Les ONG face aux défis socio-environnementaux

Photo : KaYann - Fotolia.com

Com­ment les ONG qui agissent sur le ter­rain arti­culent-elles la dimen­sion envi­ron­ne­men­tale avec la ques­tion sociale ? Deux res­pon­sables au sein d’organisations, nous indiquent ici com­ment ils conci­lient ces défis majeurs. Parce que pour Pierre Titeux (Fédé­ra­tion Inter-Envi­ron­ne­ment Wal­lo­nie) ces deux thèmes et les enjeux qui les sous-tendent sont inti­me­ment liés et parce que, en sui­vant Pas­cale Bodi­naux (Soli­da­ri­té Socia­liste), une jus­tice sociale passe aus­si par le règle­ment de ques­tions liées à l’écologie.

DES ENJEUX IMBRIQUÉS, PAS OPPOSÉS

Long­temps, il fut de règle d’opposer pré­oc­cu­pa­tions envi­ron­ne­men­tales et reven­di­ca­tions sociales. Les défen­seurs de l’environnement étaient consi­dé­rés comme des (petits) bour­geois plus pré­oc­cu­pés par le sort de la rei­nette aux yeux rouges que par le bien-être de la classe ouvrière tan­dis que les syn­di­ca­listes et autres acteurs de la lutte sociale appa­rais­saient comme prêts à sacri­fier mère Nature sur l’autel d’un pro­duc­ti­visme syno­nyme de crois­sance et de pou­voir d’achat. Nous sommes – heu­reu­se­ment ! – aujourd’hui bien loin de cette vision cari­ca­tu­rale. Certes, le fos­sé sépa­rant jadis les enjeux sociaux et envi­ron­ne­men­taux n’est pas com­plè­te­ment com­blé, mais il est deve­nu évident que loin d’être oppo­sés, ceux-ci sont au contraire com­plé­men­taires et même étroi­te­ment imbriqués.

Pré­da­teurs de res­sources natu­relles et géné­ra­teurs de mul­tiples pol­lu­tions, nos modes de pro­duc­tion et de consom­ma­tion fon­dés sur le « tou­jours plus » méprisent éga­le­ment les condi­tions de tra­vail et de vie d’une main‑d’œuvre sou­vent consi­dé­rée comme une simple variable d’ajustement. Ain­si, les tra­vailleurs sont les pre­mières vic­times de pro­ces­sus indus­triels pol­luants. Ce fut le cas hier avec l’amiante ; ce l’est aujourd’hui avec le sablage des jean’s ou l’agriculture indus­trielle et son usage mas­sif d’intrants indus­triels hau­te­ment nocifs. Sur un autre plan, les popu­la­tions les moins favo­ri­sées se trouvent confi­nées dans des quar­tiers cumu­lant les nui­sances : tra­fic intense, bruit, pay­sage sac­ca­gé, air vicié, etc.

Amor­cée dès les années 60 avec des pen­seurs de l’écologie poli­tique tels André Gorz, cette approche d’un com­bat com­mun de l’environnement et du social face à l’économie trouve aujourd’hui un large écho à gauche de l’échiquier poli­tique. Elle colore les pro­grammes des par­tis et a don­né nais­sance à un nou­veau cou­rant : l’éco-socialisme.

Chez Inter-Envi­ron­ne­ment Wal­lo­nie, ce lien s’impose comme un axe cen­tral de nos ana­lyses et prises de posi­tion. Nous avons ain­si consa­cré pas moins de deux dos­siers à la ques­tion du modèle éco­no­mique actuel et de son alter­na­tive idéale. Ce tra­vail a ser­vi de base à des for­ma­tions des­ti­nées tant à nos 160 asso­cia­tions qu’à un public plus large. Nous avons éga­le­ment consa­cré notre « Uni­ver­si­té d’automne » 2010 à la « décrois­sance » et l’édition 2011 à la « tran­si­tion éco­no­mique ». Autant d’activités qui tra­duisent l’attention que nous por­tons à cette ques­tion fon­da­men­tale et par­ti­cipent de « l’agitation d’idées » que nous nous atta­chons à géné­rer en marge et en sou­tien à notre tra­vail d’analyse cri­tique et influence des poli­tiques publiques.

