Le capitalisme au musée

Photo : Musée du capitalisme

Le 13 février 2014, plus de 400 per­sonnes ont par­ti­ci­pé à l’inauguration du pre­mier Musée du Capi­ta­lisme au monde au sein de la Biblio­thèque Uni­ver­si­taire More­tus Plan­tin à Namur. Celui-ci tente de répondre à la ques­tion « qu’est-ce que le capi­ta­lisme ? » et pro­pose de réflé­chir ensemble au fonc­tion­ne­ment de la socié­té capi­ta­liste dans laquelle nous vivons.

Après une phase de concep­tion de plus d’un an et demi, le Musée a donc vu le jour là où, plu­sieurs jour­nées et nuits durant, plu­sieurs paires de mains béné­voles et un peu folles se sont trans­mis mar­teaux, vis, pan­neaux impri­més, pin­ceaux et rou­leaux de pein­ture pour enfin voir s’élever ce qui n’était res­té jusqu’alors que quelques traits sur une feuille, quelques signes sur un écran d’ordinateur, quelques images dans nos têtes…

L’idée de créer un Musée peut paraître éton­nante. Un livre ou un film docu­men­taire aurait pu être une manière plus aisée d’aborder ce sujet. Mais un Musée nous a sem­blé une bonne manière de per­mettre aux citoyens de se le réap­pro­prier. En effet, si le terme « capi­ta­lisme » est aujourd’hui sou­vent uti­li­sé, il reste peu expli­qué. Beau­coup de citoyens mécon­naissent les méca­nismes du sys­tème auquel ils prennent pour­tant part quo­ti­dien­ne­ment. Le vul­ga­ri­ser pour mieux en com­prendre les enjeux nous a dès lors sem­blé utile et néces­saire. Nous sommes bien conscients des choix qu’il a été néces­saire de poser et nous ne sommes pas déten­teurs d’une véri­té mais plu­tôt d’une envie de sus­ci­ter chez le visi­teur la réflexion voire l’esprit cri­tique sur le sys­tème actuel.

Nous avons choi­si d’appeler notre pro­jet « Musée du Capi­ta­lisme » en réfé­rence au Musée du Com­mu­nisme de Prague qu’avait visi­té un des membres de notre col­lec­tif. Il n’existait en effet pas à notre connais­sance de musée consa­cré au capi­ta­lisme. Dans ce musée, il n’est pas ques­tion de col­lec­tions d’objets anciens mais plu­tôt de la volon­té de mettre en lumière tout un sys­tème au tra­vers d’objets de tous les jours. Pré­ci­sons que s’il s’agit pour le moment d’une expo­si­tion iti­né­rante, nous sou­hai­tons nous implan­ter à terme dans un lieu fixe.

Se déployant sur plus de 200 m2, la scé­no­gra­phie pro­pose un par­cours didac­tique depuis les « ori­gines » du capi­ta­lisme jusqu’à ses alter­na­tives en pas­sant par les espoirs qu’il a por­tés ain­si que ses limites. Dans l’objectif de le rendre attrac­tif visuel­le­ment, infor­ma­tif, ludique et inter­ac­tif, nous nous sommes aidés de dif­fé­rents outils : sup­ports visuels sous forme de pan­neaux avec des textes, des illus­tra­tions ou des pho­tos, vidéos, bornes audio (avec des témoi­gnages, des lec­tures d’extraits de textes…), ins­tal­la­tions qui invitent le spec­ta­teur à par­ti­ci­per à la construc­tion de l’information, éla­bo­ra­tion d’une machine pour le focus envi­ron­ne­ment, mises en situa­tions, bornes inter­ac­tives, quizz, biblio­thèque avec des livres à consul­ter sur place…

Le par­cours se décline en quatre salles qui sont autant d’entrées thématiques.

D’abord la salle « Ori­gines »qui pro­pose une défi­ni­tion du capi­ta­lisme et quelques apports théo­riques. Elle est aus­si l’occasion d’exposer, en quelques dates repères, l’histoire des grandes avan­cées des socié­tés occi­den­tales liées au capitalisme.

Puis la salle « Espoirs »qui pré­sente sous forme de dif­fé­rents « focus » les avan­cées qui ont été per­mises par des socié­tés humaines fon­dées sur le capi­ta­lisme. En effet, le sys­tème capi­ta­liste a notam­ment favo­ri­sé : la lutte contre les fléaux et les mala­dies (focus san­té), la pro­duc­tion et la dis­tri­bu­tion en grande quan­ti­té ain­si que l’accès d’une popu­la­tion en pleine crois­sance à la consom­ma­tion (focus style de vie amé­ri­cain), la mise en place d’organisations effi­caces et pro­duc­tives et d’alléger le labeur quo­ti­dien (focus tra­vail – loi­sirs), d’aspirer et par­fois de béné­fi­cier d’une cer­taine ascen­sion sociale (focus rêve amé­ri­cain), d’avoir accès à une ali­men­ta­tion variée et en quan­ti­té (focus ali­men­ta­tion), de mettre en place une morale plus uni­ver­selle, des ins­ti­tu­tions et des échanges éco­no­miques inter­na­tio­naux (focus mondialisation).

Ensuite, la salle « Limites » qui rela­ti­vise les avan­cées du capi­ta­lisme et en déve­loppe les limites : la sur­con­som­ma­tion, la finance, l’agro-alimentaire, l’environnement, la démo­cra­tie, les inéga­li­tés et le mal-être.

Enfin, la Salle « Alter­na­tives » détaille une série d’initiatives lan­cées en Bel­gique qui apportent des solu­tions aux pro­blèmes intrin­sèques du capi­ta­lisme. Le visi­teur peut éga­le­ment y ins­crire ses propres ini­tia­tives et idées.

