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Le rôle de la culture et la place de l’artiste, déformés par le prisme de l’idéologie néolibérale

Photo : CC BY-SA 2.0 par Denise Chan (installation de Annie Wan)

La crise éco­no­mique rend encore plus dif­fi­cile le finan­ce­ment du sec­teur cultu­rel, sou­vent pre­mier champ à être sacri­fié sur l’autel de l’austérité. Plus pro­fon­dé­ment, elle entraîne un ren­for­ce­ment de l’aspect uti­li­ta­riste de la culture et elle tend à assi­gner un rôle éco­no­mique à l’artiste, carac­té­ris­tique de l’idéologie néo­li­bé­rale. Com­ment pen­ser ce phé­no­mène, s’en pré­mu­nir et trou­ver des voies alternatives ?

Le constat

Ces der­niers mois ont été mar­qués par la remise en ques­tion des faibles acquis des artistes au niveau de leur sta­tut social et de leur droit au chô­mage. Paral­lè­le­ment à cela, suite aux crises éco­no­miques à répé­ti­tion qui ont engen­dré en Europe des pro­grammes d’austérité tou­chant la majo­ri­té des États, de nom­breuses asso­cia­tions, com­pa­gnies, fes­ti­vals et pro­jets cultu­rels ou socio­cul­tu­rels sub­ven­tion­nés en tout ou en par­tie par l’État, voient depuis quelques années leurs sub­ven­tions régu­liè­re­ment limi­tées, remises en ques­tions, non indexées, revues au rabais… et ceux qui jouissent d’une aug­men­ta­tion ou qui arrivent à obte­nir une nou­velle sub­ven­tion sont à pré­sent consi­dé­rés comme des exceptions.

On assiste donc à un phé­no­mène double où la culture, avec d’un côté les artistes qui lui insufflent son âme, et d’un autre toutes les struc­tures qui lui donnent corps, se retrouve de plus en plus affai­blie. Un phé­no­mène affec­tant aus­si le sec­teur socio­cul­tu­rel. Cet affai­blis­se­ment se retrouve encore accen­tué par la concur­rence de fait qui se joue entre la « culture de diver­tis­se­ment » et la « culture pour l’art ». Sans vou­loir ici entrer dans un débat qua­li­ta­tif, on en retien­dra sur­tout que les valeurs éco­no­miques prennent de plus en plus de place dans le dis­cours lié à la culture, et que les crises éco­no­miques accen­tuent encore ce phénomène.

Un regard lucide sur la culture et sur nos sociétés

Dans ce contexte d’austérité géné­rale, il importe de sou­li­gner que ce n’est pas parce qu’on nous force à nous accom­mo­der aux consé­quences de la crise, que nous sommes obli­gés de consi­dé­rer cette aus­té­ri­té comme une fata­li­té. Au contraire, il nous appar­tient plus que jamais de gar­der un point de vue lucide sur notre socié­té, sur ses qua­li­tés comme sur ses dys­fonc­tion­ne­ments, en même temps que sur le rôle cru­cial que joue la culture au sein de toute socié­té humaine.

La mis­sion d’une socié­té humaine consiste à garan­tir la sur­vie de l’ensemble des citoyens, et à les ame­ner à un mieux-vivre en met­tant en œuvre une orga­ni­sa­tion glo­bale. Dans les socié­tés modernes, la poli­tique nous aide à orga­ni­ser les choix de socié­té et les prises de déci­sions au sujet des pro­blèmes de tous ordres qui se pré­sentent. Quant à l’économie, elle sert à faire cir­cu­ler les biens tout en per­met­tant les échanges néces­saires à la consom­ma­tion, à créer des emplois et à géné­rer des pro­fits dont tout ou une par­tie sera récu­pé­rée par l’État pour finan­cer la mise en œuvre des déci­sions prises pour le bien-être géné­ral. Il y a donc un lien étroit entre la poli­tique et l’économie puisque ce sont les pro­fits engen­drés via l’économie et les emplois qu’elle engendre, qui donnent à l’État les moyens de mettre en œuvre les pro­grammes défi­nis par la voie poli­tique. À l’origine, l’économie est donc un outil de la poli­tique, et pas l’inverse. Aus­si, selon le sys­tème poli­tique en vigueur, la nature du sys­tème éco­no­mique varie­ra, et la masse finan­cière dont dis­pose un État varie­ra de même. De nos jours, ces sys­tèmes, autre­fois sim­ple­ment capi­ta­listes ou com­mu­nistes, peuvent aus­si prendre des formes hybrides. C’est le cas pour cer­tains pays du nord de l’Europe par exemple, qui sont véri­ta­ble­ment enga­gés dans l’économie capi­ta­liste, tout en main­te­nant de fortes taxa­tions garan­tis­sant à l’État la pos­si­bi­li­té de répondre à un très large éven­tail de besoins sociaux. C’est aus­si le cas pour la Chine, qui demeure com­mu­niste tout en met­tant en œuvre une forme de capi­ta­lisme d’État.

