Histoire de voir

Lola

Lola a 35 ans et vit à Bruxelles depuis tou­jours. Pen­dant ses études supé­rieures, elle tra­verse des phases dif­fi­ciles qui l’amènent à ren­con­trer divers ser­vices psy­chia­triques. Com­mence alors un par­cours ryth­mé par les hos­pi­ta­li­sa­tions, puis les hôpi­taux de jour, et enfin les habi­ta­tions pro­té­gées. Elle arri­ve­ra mal­gré tout à bou­cler ses études de com­mu­ni­ca­tion avec dis­tinc­tion, à bos­ser un peu, et à s’en sor­tir en sur­mon­tant les rechutes et en retrou­vant petit à petit une sta­bi­li­té et une autonomie.
Aujourd’hui sta­bi­li­sée, elle est sou­te­nue par un ser­vice psy­cho-social à domi­cile, des visites effec­tuées régu­liè­re­ment pour recréer du lien et aider à retis­ser un réseau. « Je crois qu’ils n’ont pas trop de tra­vail avec moi, ça va plu­tôt bien ! ». Son expé­rience lui per­met aujourd’hui de por­ter un regard cri­tique sur la notion de nor­ma­li­té (« parce qu’on a tous un peu des failles, des troubles par moment, par­fois très forts, on est tous plus ou moins équi­li­brés ») mais aus­si sur l’institution psy­chia­trique et la rela­tion de la socié­té à la mala­die men­tale. Et son repor­tage d’évoquer quelques étapes impor­tantes de son parcours.

1 / 12

C’est la terrasse de mon appartement. C’est mon petit coin de paradis. J’y plante des plantes aromatiques, c’est un contact avec la nature, je me sens étouffée sans cela. Après une hospitalisation, on m’a proposé de rentrer dans une HP, une habitation protégée. C’est une maison où vous avez votre chambre, il y a des communs, on vit avec d’autres patients. C’est supervisé par une équipe de psychologues, d’assistants sociaux, d’infirmières, d’éducateurs spécialisés etc. Je suis restée là presque 4 ans. A un moment, ça n’a plus été possible. C’est connu pour être un endroit assez dur. Et j’en ai eu marre aussi de rester dans ce domaine ‘’pathologique’’. Je leur ai dit que c’était trop dur. Et j’ai trouvé un studio un peu par hasard. Puis, je me suis installée ici avec mon compagnon.

2 / 12

Ce sont des images du "Chat" de Philippe Geluck dans le quartier de la Chasse. C’est un dessinateur assez connu, je le vois parfois venir visiter sa fille qui tient un Tea-room à Bruxelles. Mais je trouve qu’ils ont mis trop de photos sur ce pan de murs. Ça fait trop chargé, et les vannes sont un peu plates. C’est un peu triste de mettre ça là.
La Chasse n’est pas un quartier que j’apprécie particulièrement. Je trouve qu’il n’y a pas beaucoup d’harmonie dans cette commune. Et j’y ai de mauvais souvenirs. J’y ai habité autour de mes 25 ans. Et ça ne s’est pas très bien passé. C’est une période dure où j’ai rencontré des problèmes financiers et de santé mentale. Je trainais avec des gens qui n’étaient pas très sympas et consommaient pas mal de cannabis. Ils avaient tendance à me tirer vers le bas.

3 / 12

J’ai fait une décompensation psychotique en 2004, j’ai commencé à avoir des vols de la pensée, ma pensée volait… Je notais tout ce qu’on me disait, j’ai fait un burn-out dans le cadre de mes études. A 23 ans, je finissais par noter tout ce qu’on me disait comme si j’étais en cours. C’était assez horrible. Mais j’ai réussi avec distinction après ma décompensation psychotique. Et puis j’ai travaillé un peu, et puis j’ai rechuté.

4 / 12

Les institutions psychiatriques, c’est quand même un truc plutôt dur. Dans un centre de jour par exemple, les gens savent bien que vous avez des difficultés, des faiblesses ou de grosses failles, mais ils vous traitent comme un enfant, vous regardent un peu de travers. On sent la distance entre l’équipe soignante, les gens normaux et les gens malades. Ce n’est pas pour moi. J’ai fait deux ans de centre de jour. Ça créait de l’anxiété chez moi car je me sentais maltraitée, et pas très bien considérée.

