Le 18 mars dernier, cela faisait 150 ans que la Commune de Paris a débuté. Malgré sa brève existence (18 mars – 28 mai 1871), la Commune de Paris a constitué un moment charnière dans l’histoire des idées politiques et des révolutions. Pendant 72 jours, les communards et communardes se sont battus pour construire une république démocratique et sociale, en organisant des élections pour leur commune populaire, en initiant des mesures sociales radicales, en luttant pour davantage de droits pour les femmes, en discutant de questions politiques et sociales dans des clubs tout en organisant la résistance avec la Garde nationale face à la contre-révolution du gouvernement français basé à Versailles. Cette expérience révolutionnaire se termine par la Semaine sanglante, une répression brutale des communards et communardes par les versaillais. Bien que la Commune de Paris ait eu lieu il y a un siècle et demi, les échos de cette révolution éphémère résonnent à travers l’histoire pour animer les mouvements sociaux aspirant à une démocratie radicale et populaire. L’héritage de la Commune de Paris, révolution sociale, démocratique et ouvrière, est toujours vivant.
LA DÉMOCRATIE DIRECTE DANS LES ASSEMBLÉES POPULAIRES
Traditionnellement, la Commune de Paris est associée à l’idée de démocratie directe. Cependant, l’on peut se demander ce qu’il y a de directement démocratique dans un conseil municipal composé de représentants élus au suffrage universel masculin ? Certes, l’évolution démocratique réalisée par la Commune a abouti à un conseil municipal élu – composé en partie d’ouvriers – et la ville ne dépend plus du gouvernement central pour gérer ses affaires. Mais les élections et le gouvernement représentatif ne sont-ils pas le contraire de la démocratie directe ? En réalité, ce qui distingue la Commune d’un gouvernement représentatif traditionnel, c’est le fait que le peuple se réunissait constamment dans les espaces publics pour discuter, débattre et prendre position sur les affaires publiques. Ces assemblées populaires informelles avaient pour but d’exercer un contrôle et une pression sur le gouvernement officiel de la Commune. Ainsi, la démocratie directe n’était pas tant celle qui se pratiquait à l’Hôtel de Ville que celle qui s’épanouissait dans de multiples assemblées populaires à travers la ville prenant part aux affaires publiques : les comités de quartier qui géraient les affaires locales à travers une vie de quartier très active, les assemblées de la Garde nationale, les comités de l’Union des femmes pour la défense de Paris, les sections locales de l’Internationale, les chambres syndicales, et surtout, les clubs, ces « théâtres et salons du peuple » qui et exerçaient un contrôle sur le Conseil de la Commune, remettant en cause les décisions des élus considérés comme de simples délégués révocables. Pour finir, la Commune de Paris aspirait à associer les autres communes de France en une confédération des Communes.
Bien que le terme communalisme soit né pendant la Commune de Paris, il est également connu aujourd’hui comme la théorie développée par Murray Bookchin. L’affiliation à la Commune de Paris est claire : selon la philosophie politique du communalisme, la commune est la principale unité politique où les communautés gèrent directement leurs propres affaires par le biais d’assemblées populaires fonctionnant sur le mode de la démocratie directe et en face-à-face. Pour les questions qui dépassent le cadre de la municipalité, le communalisme prévoit que les municipalités s’organisent selon le modèle confédéraliste : chaque assemblée envoie un ou une déléguée avec un mandat impératif et révocable au conseil confédéral, c’est-à-dire avec des instructions précises à respecter qui, si elles ne le sont pas, peuvent mener à la révocation du ou de la déléguée.
COMMERCY OU LE COMMUNALISME EN ACTES
Cette forme politique du communalisme a été instanciée par de nombreux mouvements, et notamment par celui des Gilets jaunes à Commercy. En effet, dès les premiers jours du mouvement, les Gilets jaunes de Commercy se sont organisés en assemblées populaires et selon les principes de la démocratie directe. Dans leur cabane, sans chef ni représentant, ils tenaient des assemblées quotidiennes pour débattre et prendre des décisions collectivement. Ces assemblées du peuple ressemblaient beaucoup aux assemblées de quartier et aux clubs révolutionnaires de la Commune de Paris : assemblée constante du peuple, ouverture de l’assemblée à tous et toutes, réunion des voisins et voisines pour débattre et décider des sujets politiques essentiels, vision de la politique comme une activité déprofessionnalisée, critique de la politique représentative… De plus, les principes des mandats impératifs et révocables, semblables à ceux pratiqués et réclamés pendant la Commune de Paris, ont été pratiqués, notamment à l’occasion de l’Assemblée des Assemblées des Gilets jaunes. Dès janvier 2019, les différentes Assemblées des Assemblées ont rassemblé des dizaines voire des centaines personnes déléguées des groupes locaux de Gilets jaunes et dotées de mandats impératifs et révocables de leurs assemblées locales, avec l’aspiration de créer une sorte de fédération – une aspiration partagée par les communards et communardes.
Ce qui a débuté à Commercy est bien plus qu’une dynamique locale, même si celle-ci a été très fructueuse, menant notamment à la constitution d’une liste pour les élections municipales qui avait pour programme de donner le pouvoir à l’assemblée citoyenne. Elle a planté la graine du communalisme dans l’esprit de nombreuses personnes, Gilets Jaunes, manifestantes et militantes, faisant revivre des idéaux vieux de 150 ans. Le communard et anarchiste bien connu Elisée Reclus a dit : « Ce que les dirigeants n’ont pas fait, la foule sans nom l’a fait ». Si cela était vrai à l’époque de la Commune de Paris, il est possible de dire la même chose aujourd’hui de ce mouvement communaliste. Et ce que la foule anonyme a fait, n’est rien de moins que la mise en œuvre des idéaux de la démocratie directe communaliste.
Cette tribune est le résumé d’un article de la même autrice, publié originellement dans ROAR Magazine le 18 mars 2021 et intitulé « From red scarfs to yellow vests : the communalist tradition ».
Sixtine d'Ydewalle est chercheuse en théorie du droit et théorie politique à l'UCL et spécialisée dans l’étude des mouvements communalistes. C’est également l’une des conceptrices de l’exposition « Vive la Commune ! »