Quoi qu’il en soit le rôle de l’État demeure cen­tral. Tous les acquis sociaux des deux der­niers siècles en témoignent, car ils ont mar­qué un des plus grands pro­grès de l’Histoire humaine, en bâtis­sant des socié­tés plus justes, capables de mieux répar­tir les richesses et d’apporter une plus grande sécu­ri­té à chaque per­sonne, en mutua­li­sant les soins de san­té, les pen­sions, l’assurance-chômage, etc. Toutes ces choses qui tendent à amé­lio­rer nos condi­tions de vie au quo­ti­dien et qui ont per­mis à nos socié­tés de méri­ter le nom de civilisation.

Mais au cours de cette même période de l’histoire moderne, au fil des décen­nies, nos socié­tés sont pas­sées du capi­ta­lisme clas­sique au néo­ca­pi­ta­lisme. Le capi­ta­lisme clas­sique tra­dui­sait une idéo­lo­gie consis­tant à pro­mou­voir l’esprit d’entreprise et le pro­fit indi­vi­duel dans la mesure où ils étaient cen­sés irri­guer l’ensemble de la socié­té, engen­drant ain­si une aug­men­ta­tion de ce bien-être pour tous. Mais le néo­ca­pi­ta­lisme ne s’encombre plus d’aucune notion d’intérêt géné­ral, et se contente d’afficher un but unique : l’enrichissement des inves­tis­seurs. Depuis la glo­ba­li­sa­tion enta­mée dans les années 1970, l’économie s’est pro­gres­si­ve­ment muée en un pou­voir glo­bal de nature supra­na­tio­nale, échap­pant ain­si à toutes les règles natio­nales édic­tées par les États. C’est ce carac­tère supra­na­tio­nal du pou­voir éco­no­mique qui a défi­ni­ti­ve­ment déra­ci­né le capi­ta­lisme du peu de fonc­tion sociale dont il dis­po­sait encore. À par­tir de là, le capi­ta­lisme s’est divi­sé en deux expres­sions idéo­lo­giques. La pre­mière recon­naît l’importance d’un État-pro­vi­dence qui tâche de répondre, au moins par­tiel­le­ment, aux néces­si­tés de la socié­té et de tous ses membres, dans un sou­ci d’équité rela­tive et de bien-être géné­ral. Et la seconde, qui tend à réduire l’État à sa plus simple expres­sion, tend à pri­va­ti­ser tous les pans de la socié­té qui peuvent l’être, vidant l’État de sa sub­stance et le subor­don­nant, comme les indi­vi­dus, aux exi­gences du seul pou­voir économique.

Les effets de l’idéologie néolibérale sur la culture

Quel est le rap­port de tout ceci avec la culture ?

Suite à cette muta­tion du sys­tème éco­no­mique, de plus en plus sujet à la spé­cu­la­tion, et déra­ci­né des enjeux locaux, humains et éco­lo­giques, le ciment de nos socié­tés s’est de plus en plus effri­té, mais nous nous y sommes en quelque sorte habi­tués, car le maté­ria­lisme ambiant a fini par impré­gner nos sys­tèmes de valeurs. Nous sommes en effet condi­tion­nés à trou­ver nor­mal que l’économie prime sur nos vies et que les béné­fices du sys­tème éco­no­mique ne soient plus un outil de bien-être à dis­po­si­tion des États, mais seule­ment un outil d’enrichissement pour des inves­tis­seurs pri­vés. Le rôle social de l’économie, en tant que moyen dont les béné­fices servent à être réin­jec­tés dans les ser­vices aux citoyens, est même une logique que l’idéologie néo­li­bé­rale tente à pré­sent de réduire à une cari­ca­ture des régimes communistes…