5 / 12

Dans les centres de jour, il y a des gens qui ont des problèmes de comportements ou atteint de défaillances intellectuelles, c’est un peu dur à vivre des contextes comme ça. Ils ne s’adaptent pas à tous les publics qu’ils reçoivent, c’est tout le monde dans le même sac.

6 / 12

C’est tout le temps la même chose en psychiatrie : soit une promenade, soit de la peinture, soit de l’ergo, c’est un peu bêbête, c’est juste pour occuper les gens. Je trouve que faire autre chose que des promenades dans un parc ou d’aller voir un musée avec des gens malades ce serait mieux. Ce serait bien dans la mesure du possible, bien sûr s’ils ont les capacités, de faire avec eux des trucs comme ce projet photo, des ateliers plus créatifs, qui favorisent l’expression, des projets artistiques. Car c’est déjà leur donner le sentiment d’exister, d’être sur un pied d’égalité.

7 / 12

J’ai clairement fait un lien entre le fait d’aller moins bien et consommer du cannabis. Ça fait 4 ans que je ne touche plus au cannabis et je ne veux plus du tout car j’ai une fragilité chez moi et je sais que ça pourrait déclencher d’autres problèmes. Depuis que je ne consomme plus, je reste fragile émotionnellement mais sinon je suis assez stable. La clef, c’est limiter les consommations toxiques, c’est comme ça qu’on se rétablit.

8 / 12

« C’est le couloir de l’arrêt de métro Pétillon. Il y avait des tags « individuels » placés plic ploc. On a refait une fresque type « fier d’être à Bruxelles » que je trouve très belle, très réussie. Il y a une harmonie. Ça égaye l’entrée de cette station qui fait un peu peur la nuit, où on ne sait jamais sur qui on va tomber. Je passe souvent par là parce que mon médecin de famille qui me connait depuis 26 ans habite dans ce coin-là, ainsi qu’un ami que je connais depuis 10 ans. Ce sont deux personnes très importantes pour moi. »

9 / 12

Je fais des petits boulots. C’est pas encore dans le circuit classique, mais ça me redonne du moral, de l’espoir. Et puis, je suis en contact avec des gens qui ne sont pas en psychiatrie. C’est très important de voir la face normale des gens. Dans l’habitation protégée, c’était que des gens malades. Il y avait dans la maison des tentatives de suicides, de la consommation d’alcool, de drogues, des pétages de plombs… C’était un peu rude. Une ambiance disons… à la marge. A la fin, c’est vos problèmes plus les problèmes des autres : ça fait beaucoup.

10 / 12

Je pense que la psychiatrie est vraiment un monde parallèle à coté du monde du travail. Dès que vous ne pouvez pas intégrer le monde du travail, vous bifurquez vers des mondes parallèles, la psychiatrie notamment. Le monde du travail est un monde en soi, il prend une place importante dans la société, et donne aux gens un emploi du temps, une occupation qui rythme leur journée, une dynamique et un revenu. Et je pense que ceux qui n’ont pas de travail ou n’ont pas de revenu, en sont écartés. C’est un peu un cercle vicieux, car ils font des bêtises, et se retrouvent en psychiatrie, et peuvent de moins en moins travailler.

11 / 12

Les gens pour qui je travaille ne savent rien de mon parcours. Je préfère rester discrète. Car ça reste un tabou dans notre société les problèmes psychos. Les gens se disent ‘’c’est de sa faute’’, ils vous culpabilisent. Ils stigmatisent vite ceux qui ont des problèmes de santé mentale. Dès qu’on a une faille psycho, on est condamné, ça colle un peu à la peau. Les médicaments, la psychiatrie, ça fait peur. Et puis, on est un peu coupé des mondes classiques des gens ‘’équilibrés’’ qui n’ont pas connu ce parcours un peu boiteux. Ça enferme quelquefois dans une solitude. On sent une impression de rejet et de marginalisation qui peut faire mal.

12 / 12

C’est le piano de mon compagnon. Un acoustique, un piano électrique qui produit le même son qu’un piano à queue. Je n’ai pas pu en faire jeune. Le jour où on m’emmenait à l’académie pour l’inscription au solfège, quelqu’un nous est rentré dedans et je n’ai finalement jamais pu m’inscrire… Mais ça ne me manque pas même si c’est vraiment un instrument que j’aime beaucoup. Mon compagnon, que j’ai rencontré dans une habitation protégée, en joue très bien.