Un outil d’éducation populaire

Le Musée est sur­tout pour nous un espace citoyen. Nous sommes des citoyens qui, en toute indé­pen­dance et en toute humi­li­té, pro­po­sons un regard – for­cé­ment per­fec­tible – sur le capi­ta­lisme. Et nous sou­hai­tons que cha­cun se forge son propre regard, que le visi­teur, au terme de sa visite, ait quelques réponses à ses ques­tions, mais qu’il ait éga­le­ment de nou­velles ques­tions à résoudre ! C’est pour­quoi nous atta­chons beau­coup d’importance au dia­logue avec les visiteurs.

C’est pour­quoi nous avons sou­hai­té pro­po­ser des visites gui­dées pour les groupes. Les demandes de visites pro­viennent prin­ci­pa­le­ment des écoles secon­daires et supé­rieures. Cer­taines asso­cia­tions comme Oxfam, PAC, Vie Fémi­nine, des CPAS, des syn­di­cats, ONG, ASBL en envi­ron­ne­ment, ou encore les employés de l’Université de Namur ont éga­le­ment pro­gram­mé des visites. Plus de 80 au total !

Les visites sont réa­li­sées par des membres du col­lec­tif ou par des guides béné­voles exté­rieurs. C’est aus­si une des richesses de cette aven­ture. Nous avons orga­ni­sé une jour­née de for­ma­tion et près de dix per­sonnes d’âges fort variés sont venues pour nous épauler.

Par ailleurs, suite inat­ten­due du pro­jet, nous sommes ame­nés à inter­ve­nir dans les écoles. Ain­si, nous avons ani­mé deux jour­nées sur l’économie pour toute une école secon­daire de Bruxelles – 600 élèves ! Et nous avons éla­bo­ré une autre action qui, si elle est sou­te­nue par les pou­voirs publics, per­met­tra à quatre classes de deux écoles de créer leur point de vue sur le capi­ta­lisme, qui sera inté­gré dans le Musée bruxel­lois (nou­veau focus, cap­sule vidéo,…).

Un financement et un fonctionnement collectif et citoyen

Une par­tie de nos res­sources pro­vient des entrées des visi­teurs : le prin­cipe du prix libre (cha­cun paye ce qu’il veut ou peut) a été mis en place dans le but de favo­ri­ser l’accessibilité du public au Musée tout en per­met­tant une com­pen­sa­tion finan­cière qui assure, en par­tie, la péren­ni­té du pro­jet. Mais d’autres élé­ments contri­buent éga­le­ment à cette accessibilité.

La salle d’exposition a été mise gra­tui­te­ment à notre dis­po­si­tion grâce au concours de la FUCID. Les objets qui y sont pré­sen­tés sont essen­tiel­le­ment des objets récu­pé­rés, ou ache­tés en seconde main. Si le pro­jet (d’un bud­get de 20.000€) a été ren­du pos­sible, c’est éga­le­ment grâce au sou­tien finan­cier du Ser­vice Jeu­nesse de la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles, du BIJ, d’Annoncer la Cou­leur, de la Ville de Namur et de quelques mécènes pri­vés. Nous avons éga­le­ment eu recours au finan­ce­ment par­ti­ci­pa­tif (Crowd­fun­ding) qui nous a per­mis de récol­ter un peu plus de 3000€.

Qui se cache der­rière tout cela ? L’équipe du musée est exclu­si­ve­ment com­po­sée de volon­taires. Le Musée du capi­ta­lisme est une ini­tia­tive citoyenne por­tée par qua­torze femmes et hommes âgés de 24 à 32 ans venant d’horizons divers (sciences humaines, sciences éco­no­miques, études artis­tiques,…), cer­tains tra­vaillant dans le sec­teur asso­cia­tif depuis plu­sieurs années, d’autres ache­vant leurs études. Le groupe fonc­tionne sans hié­rar­chie pré­dé­fi­nie. Les tâches sont dis­tri­buées selon les com­pé­tences et affi­ni­tés de cha­cun. Quant aux déci­sions, elles sont prises col­lec­ti­ve­ment, par consen­sus et à l’unanimité.

Des cen­taines de cour­riels, une drop­box pleine à cra­quer, un forum d’une dizaine de sujets, sous-sujets, un guide des guides… Autant d’outils qui nous ont per­mis de mener à bien notre pro­jet grâce à une com­mu­ni­ca­tion interne que nous avons veillé à rendre la plus effi­cace pos­sible. Le rythme de tra­vail s’est inten­si­fié au fur et à mesure de la concré­ti­sa­tion du Musée : un week-end par mois, une semaine de congé, puis toutes les semaines, puis tous les jours dans la der­nière ligne droite,…

Enfin, ce pro­jet citoyen est éga­le­ment une expé­rience humaine for­mi­dable et com­plexe qui illustre la capa­ci­té de cha­cun à créer et à s’investir au sein d’une ini­tia­tive béné­vole au ser­vice du bien commun.

Alors que le Musée fer­me­ra ses portes à Namur en juin, nous pré­pa­rons déjà acti­ve­ment la suite. Une par­tie du Musée sera déployée au Fes­ti­val Espe­ran­zah (fin juillet-début août) afin d’aller à la ren­contre du public. En 2015, nous devrions pré­sen­ter le Musée à Bruxelles. Mais nous recher­chons encore le lieu par­fait dis­po­nible pen­dant plu­sieurs mois et à moindres frais… Appel est lan­cé aux per­sonnes qui auraient des contacts utiles !

Maud Eloin et Thomas Prédour sont membres de l'équipe du Musée du Capitalisme.

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