

Fin 2019, il appa­rait plus que néces­saire de s’organiser, de mieux dis­tin­guer les coor­di­na­tions pro­vin­ciales et wal­lonne, de se répar­tir les tâches si on veut abou­tir à quelque chose de concret. Si le Cri­lux et le CAI peuvent res­pec­ti­ve­ment s’investir dans le pilo­tage des actions sur leur pro­vince, il faut une éner­gie sup­plé­men­taire pour coor­don­ner et pilo­ter une coor­di­na­tion au niveau wal­lon. PAC Namur, en tant que régio­nale d’un mou­ve­ment d’éducation popu­laire pré­sent sur tout le ter­ri­toire de la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles, pro­pose de jouer ce rôle de coor­di­na­tion, avec le sou­tien des CRI namu­rois et luxem­bour­geois ain­si que d’autres asso­cia­tions et collectifs.

Dès jan­vier 2020, suite aux inter­pel­la­tions poli­tiques, les asso­cia­tions ren­contrent les cabi­nets des ministres wal­lons Pierre-Yves Der­magne (ministre en charge du Loge­ment et des Pou­voirs locaux) et Chris­tie Mor­reale (ministre en charge notam­ment de la San­té, de l’Action sociale et de l’Égalité des chances). Entre-temps, la pla­te­forme devient la Coor­di­na­tion wal­lonne des Col­lec­tifs et Asso­cia­tions en sou­tien aux Migrants en tran­sit, afin de repré­sen­ter les col­lec­tifs et asso­cia­tions des 5 pro­vinces concernées.

Puis sur­vient la crise sani­taire liée à la pro­pa­ga­tion du Covid-19. La Coor­di­na­tion reste par­ti­cu­liè­re­ment active sur la ques­tion de l’urgence sociale : recherche de moyens finan­ciers pour appuyer les col­lec­tifs, déve­lop­pe­ment d’un plai­doyer pour l’ouverture d’abris de confi­ne­ment auprès des pou­voirs pro­vin­ciaux et locaux, par­ti­ci­pa­tion à la task force wal­lonne d’urgence sociale coro­na­vi­rus avec les CRI, le RWLP, la FDSS, la Fédé­ra­tion des CPAS et les relais sociaux.

Enfin, en sep­tembre 2020, les pre­miers actes poli­tiques offi­ciels sont posés : une cir­cu­laire régio­nale sur la situa­tion des per­sonnes migrantes en tran­sit est envoyée à tous les pou­voirs locaux par l’administration wal­lonne. Le but : sen­si­bi­li­ser ces der­niers à la situa­tion de ces per­sonnes vul­né­rables et les invi­ter à leur assu­rer à chacun·e un trai­te­ment digne, un accès aux droits fon­da­men­taux et de garan­tir leur protection.

La pers­pec­tive d’un nou­veau confi­ne­ment et l’approche de l’hiver font craindre le pire aux col­lec­tifs et asso­cia­tions de ter­rain. La Région wal­lonne décide alors, le 21 octobre der­nier, de déblo­quer une sub­ven­tion excep­tion­nelle d’urgence huma­ni­taire dans le cadre de la résur­gence de la crise sani­taire à hau­teur de 300 000 €. Ver­sée à la Coor­di­na­tion wal­lonne des Col­lec­tifs et Asso­cia­tions en sou­tien aux Migrants en tran­sit, cette somme per­met­tra de pal­lier aux besoins urgents des col­lec­tifs et asso­cia­tions : un loge­ment, l’accès à l’aide médi­cale urgente, à de l’aide ali­men­taire, accès à l’eau, à l’électricité, à du maté­riel de pro­tec­tion, à des douches…

La Coor­di­na­tion wal­lonne pour­sui­vra en outre sa veille sur la situa­tion des dif­fé­rents col­lec­tifs en Région wal­lonne et la recherche de solu­tions locales et glo­bales dans des dyna­miques de par­te­na­riat pou­voirs publics, asso­cia­tions d’aide huma­ni­taire et col­lec­tifs de citoyens.

