DES ENJEUX IMBRIQUÉS, PAS OPPOSÉS
Longtemps, il fut de règle d’opposer préoccupations environnementales et revendications sociales. Les défenseurs de l’environnement étaient considérés comme des (petits) bourgeois plus préoccupés par le sort de la reinette aux yeux rouges que par le bien-être de la classe ouvrière tandis que les syndicalistes et autres acteurs de la lutte sociale apparaissaient comme prêts à sacrifier mère Nature sur l’autel d’un productivisme synonyme de croissance et de pouvoir d’achat. Nous sommes – heureusement ! – aujourd’hui bien loin de cette vision caricaturale. Certes, le fossé séparant jadis les enjeux sociaux et environnementaux n’est pas complètement comblé, mais il est devenu évident que loin d’être opposés, ceux-ci sont au contraire complémentaires et même étroitement imbriqués.
Prédateurs de ressources naturelles et générateurs de multiples pollutions, nos modes de production et de consommation fondés sur le « toujours plus » méprisent également les conditions de travail et de vie d’une main‑d’œuvre souvent considérée comme une simple variable d’ajustement. Ainsi, les travailleurs sont les premières victimes de processus industriels polluants. Ce fut le cas hier avec l’amiante ; ce l’est aujourd’hui avec le sablage des jean’s ou l’agriculture industrielle et son usage massif d’intrants industriels hautement nocifs. Sur un autre plan, les populations les moins favorisées se trouvent confinées dans des quartiers cumulant les nuisances : trafic intense, bruit, paysage saccagé, air vicié, etc.
Amorcée dès les années 60 avec des penseurs de l’écologie politique tels André Gorz, cette approche d’un combat commun de l’environnement et du social face à l’économie trouve aujourd’hui un large écho à gauche de l’échiquier politique. Elle colore les programmes des partis et a donné naissance à un nouveau courant : l’éco-socialisme.
Chez Inter-Environnement Wallonie, ce lien s’impose comme un axe central de nos analyses et prises de position. Nous avons ainsi consacré pas moins de deux dossiers à la question du modèle économique actuel et de son alternative idéale. Ce travail a servi de base à des formations destinées tant à nos 160 associations qu’à un public plus large. Nous avons également consacré notre « Université d’automne » 2010 à la « décroissance » et l’édition 2011 à la « transition économique ». Autant d’activités qui traduisent l’attention que nous portons à cette question fondamentale et participent de « l’agitation d’idées » que nous nous attachons à générer en marge et en soutien à notre travail d’analyse critique et influence des politiques publiques.
Cependant, si la réflexion intellectuelle et le positionnement idéologique ont considérablement évolués, la diffusion d’un tel message au sein des publics prioritairement concernés reste complexe. Difficile, en effet, de sensibiliser à ces questions des individus logiquement et légitimement plus soucieux de leur situation matérielle que de l’état de la planète ou même de leur quartier. D’autant plus difficile que ce positionnement implique une révision quantitativement à la baisse de nos modes de vie. Nous sommes pourtant convaincus que cette approche associant étroitement enjeux sociaux et environnementaux s’imposera demain comme un impératif des nouveaux rapports économiques ici et ailleurs.
Pierre Titeux
CONCILIER JUSTICE SOCIALE ET ENVIRONNEMENTALE
Bien que tout gouvernement ait une large responsabilité politique en la matière, lorsqu’on parle de justice sociale et environnementale, on pense surtout à la responsabilité sociale des entreprises, car elles sont souvent les acteurs concernés en première ligne par cette question. Si, jusqu’à présent, au plan international, l’Union européenne reconnaît les atteintes que les entreprises peuvent porter aux droits humains (notamment ceux des travailleurs… !) et à l’environnement, les dispositions légales font encore souvent cruellement défaut pour pénaliser celles qui sont responsables de ces atteintes. Les récents accords bilatéraux sur les investissements ou les traités de libre commerce entre l’UE et certains pays d’Amérique Latine (Colombie et Pérou, entre autres) accentuent le phénomène d’accaparement des terres et les déplacements forcés de populations paysannes et indigènes. Il en va de même pour les Accords de partenariats économiques entre l’UE et l’Afrique. Les mines à ciel ouvert, les monocultures intensives destinées à l’exportation (notamment pour l’alimentation du bétail ou la production d’agro carburants) ont des répercussions irréversibles sur l’environnement et la biodiversité de zones souvent riches en ressources naturelles.
Et, en ce qui concerne l’agrobusiness, vu son haut niveau technologique, il génère peu d’emploi au plan local.
Au vu de cette situation, nombre d’ONG du Sud et du Nord demandent à leurs gouvernements de contraindre les firmes transnationales à publier un rapport social et environnemental rendant compte du respect des normes en leur sein et par leurs fournisseurs et sous-traitants. Elles demandent également de garantir l’existence de ces clauses, assorties de mécanismes contraignants de vérification, pour tout accord bilatéral d’investissement signé par les états membres et l’UE. Nous savons que bon nombre d’entreprises délocalisent vers des pays où la main d’œuvre est bon marché et les syndicats peu ou pas existants. Parfois, comme c’est le cas au Vietnam, par exemple, ce sont des entreprises extérieures qui font pression à la baisse sur les salaires et l’application des règlements de travail locaux en menaçant de se retirer du paysage économique national. Avec des conséquences désastreuses sur les conditions de travail et de vie des employés de ces entreprises. Les investissements privés se font souvent au mépris des souverainetés nationales en matière de lois sociales et environnementales et de la souveraineté alimentaire des États et des populations concernées, qu’elles soient urbaines ou rurales. Ces dernières se voient en effet privées de l’accès aux ressources naturelles et à la terre, censées satisfaire leurs besoins alimentaires de base. Ce sujet fait l’objet de différents articles du numéro hors-série de la revue Politique (Décembre 2011) publié par Solidarité Socialiste en collaboration avec l’agence de presse InfoSud.
Pascale Bodinaux