Selon les médias mainstream, la formation d’extrême droite a repris du poil de la bête suite à un investissement de plus de 400.000 € pour la communication sur les réseaux sociaux numériques et en premier lieu Facebook. « Campagne voeren op social media loont : Vlaams Belang Facebook-kampioen » (« La campagne électorale sur les réseaux sociaux porte ses fruits : le champion sur Facebook est le Vlaams Belang ») titrait, juste avant la fermeture des bureaux de vote, sur son site le quotidien De Morgen. Pour d’autres observateurs du monde politique, le VB sera également considéré, dans la catégorie 2.0, comme le numéro un en matière de campagne électorale. Sur ce point aucun doute. Âgé de 41 ans, ce parti a su s’adapter aux nouveaux temps modernes et à la nouvelle ère de la communication de masse notamment par la volonté de son ex-président, Gerolf Annemans (60 ans) de placer à sa tête un président issu directement de la génération dite Y, Tom Van Grieken (32 ans). Bien vu, le nouveau boss du VB écrit, en 2018 dans son livre-manifeste : « La révolution d’Internet a changé radicalement le monde [en modifiant] « profondément notre façon de vivre, de travailler et de communiquer. Il en découle de passionnantes et nouvelles possibilités ».1
Une « agit-prop » sans cesse adaptée
Pour ne pas rester indéfiniment dans l’ombre des mastodontes de la scène électorale, les nouvelles formations, petites de taille au début, ont dû jouer des coudes pour se faire remarquer. L’appropriation et l’apprivoisement de chaque nouvel outil de communication ont été un challenge pour les formations politiques émergentes et pauvres en moyens de développement. Elles ont systématiquement innové dans leur propagande. Zvonimir Novak, professeur d’arts appliqués et spécialiste de la communication graphique en politique, relate dans un de ses ouvrages que « l’extrême droite s’est constituée [dès la fin du 19e siècle] en inventant de nouveaux outils de propagande, notamment sous la forme de petits papiers éphémères. Elle est à l’origine de la vignette politique et du papillon [les ancêtres de l’autocollants modernes] ».2
Les mouvements fascistes, nazis et nationalistes monarchistes de l’entre-deux-guerres, comme les révolutionnaires communistes, ont ensuite exploité, au service de leur agit-prop (agitation et propagande) respective, tous les avantages offerts par les moyens de diffusion massive nés durant la Révolution industrielle : des tracts aux affiches, et surtout les journaux, dont la fabrication est rendue possible par la professionnalisation de l’imprimerie. Le second média de masse après la presse écrite, la radio, sera lui aussi, plus tard, récupéré à des fins politiques par des « radios pirates ». Plus faible dans l’occupation de la bande FM que la gauche révolutionnaire anticapitaliste, une partie de l’extrême droite s’est accaparée d’un autre moyen de communication, plus discret, apparu au début des années 1980 : le médium interactif par numérisation d’information téléphonique, le Minitel. En Belgique, le Parti des forces nouvelles (PFN) proposait la « radio Forces Nouvelles ». Cette plate-forme audio n’avait cependant de radio que le nom. Il s’agissait d’une bande préenregistrée, sur un répondeur téléphonique automatique, de messages politiques. Pour l’entendre, il fallait composer un numéro de téléphone spécialement dédié à la « radio » de ce groupuscule.
La « fachospère » spamme et trolle
Depuis l’ouverture du web au grand public au milieu des années 1990, les « extrêmes » se sont accaparées de ce nouveau médium permettant une exposition de l’information de manière tous azimuts. Y compris pour faire de la télévision en créant des web-télé, comme « TV Libertés » diffusée à partir de la France depuis 2014, sous l’égide d’un ancien cadre frontiste.
