Le communalisme d’hier et d’aujourd’hui

Illustration : Emmanuel Troestler

L’hé­ri­tage de la Com­mune de Paris et de son rêve d’un chan­ge­ment social radi­cal résonnent à tra­vers le temps, ins­pi­rant les mili­tants et mili­tantes jusqu’à aujourd’hui. L’influence du com­mu­na­lisme se retrouve autant dans l’organisation de la lutte que dans ses objec­tifs d’auto-émancipation du peuple par la démo­cra­tie directe.

Le 18 mars der­nier, cela fai­sait 150 ans que la Com­mune de Paris a débu­té. Mal­gré sa brève exis­tence (18 mars – 28 mai 1871), la Com­mune de Paris a consti­tué un moment char­nière dans l’histoire des idées poli­tiques et des révo­lu­tions. Pen­dant 72 jours, les com­mu­nards et com­mu­nardes se sont bat­tus pour construire une répu­blique démo­cra­tique et sociale, en orga­ni­sant des élec­tions pour leur com­mune popu­laire, en ini­tiant des mesures sociales radi­cales, en lut­tant pour davan­tage de droits pour les femmes, en dis­cu­tant de ques­tions poli­tiques et sociales dans des clubs tout en orga­ni­sant la résis­tance avec la Garde natio­nale face à la contre-révo­lu­tion du gou­ver­ne­ment fran­çais basé à Ver­sailles. Cette expé­rience révo­lu­tion­naire se ter­mine par la Semaine san­glante, une répres­sion bru­tale des com­mu­nards et com­mu­nardes par les ver­saillais. Bien que la Com­mune de Paris ait eu lieu il y a un siècle et demi, les échos de cette révo­lu­tion éphé­mère résonnent à tra­vers l’histoire pour ani­mer les mou­ve­ments sociaux aspi­rant à une démo­cra­tie radi­cale et popu­laire. L’héritage de la Com­mune de Paris, révo­lu­tion sociale, démo­cra­tique et ouvrière, est tou­jours vivant.

LA DÉMOCRATIE DIRECTE DANS LES ASSEMBLÉES POPULAIRES

Tra­di­tion­nel­le­ment, la Com­mune de Paris est asso­ciée à l’idée de démo­cra­tie directe. Cepen­dant, l’on peut se deman­der ce qu’il y a de direc­te­ment démo­cra­tique dans un conseil muni­ci­pal com­po­sé de repré­sen­tants élus au suf­frage uni­ver­sel mas­cu­lin ? Certes, l’évolution démo­cra­tique réa­li­sée par la Com­mune a abou­ti à un conseil muni­ci­pal élu – com­po­sé en par­tie d’ouvriers – et la ville ne dépend plus du gou­ver­ne­ment cen­tral pour gérer ses affaires. Mais les élec­tions et le gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif ne sont-ils pas le contraire de la démo­cra­tie directe ? En réa­li­té, ce qui dis­tingue la Com­mune d’un gou­ver­ne­ment repré­sen­ta­tif tra­di­tion­nel, c’est le fait que le peuple se réunis­sait constam­ment dans les espaces publics pour dis­cu­ter, débattre et prendre posi­tion sur les affaires publiques. Ces assem­blées popu­laires infor­melles avaient pour but d’exercer un contrôle et une pres­sion sur le gou­ver­ne­ment offi­ciel de la Com­mune. Ain­si, la démo­cra­tie directe n’était pas tant celle qui se pra­ti­quait à l’Hôtel de Ville que celle qui s’épanouissait dans de mul­tiples assem­blées popu­laires à tra­vers la ville pre­nant part aux affaires publiques : les comi­tés de quar­tier qui géraient les affaires locales à tra­vers une vie de quar­tier très active, les assem­blées de la Garde natio­nale, les comi­tés de l’Union des femmes pour la défense de Paris, les sec­tions locales de l’Internationale, les chambres syn­di­cales, et sur­tout, les clubs, ces « théâtres et salons du peuple » qui et exer­çaient un contrôle sur le Conseil de la Com­mune, remet­tant en cause les déci­sions des élus consi­dé­rés comme de simples délé­gués révo­cables. Pour finir, la Com­mune de Paris aspi­rait à asso­cier les autres com­munes de France en une confé­dé­ra­tion des Communes.