Ceci est en tous les cas symp­to­ma­tique du fait que la pri­mau­té abso­lue de l’économie dans le monde d’aujourd’hui véhi­cule une idéo­lo­gie qui tend à impré­gner nos valeurs les plus pro­fondes. On pour­rait pen­ser que cette affir­ma­tion est exa­gé­rée, mais voyons ensemble com­ment cela se tra­duit dans la pra­tique. Celle-ci se tra­duit par deux effets notoires.

a) Les fac­teurs éco­no­miques influent sur les démarches artistiques

Dans le sec­teur cultu­rel, il est frap­pant de consta­ter que les ins­tances publiques demandent de plus en plus sou­vent à des acteurs cultu­rels de prou­ver leur ren­de­ment, leur via­bi­li­té éco­no­mique, sans se sou­cier du fond réel que les œuvres, trans­for­mées en « pro­duits » peuvent transmettre.

Arrê­tons-nous un ins­tant : la musique, le ciné­ma, le théâtre, la pein­ture, la danse, la sculp­ture, la bande des­si­née et la lit­té­ra­ture ont-ils pour voca­tion de nous faire rêver et de nous don­ner un autre angle de vue sur l’existence, de nous ouvrir des hori­zons en nous fai­sant réflé­chir et élar­gir nos points de vue sur la vie ? Ou de faire du chiffre ?

Le sens qui habite les œuvres n’a abso­lu­ment rien à voir avec ce qu’elles repré­sentent en tant que pro­duits cultu­rels, c’est-à-dire le nombre d’exemplaires ou de tickets d’entrée ven­dus… Mais aujourd’hui, la pri­mau­té de l’économie sur les autres aspects de la vie est telle, que pour cer­tains les résul­tats de vente dépassent de loin le sens qui habite les œuvres. Le dis­cours sur l’impact éco­no­mique de l’œuvre, en tant que pro­duit, tend à pro­gres­si­ve­ment sup­plan­ter la qua­li­té artis­tique ou le rôle social de l’art…

Au fil des ans, la qua­li­té de ce dis­cours s’est alté­rée à tous les étages de la vie cultu­relle : entre artistes, entre l’artiste et son label, sa gale­rie, sa com­pa­gnie, entre les asso­cia­tions, entre les dif­fu­seurs de spec­tacle et les orga­ni­sa­teurs… Et bien enten­du entre les asso­cia­tions et le minis­tère de la Culture. Il est extrê­me­ment regret­table et cho­quant de consta­ter que, qu’ils soient de droite ou de gauche, les cabi­nets de ministre de la Culture sont, d’une façon ou d’une autre, tou­chés par ces convic­tions héri­tées d’une logique ultra­li­bé­rale, puisqu’ils demandent de plus en plus sys­té­ma­ti­que­ment à des pro­jets et des struc­tures avant tout concen­trés sur une qua­li­té artis­tique, de prou­ver leur via­bi­li­té éco­no­mique. Évi­dem­ment, cet axe éco­no­mique existe, et le sec­teur cultu­rel a appris à le faire valoir pour prou­ver qu’il n’est pas seule­ment un sec­teur « à la charge » de l’État et qu’il génère tout un champ d’activité éco­no­mique, mais dans le monde artis­tique, ce niveau d’importance ne sera jamais com­pa­rable à ce que génère le sec­teur du divertissement.

Tout ceci pour dire que là où cer­tains ont des œillères et ne jurent que par l’argent et la pro­duc­ti­vi­té dans l’art, il est aus­si pos­sible de voir le signe d’une dérive par rap­port au rôle essen­tiel dévo­lu à la culture dans une socié­té humaine.

b) La réa­li­té de l’artiste est niée

Cette idéo­lo­gie néo­li­bé­rale a éga­le­ment pour effet d’altérer notre vision du tra­vail. En même temps que com­mencent à dis­pa­raître les prin­cipes de soli­da­ri­té au pro­fit d’un indi­vi­dua­lisme aveugle, le non-emploi n’est plus envi­sa­gé comme une situa­tion dont on est vic­time mais bien comme une situa­tion dont on est coupable.