L’accès au monde numérique est beaucoup plus aisé que le fut l’imprimerie ou la radio. La réalisation d’un périodique papier coûte en effet bien plus cher que l’informatisation de l’agit-prop. Un ordinateur, une connexion internet, la caméra d’un bon téléphone portable et quelques connaissances de base en informatique suffisent. Pour David Colon : « Les médias électroniques apparaissent donc aujourd’hui […] comme le terrain privilégié de l’action propagandiste ». Sur le net, la droite subversive va livrer bataille en formant ses militant·es à « spammer », en postant massivement des messages sur des espaces numériques réservés aux commentaires, et à « troller », en provoquant des polémiques sur les réseaux sociaux numériques3. Le groupe pionnier dans le domaine de la « guerre culturelle » sur la net a été celui des Identitaires. Fondé en 2002 sur les ruines d’un vieux groupuscule « nationaliste-révolutionnaire » français, il s’est bâti par le biais du net. Pour Zvonimir Novak : « [ces] militants identitaires se montrent ingénieux et innovants […] en développant entièrement leur mouvement à partir d’une galaxie informatique. […] Pour mener ce combat graphique, ils organisent des séminaires de formation destinés à instruire les militants sur les nouvelles techniques de communication ».4
Résumons : la nouvelle success-story de l’extrême droite s’arc-boute sur ses capacités d’exploiter toutes les offres du web en matière de communication politique. La « fachosphère » est une réalité. Cette dernière est même « l’un des secteurs les plus dynamiques de la Toile », constatent les journalistes français Dominique Albertini et David Doucet dans leur livre consacré à ce phénomène5. Le Front national français a été ainsi, en 1994, le premier parti politique à s’être doté d’un site internet digne de ce nom. La propagande 2.0 de la « fachosphère » est une réussite. Elle est proche du corpus du mouvement « futuriste », un courant littéraire et artistique européen qui se développa au sein du fascisme italien. Le futurisme se singularisait alors par son rejet des traditions graphiques antérieures et une exaltation pour la modernisation du monde, particulièrement pour le développement urbain, les machines industrielles et la vitesse des moyens de communication.
Tous les contestataires profitent de la Révolution 2.0
Les nombreux articles de la presse sur l’invasion du net pas l’extrême droite ne doivent cependant pas cacher l’arbre qui cache une réalité virtuelle bien plus nuancée. Dans celle-ci, des forces politiques d’autres horizons idéologiques sont également des pros. Si des groupuscules identitaires ou des partis nationalistes de droite se sont jetés dès son ouverture publique dans la sphère numérique, ils n’ont pas été les seuls. En Italie, le Movimento Cinque Stelle, certes en cartel avec La Lega (droite radicale populiste xénophobe) jusqu’il y a peu, mais issu de la mouvance libertaire, est la formation électorale 2.0 par excellence. Outre-Quiévrain, la France Insoumise n’est pas en reste. Cette force nouvelle incarnée par le député Jean-Luc Mélenchon s’est formée, pour devenir l’une des championnes de la politique dans l’univers numérique de l’autre côté de l’Atlantique auprès du courant socialiste conduit par Bernie Sanders. En Belgique, bien avant le VB, le PTB, situé lui à la gauche de la sphère politique, s’est illustré comme le leader principal de l’utilisation efficace des avantages offerts par le monde numérique.
L’entrisme dans la brèche permettant une massification de la communication politique ne date donc pas du 26 mai 2019, avec le retour du Vlaams Belang dans le peloton de tête électoral. Souvent maltraités dans les médias dominants, ce sont les contestataires du système politique dans leur ensemble qui savent comment bien profiter de tous les bénéficies du système numérique et de sa… révolution !
- Tom Van Grieken, L’avenir entre nos mains — révolte contre les élites, Editions Egmont, 2018, p. 217 et 219.
- Zvonimir Novak, « Tricolores. Une histoire visuelle de la droite et de l’extrême droite », L’échappée, Montreuil, 2011, p. 13.
- La Fachosphère. Comment l’extrême droite remporte la bataille du Net de Dominique Albertini et David Doucet, entretien avec Daniel Schneidermann, Flammarion, 2016, p. 11.
- Zvonimir Novak, Op. Cit. p. 169.
- « La Fachosphère… Op. Cit.
Manuel Abramowicz est coordinateur de RésistanceS, un web-journal d’investigation contre l’extrême droite depuis 1998.