Mochélan du pays de Charleroi

Photo : Jean-François Rochez

Moché­lan est un artiste poly­morphe ori­gi­naire de Char­le­roi. Per­cu­té par le Hip Hop au milieu des années 90, il en essaie toutes les dis­ci­plines. Mais son corps pataud lui fera com­prendre qu’il n’est pas fait pour la danse, son manque de dex­té­ri­té l’éloigneront du DJing, et son absence de symé­trie lui vau­dra d’abandonner rapi­de­ment le graff. C’est donc vers l’écriture qu’il se tour­ne­ra, ce qui l’amène tout à la fois à la chan­son, au slam, au rap ou encore au théâtre.

Tu as débuté ton parcours par le slam, puis tu as glissé vers le rap, le hip hop. De quoi parlent tes textes en général ?

En fait, c’est le contraire. J’ai com­men­cé par le rap à la fin des années 90. Je suis res­té dans l’ombre pas mal d’années pour tra­vailler mes textes, mon inter­pré­ta­tion. J’estimais qu’il fal­lait avoir un cer­tain niveau pour se mon­trer. Pour moi, le hip hop repré­sente le tra­vail, l’effort. Par­tir de rien et évo­luer petit à petit. C’est avant tout un état d’esprit, je pour­rais même dire une phi­lo­so­phie de vie. Mais je déplore l’image actuelle de ce mou­ve­ment. J’ai donc une cer­taine ten­dance à m’écarter de cette image. Le hip hop, je le vois comme une démarche très per­son­nelle, inté­rieure. Limite spi­ri­tuelle. Comme dirait mon pote Alexis (Pha­zy Phaz) : « Fais ce que tu as à faire fils ! »

Mon écri­ture est avant tout auto­ma­tique. C’est une manière d’extérioriser sai­ne­ment un res­sen­ti. J’ai donc un aspect très intros­pec­tif dans mon écri­ture. J’ai, très jeune, res­sen­ti le besoin de par­ler de la manière dont je per­çois l’environnement qui m’entoure. J’ai d’abord beau­coup écrit sur la cohé­sion de groupe, sur les rela­tions entre les gens, l’amitié, la ran­cune, l’hypocrisie, les affinités…

Si j’ai atter­ri sur la scène slam, c’est parce que je n’avais pas de connais­sance dans le monde musi­cal. Je ne connais­sais per­sonne qui fai­sait de musique. Une fois ma sco­la­ri­té ter­mi­née, je n’avais plus de public (rire). L’appel de la scène s’est donc fait sen­tir et j’ai décou­vert les « slam ses­sions » orga­ni­sées par l’asbl Lezarts Urbains.

Tu chantes par-dessus tout ta région, ta ville, ton « Poumon noir ». Peux-tu nous expliquer d’où vient cet amour passionnel ?

En fait, mon pre­mier street-album « offi­ciel » (« Au cha­pitre pléo­nasme ») parle de Char­le­roi, du hip hop et de la socié­té dans laquelle ils évo­luent. C’est avant tout né d’un ras le bol de voir et d’entendre la manière dont on parle de Char­le­roi dans les médias. Je ne dis pas que tout y est tou­jours rose, mais ne pré­sen­ter que le coté néga­tif, c’est faux aussi.

C’est la ville où je suis né, où mes parents et grands parents sont nés, et ce ne sont pas de dan­ge­reux bra­queurs. Ce que je veux dire c’est que l’endroit où l’on gran­dit, et évo­lue, par­ti­cipe à la construc­tion de la per­son­na­li­té. Je suis fier des parents que j’ai et de l’éducation qu’ils m’ont don­née. Je suis content d’être comme je suis. Je suis donc très fier du rôle que Char­le­roi a joué dans la construc­tion de ma personne.

Tu es un artiste multimédia, comment fais-tu pour mettre en musique ces différentes disciplines artistiques ? Occuper le terrain musical aujourd’hui passe obligatoirement par une approche multimédia ?

Je ne pense pas que se soit propre à l’univers musi­cal. J’ai un pro­jet, un mes­sage, et les dif­fé­rents médias sont des sup­ports qui aident à faire pas­ser un même message.

Il ne s’agit donc pas d’un pro­jet mar­ke­ting où on se dit : tiens il faut un clip, un visuel pour se faire connaître, un site inter­net racoleur…

L’idée est d’exploiter toutes les facettes qui sont à notre dis­po­si­tion pour faire pas­ser ce mes­sage et de les faire évo­luer en parallèle.

Comment considères-tu aujourd’hui les politiques culturelles en communauté française et les aides qu’elles apportent en matière, de diffusion, de production, de promotion ?

