Aucun pays européen n’a produit autant de films de genre que l’Italie du 20e siècle. Pêle-mêle, on y trouve péplum, western, polar, horreur, délire cannibale, science-fiction, épouvante gothique et comédies érotiques à‑gogo !
Mais un genre en particulier nous obsède : le giallo, thriller à l’italienne dont l’âge d’or se perd aux confins des années 60 et 70. Giallo, jaune, comme les couvertures des polars glauques que l’éditeur Mondadori fait paraître dès 1929. On y trouve l’origine du giallo dans les histoires (traduites) du britannique Edgar Wallace, elles-mêmes à l’origine des films du genre krimi en Allemagne. Les krimis offraient des intrigues plutôt classiques, fondées sur la recherche d’un mystérieux assassin dont la perversion n’avait d’égale que son génie de la mise en scène. Avec le giallo, l’énigme devient le prétexte d’une surenchère dans la représentation macabre, le crime faisant lui-même l’objet d’une esthétisation à outrance. Le Clouzot des Diaboliques ou le Hitchcock de Psychose ne sont jamais très loin quand on aborde le genre. Excessif, le giallo n’est pourtant jamais vulgaire, même s’il subsiste quelques séquelles donnant plus volontiers dans un érotisme malhabile que dans « l’assassinat considéré comme un des beaux-arts » (dixit Thomas De Quincey).
Les chefs‑d’œuvre du genre s’apparentent donc à une expérience visuelle du meurtre et du climat de tension qui l’accompagne. Des femmes, parfois nues, sont offertes à l’arme blanche vengeresse d’un meurtrier sadique dont on découvrira bien sûr qu’il souffre de troubles psychiques liés à la petite enfance. Mais le détraqué est un esthète, et sa propension à parsemer ses scènes de crime d’indices bizarres laisse songeur. Voilà, en gros, la trame de tout bon giallo.
C’est Mario Bava, exceptionnel directeur de la photographie, qui définira la charte graphique du genre en 1964 avec le fulgurant « Six femmes pour l’assassin. » À l’instar des mélodrames de Douglas Sirk, Bava utilise la couleur de façon à la fois choquante et poétique, baignant l’intrigue, et le spectateur, dans une sublime et voluptueuse étrangeté. Dario Argento exploitera ce parti pris esthétique pour donner au giallo ses chefs‑d’œuvre : L’oiseau au plumage de cristal (1970), Le chat à neuf queues (1971), Quatre mouches de velours gris (1972) et le summum du genre, Les frissons de l’angoisse (Profondo Rosso – 1975). Oui, dans le giallo, les titres aussi sont souvent biscornus.
L’attrait de ces films réside aussi, sans doute, dans une mise en scène savante qui doit autant à l’œuvre de De Chirico, période « architectures énigmatiques », qu’aux musiques inspirées des compositeurs italiens aux premiers rangs desquels Ennio Morricone et le groupe prog Goblin. Le premier, sans doute le plus prolifique compositeur de « colonna sonora » du monde, exploitera avec le giallo une veine psychédélique qui influencera des pans entiers de la musique pop contemporaine ; Goblin, eux, excelleront dans le registre horrifique, plaçant très haut la barre avec Profondo Rosso et surtout Suspiria (le classique fantastique d’Argento), de loin la BO la plus flippante de tous les temps.
Genre officiellement éteint, le giallo reste aujourd’hui une influence majeure pour bon nombre de créateurs barrés, cinéastes, plasticiens ou musiciens. Plus que jamais, la marque jaune semble indélébile.