Même si cette sub­ven­tion excep­tion­nelle ne per­met­tra évi­dem­ment pas de résoudre cette ques­tion migra­toire, elle démontre tout l’intérêt pour la popu­la­tion de s’associer, de se mettre en réseau et de mon­trer au monde poli­tique que, même si la popu­la­tion est prête à agir en pre­mier plan, elle n’a pas pour voca­tion de se sub­sti­tuer aux mis­sions des auto­ri­tés publiques. Garan­tir un accueil digne à ces per­sonnes – qu’elles décident de res­ter ou non sur le ter­ri­toire — doit rele­ver d’une action poli­tique et deve­nir un méca­nisme struc­tu­rel, et non des mesures excep­tion­nelles limi­tées dans le temps. Le tra­vail mené par ces citoyen·nes démontre l’intérêt et l’urgence de conti­nuer à mener des com­bats col­lec­tifs por­tés par des valeurs fortes d’humanisme et de solidarité.

  1. voir la bro­chure « Migrants en tran­sit : Qui sont-ils ? Citoyens soli­daires – Que pou­vons-nous faire ? , édi­tée par le CAI

Les CRI

Les Centres Régionaux d’Intégration (CRI), au nombre de 8 en Wallonie, ont pour but de promouvoir toute initiative en vue de favoriser l’intégration des personnes étrangères résidant sur notre territoire. Les centres accueillent le public étranger et travaillent avec les associations, services publics et autres organismes afin de mettre en place le « parcours d’intégration » des primo-arrivants, d’organiser des formations, d’accompagner les associations et leurs projets, de coordonner les activités d’intégration, de mettre en place des actions de sensibilisation, etc. Plus d’informations : http://actionsociale.wallonie.be/integration/centre-regional-integration

Les communes hospitalières

Une commune hospitalière est une commune qui, par le vote d’une motion, s’engage à améliorer l’information et l’accueil des personnes migrantes, quel que soit leur statut. Elle facilite les démarches pour tous·tes les migrant·es. Les demandeur·euses d’asile, donc, mais aussi les autres personnes en situation parfois plus précaire encore, comme les sans-papiers. Elle s’engage à minima à deux niveaux : sensibiliser sa population aux questions migratoires et améliorer concrètement l’accueil des migrant·es dans le respect des droits. Une commune hospitalière s’engage, à son échelle, pour une politique migratoire basée sur l’hospitalité, le respect des droits humains et les valeurs de solidarité. Plus d’infos : www.communehospitaliere.be

PAC et la question migratoire

En 2018, le mouvement Présence et Action Culturelles lance une campagne d’information et de sensibilisation intitulée « La solidarité n’est pas un crime  ». Elle a pour objectif de dénoncer les dérives de la politique migratoire belge menée par le gouvernement fédéral de l’époque et invite les citoyennes et citoyens à s’impliquer dans l’une des nombreuses initiatives citoyennes ou associatives de soutien aux migrant·es, réfugié·es ou personne sans-papiers. La question migratoire a également traversé notre mouvement grâce à l’exposition « Vies en transit, du parc Maximilien à la jungle de Calais », du photographe belge Christian Fauconnier, qui interroge les conditions de vie des migrant·es et plus généralement leurs conditions d’accueil sur le sol européen. PAC a aussi mis en place des actions destinées au large public, notamment avec l’atelier « Face au racisme, délit de solidarité » qui propose de découvrir différentes initiatives concrètes en soutien aux migrant.es en transit. À travers deux œuvres théâtrales, nous avons aussi pu débattre avec les citoyen·nes de l’asile, la migration d’hier et d’aujourd’hui. Jouée dans l’espace public, la pièce de théâtre d’intervention « Refuge » nous a permis de découvrir le parcours semé d’embûches des réfugié·es arrivant chez nous, fuyant la guerre ou les discriminations. Et puis avec « les Inouïs », PAC s’est interrogé sur le statut de la migration quand elle s’exerce à partir de l’Europe ou vers l’Europe. Mentionnons encore notre étude « Migrants : les naufragés des populismes », qui vise à déconstruire, par un kaléidoscope de différents points de vue, les discours populistes à l’égard de populations migrantes.

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