C’est donc par le prisme de valeurs néo­li­bé­rales que l’on tente aujourd’hui de repré­sen­ter l’artiste comme un assis­té et un pro­fi­teur du système.

Pour dépas­ser cette vul­gaire cari­ca­ture de l’artiste au tra­vail, voyons plu­tôt quelles sont les carac­té­ris­tiques de sa réa­li­té quo­ti­dienne. Les artistes ne sont ni des indé­pen­dants ni des ouvriers, ni des employés. Ils échappent de fait aux sta­tuts tra­di­tion­nels du monde du tra­vail, où les rela­tions sont envi­sa­gées selon un mode hié­rar­chique et une rela­tion basée sur l’exploitation. L’artiste tra­vaille sou­vent seul, ou alors dans une rela­tion d’interdépendance avec d’autres artistes, il ne tra­vaille donc géné­ra­le­ment pas « pour » un autre artiste, mais éven­tuel­le­ment « avec » un ou plu­sieurs autres artistes. Aus­si, l’artiste tra­vaille au pro­jet, ce qui implique qu’il alterne des périodes d’emploi et de non-emploi avec un rythme n’ayant aucune com­mune mesure avec les métiers tra­di­tion­nels. C’est donc un tra­vailleur « super » inter­mit­tent. Ajou­tons encore à cela qu’il cumule sou­vent plu­sieurs fonc­tions et dif­fé­rents savoir-faire, et nous sommes à même de consta­ter que toutes ces dif­fé­rences fon­da­men­tales par rap­port aux modèles tra­di­tion­nels du tra­vail engendrent la néces­si­té de créer un sta­tut qui convienne réel­le­ment au monde artistique.

Cepen­dant, le constat est simple : cette néces­si­té ne trouve pas de réponse adap­tée. Les acquis en la matière sont faibles, et aujourd’hui par­tiel­le­ment mis en péril, sous pré­texte que cer­tains pro­fitent du sys­tème, ou se laissent aller à l’assistanat. Quant à une solu­tion réel­le­ment adap­tée aux artistes, le fait est que dès que l’on tente d’avancer sur des pro­jets poli­tiques concrets, les par­tis tra­di­tion­nels se cabrent sys­té­ma­ti­que­ment sur leurs posi­tions et se refusent à sor­tir d’une logique exploitant/exploité dans laquelle ils res­tent his­to­ri­que­ment engon­cés, s’avérant du même coup inca­pables de com­men­cer à envi­sa­ger l’existence de sta­tuts inter­mé­diaires échap­pant à toute logique d’exploitation.

Il y a pour­tant là une réa­li­té sociale qui existe bel et bien, même si cer­tains per­sistent à la nier : de plus en plus d’individus, et pas seule­ment des artistes, tra­vaillent seuls, dans une cer­taine indé­pen­dance, mais sont liés aux autres par une inter­dé­pen­dance, échap­pant ain­si à un lien hié­rar­chique réel et à une logique d’exploitation. On leur demande pour­tant de choi­sir entre un sta­tut d’indépendant inadap­té pour eux, et un sta­tut d’employé clas­sique, tout aus­si inadap­té. La mise sur pied d’un nou­veau sta­tut de tra­vailleur est donc bien per­ti­nente, afin que cette réa­li­té propre au monde artis­tique soit enfin recon­nue et puisse ser­vir de base à une redé­fi­ni­tion des condi­tions d’accès à l’assurance-chômage tout aus­si adap­tée au sec­teur en question.