J’ai un regard assez néga­tif sur cette poli­tique. Et pas seule­ment en ce qui me concerne (puisque ça se passe plu­tôt pas mal pour moi en ce moment) mais de manière géné­rale, dans le pay­sage artis­tique de la Com­mu­nau­té française.

J’ai vrai­ment le sen­ti­ment que pour être sou­te­nu, un artiste de la Com­mu­nau­té fran­çaise doit d’a­bord faire ses preuves à l’é­tran­ger, dans la plu­part des cas en France.

Com­bien de fois n’ais-je pas vu de soi­rées, ou des évé­ne­ments, où les trois quarts du bud­get sont réser­vés à la tête d’af­fiche, « star inter­na­tio­nale », et le reste aux dif­fé­rents artistes belges qui assurent la pre­mière par­tie !? Est-ce un manque de confiance ou la peur de ne pas ren­ta­bi­li­ser ? Je ne sais pas. Mais un fait cer­tain est que très peu d’é­vé­ne­ments, de grandes enver­gures, misent uni­que­ment sur des artistes belges.

Dans les médias, n’en par­lons pas. Aucune place n’est réser­vée aux artistes belges sur les heures de grandes écoutes des chaînes ou sta­tions natio­nales. D’autre part, com­bien de centres cultu­rels se prennent pour des salles de concert pri­vé ? J’ai l’im­pres­sion que les artistes belges, en Bel­gique, sont consi­dé­rés comme des débu­tants qui bal­bu­tient. Pour jouer dans un Centre cultu­rel, il faut, dans la plu­part des cas, assu­rer la pre­mière par­tie d’un artiste étranger.

Vois-tu des changements importants à faire dans cette politique culturel ?

En matière de pro­mo­tion, la Com­mu­nau­té fran­çaise ne prend aucun risque, elle sou­tient des artistes qui marchent déjà. Elle fonc­tionne comme une entre­prise pri­vée. Je trouve cela dom­mage. Mais bon, j’i­ma­gine bien que tout cela est très com­pli­qué, je ne suis pas en train de cra­cher bête­ment mon venin mais si ça ne tenait qu’à moi, j’or­ga­ni­se­rais les choses autre­ment. Notam­ment à la RTBF, qui est un ser­vice public belge avec trois mis­sions (dans l’ordre) : édu­quer, infor­mer, diver­tir. Et qui essaye de riva­li­ser avec RTL, chaîne pri­vée, appar­te­nant à un grand groupe européen.

La poli­tique cultu­relle de la Com­mu­nau­té fran­çaise est à l’i­mage de la RTBF, pour moi, elle se trompe de che­val de bataille, elle s’é­par­pille et fait les choses à moi­tié. Je crois qu’il n’est même pas ques­tion de choix, à savoir : miser sur l’in­ter­na­tio­nal ou sur le local. Ce choix ils ne l’ont pas fait mais ils font comme si, et pour moi c’est là qu’ils se trompent. Qu’ils arrêtent de faire sem­blant de pou­voir orga­ni­ser des évé­ne­ments qui néces­sitent des bud­gets qu’ils n’ont pas. Qu’ils s’as­sument, qu’ils voient les choses à notre échelle avec plus de place pour nos artistes.

Tu enchaînes concert sur concert, ton second album est sorti en septembre, tu passes sur les antennes de la RTBF, tu as remporté le 1er prix du concours « L’Envol des Cités », ton rêve prend une réelle ampleur. Cela ne te fait-il pas peur de sortir petit à petit de l’anonymat ?

Peur ? Non ! Au contraire. Je suis très content de tout ce qui arrive mais si ça marche, je ne suis qu’une jambe, ou plu­tôt une rotule. Les autres membres du col­lec­tif forment l’ensemble de la jambe et l’autre jambe, c’est Lézarts Urbains et Fabrice Laurent (PAC Char­le­roi) ain­si que tout les membres du monde cultu­rel qui nous aident.

Bio express :

C’est en 2001 que Mochélan fonde le collectif Poumon Noir qui fera parler de lui à Charleroi et au-delà. En 2007, Mochélan se fait remarquer sur plusieurs scènes slam importantes où il rafle quelques prix et l’attention des professionnels pour sa présence scénique, le caractère viscéral, sensible et corrosif de ses textes, l’aspect à la fois ciselé, populaire et direct de son écriture. Son premier street album « Au chapitre pléonasme » sort en 2008. Avec Julien, guitariste, Mochélan s’essaye au slam en musique acoustique. En 2010, ils sont rejoints par Ceed (contrebasse) et Alix (percussion) avec qui ils préparent l'album « Mon corps t’exprime ». En mai 2010, Mochélan remporte le concours L'envol des cités avec son titre « Notre Ville » au terme d'une tournée de 7 concerts. Son dernier clip "Mon corps t'exprime" est à visionner ici.

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