Bien que le terme com­mu­na­lisme soit né pen­dant la Com­mune de Paris, il est éga­le­ment connu aujourd’hui comme la théo­rie déve­lop­pée par Mur­ray Book­chin. L’affiliation à la Com­mune de Paris est claire : selon la phi­lo­so­phie poli­tique du com­mu­na­lisme, la com­mune est la prin­ci­pale uni­té poli­tique où les com­mu­nau­tés gèrent direc­te­ment leurs propres affaires par le biais d’assemblées popu­laires fonc­tion­nant sur le mode de la démo­cra­tie directe et en face-à-face. Pour les ques­tions qui dépassent le cadre de la muni­ci­pa­li­té, le com­mu­na­lisme pré­voit que les muni­ci­pa­li­tés s’organisent selon le modèle confé­dé­ra­liste : chaque assem­blée envoie un ou une délé­guée avec un man­dat impé­ra­tif et révo­cable au conseil confé­dé­ral, c’est-à-dire avec des ins­truc­tions pré­cises à res­pec­ter qui, si elles ne le sont pas, peuvent mener à la révo­ca­tion du ou de la déléguée.

COMMERCY OU LE COMMUNALISME EN ACTES

Cette forme poli­tique du com­mu­na­lisme a été ins­tan­ciée par de nom­breux mou­ve­ments, et notam­ment par celui des Gilets jaunes à Com­mer­cy. En effet, dès les pre­miers jours du mou­ve­ment, les Gilets jaunes de Com­mer­cy se sont orga­ni­sés en assem­blées popu­laires et selon les prin­cipes de la démo­cra­tie directe. Dans leur cabane, sans chef ni repré­sen­tant, ils tenaient des assem­blées quo­ti­diennes pour débattre et prendre des déci­sions col­lec­ti­ve­ment. Ces assem­blées du peuple res­sem­blaient beau­coup aux assem­blées de quar­tier et aux clubs révo­lu­tion­naires de la Com­mune de Paris : assem­blée constante du peuple, ouver­ture de l’assemblée à tous et toutes, réunion des voi­sins et voi­sines pour débattre et déci­der des sujets poli­tiques essen­tiels, vision de la poli­tique comme une acti­vi­té dépro­fes­sion­na­li­sée, cri­tique de la poli­tique repré­sen­ta­tive… De plus, les prin­cipes des man­dats impé­ra­tifs et révo­cables, sem­blables à ceux pra­ti­qués et récla­més pen­dant la Com­mune de Paris, ont été pra­ti­qués, notam­ment à l’occasion de l’Assemblée des Assem­blées des Gilets jaunes. Dès jan­vier 2019, les dif­fé­rentes Assem­blées des Assem­blées ont ras­sem­blé des dizaines voire des cen­taines per­sonnes délé­guées des groupes locaux de Gilets jaunes et dotées de man­dats impé­ra­tifs et révo­cables de leurs assem­blées locales, avec l’aspiration de créer une sorte de fédé­ra­tion – une aspi­ra­tion par­ta­gée par les com­mu­nards et communardes.

Ce qui a débu­té à Com­mer­cy est bien plus qu’une dyna­mique locale, même si celle-ci a été très fruc­tueuse, menant notam­ment à la consti­tu­tion d’une liste pour les élec­tions muni­ci­pales qui avait pour pro­gramme de don­ner le pou­voir à l’assemblée citoyenne. Elle a plan­té la graine du com­mu­na­lisme dans l’esprit de nom­breuses per­sonnes, Gilets Jaunes, mani­fes­tantes et mili­tantes, fai­sant revivre des idéaux vieux de 150 ans. Le com­mu­nard et anar­chiste bien connu Eli­sée Reclus a dit : « Ce que les diri­geants n’ont pas fait, la foule sans nom l’a fait ». Si cela était vrai à l’époque de la Com­mune de Paris, il est pos­sible de dire la même chose aujourd’hui de ce mou­ve­ment com­mu­na­liste. Et ce que la foule ano­nyme a fait, n’est rien de moins que la mise en œuvre des idéaux de la démo­cra­tie directe communaliste.

Cette tribune est le résumé d’un article de la même autrice, publié originellement dans ROAR Magazine le 18 mars 2021 et intitulé « From red scarfs to yellow vests : the communalist tradition ».

Sixtine d'Ydewalle est chercheuse en théorie du droit et théorie politique à l'UCL et spécialisée dans l’étude des mouvements communalistes. C’est également l’une des conceptrices de l’exposition « Vive la Commune ! »

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