Cepen­dant, si la réflexion intel­lec­tuelle et le posi­tion­ne­ment idéo­lo­gique ont consi­dé­ra­ble­ment évo­lués, la dif­fu­sion d’un tel mes­sage au sein des publics prio­ri­tai­re­ment concer­nés reste com­plexe. Dif­fi­cile, en effet, de sen­si­bi­li­ser à ces ques­tions des indi­vi­dus logi­que­ment et légi­ti­me­ment plus sou­cieux de leur situa­tion maté­rielle que de l’état de la pla­nète ou même de leur quar­tier. D’autant plus dif­fi­cile que ce posi­tion­ne­ment implique une révi­sion quan­ti­ta­ti­ve­ment à la baisse de nos modes de vie. Nous sommes pour­tant convain­cus que cette approche asso­ciant étroi­te­ment enjeux sociaux et envi­ron­ne­men­taux s’imposera demain comme un impé­ra­tif des nou­veaux rap­ports éco­no­miques ici et ailleurs.

Pierre Titeux

CONCILIER JUSTICE SOCIALE ET ENVIRONNEMENTALE

Bien que tout gou­ver­ne­ment ait une large res­pon­sa­bi­li­té poli­tique en la matière, lorsqu’on parle de jus­tice sociale et envi­ron­ne­men­tale, on pense sur­tout à la res­pon­sa­bi­li­té sociale des entre­prises, car elles sont sou­vent les acteurs concer­nés en pre­mière ligne par cette ques­tion. Si, jusqu’à pré­sent, au plan inter­na­tio­nal, l’Union euro­péenne recon­naît les atteintes que les entre­prises peuvent por­ter aux droits humains (notam­ment ceux des tra­vailleurs… !) et à l’environnement, les dis­po­si­tions légales font encore sou­vent cruel­le­ment défaut pour péna­li­ser celles qui sont res­pon­sables de ces atteintes. Les récents accords bila­té­raux sur les inves­tis­se­ments ou les trai­tés de libre com­merce entre l’UE et cer­tains pays d’Amérique Latine (Colom­bie et Pérou, entre autres) accen­tuent le phé­no­mène d’accaparement des terres et les dépla­ce­ments for­cés de popu­la­tions pay­sannes et indi­gènes. Il en va de même pour les Accords de par­te­na­riats éco­no­miques entre l’UE et l’Afrique. Les mines à ciel ouvert, les mono­cul­tures inten­sives des­ti­nées à l’exportation (notam­ment pour l’alimentation du bétail ou la pro­duc­tion d’agro car­bu­rants) ont des réper­cus­sions irré­ver­sibles sur l’environnement et la bio­di­ver­si­té de zones sou­vent riches en res­sources naturelles.

Et, en ce qui concerne l’agrobusiness, vu son haut niveau tech­no­lo­gique, il génère peu d’emploi au plan local.

Au vu de cette situa­tion, nombre d’ONG du Sud et du Nord demandent à leurs gou­ver­ne­ments de contraindre les firmes trans­na­tio­nales à publier un rap­port social et envi­ron­ne­men­tal ren­dant compte du res­pect des normes en leur sein et par leurs four­nis­seurs et sous-trai­tants. Elles demandent éga­le­ment de garan­tir l’existence de ces clauses, assor­ties de méca­nismes contrai­gnants de véri­fi­ca­tion, pour tout accord bila­té­ral d’investissement signé par les états membres et l’UE. Nous savons que bon nombre d’entreprises délo­ca­lisent vers des pays où la main d’œuvre est bon mar­ché et les syn­di­cats peu ou pas exis­tants. Par­fois, comme c’est le cas au Viet­nam, par exemple, ce sont des entre­prises exté­rieures qui font pres­sion à la baisse sur les salaires et l’application des règle­ments de tra­vail locaux en mena­çant de se reti­rer du pay­sage éco­no­mique natio­nal. Avec des consé­quences désas­treuses sur les condi­tions de tra­vail et de vie des employés de ces entre­prises. Les inves­tis­se­ments pri­vés se font sou­vent au mépris des sou­ve­rai­ne­tés natio­nales en matière de lois sociales et envi­ron­ne­men­tales et de la sou­ve­rai­ne­té ali­men­taire des États et des popu­la­tions concer­nées, qu’elles soient urbaines ou rurales. Ces der­nières se voient en effet pri­vées de l’accès aux res­sources natu­relles et à la terre, cen­sées satis­faire leurs besoins ali­men­taires de base. Ce sujet fait l’objet de dif­fé­rents articles du numé­ro hors-série de la revue Poli­tique (Décembre 2011) publié par Soli­da­ri­té Socia­liste en col­la­bo­ra­tion avec l’agence de presse Info­Sud.

Pas­cale Bodinaux

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

code