Le fait de nier la réa­li­té de l’artiste consti­tue ain­si un des étranges pen­chants de nos socié­tés contem­po­raines. Mais si l’on s’accorde sur le fait que l’art et la culture par­ti­cipent à insuf­fler un sens et une cohé­sion au sein d’une socié­té, il n’est pas éton­nant que l’idéologie néo­li­bé­rale tente de s’y atta­quer. En effet, la puis­sance de l’économie supra­na­tio­nale se ren­for­çant lorsque des pays acceptent de limi­ter leur État-pro­vi­dence au plus strict mini­mum, il va de soi que le néo­ca­pi­ta­lisme gagne à affai­blir tout ce qui peut don­ner de la consis­tance aux États. La culture, au même titre que la poli­tique sociale ou l’enseignement, fait par­tie de ces domaines. L’idéologie néo­li­bé­rale dif­fuse donc des théo­ries qui nous condi­tionnent à pen­ser que ces domaines coûtent trop chers à la col­lec­ti­vi­té et qu’il nous faut pro­gres­si­ve­ment renon­cer à les sub­ven­tion­ner… pour éven­tuel­le­ment accep­ter d’en venir à les privatiser…

Comment défendre la culture, et le secteur culturel ?

Comme on le voit, l’engagement pour la défense du sec­teur de la culture dans son ensemble, dans le cadre d’une poli­tique cultu­relle digne d’une socié­té huma­niste, ne peut se faire en igno­rant que le monde tel qu’il est aujourd’hui est domi­né par le pou­voir exces­sif d’une éco­no­mie deve­nue supra­na­tio­nale et dont l’appétit n’a que faire des tis­sus internes de nos socié­tés. Le fait de por­ter un regard cri­tique sur notre socié­té nous a per­mis de recon­naître les effets per­vers d’une idéo­lo­gie et d’une poli­tique qui traitent la culture d’un point de vue trop impré­gné d’impératifs éco­no­miques, et qui traitent les artistes comme n’ayant pas d’existence propre et de sta­tut particulier.

Pour réagir à cela, la pre­mière piste qui s’offre à nous consiste à remettre la poli­tique cultu­relle dans son champ d’action réel, en veillant à ce que les pou­voirs publics conti­nuent à sub­ven­tion­ner le sec­teur cultu­rel sur une base avant tout artis­tique, et non pas éco­no­mique, de façon à ce que la socié­té contri­bue à ren­for­cer le rôle social réel de la culture : véhi­cu­ler du sens, dis­til­ler du rêve, sus­ci­ter du ques­tion­ne­ment et ame­ner de l’ouverture dans nos vies et nos rap­ports quotidiens.

Aus­si, dès lors que des pro­grammes d’austérité contraignent nos socié­tés à des efforts plus impor­tants, il nous faut encore plus veiller à ce que cette prio­ri­té au fac­teur artis­tique soit main­te­nue. Mais il convient éga­le­ment de rap­pe­ler que s’il n’y a pas de rai­son pour que le sec­teur cultu­rel ne soit pas plus épar­gné qu’un autre ; il n’y a pas de rai­son non plus pour qu’il subisse plus de pres­sions que d’autres secteurs.

Enfin, je vou­drais ter­mi­ner en insis­tant sur le fait que, afin de ne pas tou­jours par­ler de la culture d’une façon décon­nec­tée, comme s’il s’agissait d’une île au large de la réa­li­té quo­ti­dienne, il importe de reve­nir à ce type de vision, à la fois phi­lo­so­phique, éco­no­mique et poli­tique. Car la culture n’est pas iso­lée de la socié­té. Au contraire, elle consti­tue le sang du corps social, et elle irrigue chaque par­tie de ce corps. Il est donc indis­pen­sable d’arriver à repen­ser son exis­tence en tant que telle, tout en tenant compte de l’ensemble des liens qu’elle entre­tient avec les autres par­ties de la société.

Une poli­tique cultu­relle digne de ce nom se doit de repar­tir d’une réflexion de fond qui dépasse de loin la culture seule, et qui com­porte ce type de com­pré­hen­sion trans­ver­sale. Hélas, la poli­tique telle qu’elle se pra­tique aujourd’hui dans les hémi­cycles ne laisse plus beau­coup de place à ces réflexions de fond. Pour défendre la culture et les artistes, dans les années qui viennent, il fau­dra donc apprendre à se défendre contre un enne­mi aus­si gigan­tesque qu’invisible… la domi­na­tion du maté­ria­lisme le plus plat, sous toutes ses formes.



Manuel Hermia est musicien, philosophe et photographe et réfléchit depuis plusieurs années à la place de l’artiste dans notre société. D'autres réflexions ainsi que son parcours artistiques sont présentés sur son site.