Entretien avec Christian Kesteloot

Nationalisme flamand : un mouvement anti-urbain

Photo : CC BY 2.0 par Skender

Chris­tian Kes­te­loot est géo­graphe, char­gé de cours à l’U.L.B. et à la K.U.L. Au début des années 90, il a fait par­tie du « Groupe de la Mort-subite », groupe de réflexions de géo­gra­phie humaine. Ils ont por­tés leurs études sur les frac­tion­ne­ments sociaux de l’espace belge et ont réa­li­sé de mul­tiples géo­gra­phies sociales de la socié­té belge publiées dans « Contra­dic­tions », la revue du groupe. Nous avons recueilli son sen­ti­ment sur la mon­tée du natio­na­lisme fla­mand. Entretien.

Que pensez-vous du nationalisme flamand qui ne cesse de monter dans l’opinion publique ? Pensez-vous que les Flamands soient plus nationalistes que les Wallons ?

Oui, je le crois. C’est une his­toire com­pli­quée à expli­quer. À mon sens, un des points essen­tiels pour com­prendre ce qui se passe dans ce natio­na­lisme fla­mand est de se rendre compte qu’il est pure­ment lié à son pas­sé. En effet, il y a une forte volon­té d’émancipation qui a com­men­cé au 19e siècle et qui abou­tit seule­ment main­te­nant, mais entre-temps elle a per­du le sens de son objet, car aujourd’hui les Fla­mands sont plus riches que les Wal­lons. Ils pour­raient très bien fonc­tion­ner seuls en étant la par­tie domi­nante dans les struc­tures belges.

Mais para­doxa­le­ment, ces struc­tures belges, ils ont appris à les détes­ter, du moins ceux qui sont pro­fon­dé­ment impli­qués dans ce mou­ve­ment cultu­rel fla­mand. Pour eux, dans les années 60 et 70, l’État belge devient le sym­bole de la fran­ci­sa­tion du pays, et Bruxelles-capi­tale une machine à fran­ci­ser ses habi­tants. Cela pousse encore plus l’âme fla­mande et ses régions à défendre l’originalité culturelle.

Aujourd’hui, la Flandre vou­drait prendre son indé­pen­dance. L’indépendance en vue de deve­nir une région à part entière où la vie serait meilleure qu’aujourd’hui me paraît illu­soire ! Ils sou­haitent ne plus dépendre de l’État belge, ne plus devoir payer des impôts à un État fédé­ral dont ils estiment ne pas avoir besoin. Les Fla­mands sont très anti-État fédé­ral, anti-grandes villes. Ils ont dis­per­sé les ouvriers dans les cam­pagnes, les ont volon­tai­re­ment éloi­gnés des villes, des lieux de tous les pro­blèmes, de tous les dan­gers, de toutes les diver­si­tés. Diver­si­tés qui repré­sentent pour eux des menaces pour la pure­té cultu­relle fla­mande. Tout cela se com­bine. Il se fait que face à cette glo­ba­li­sa­tion, la ter­ri­to­ria­li­sa­tion, le repli iden­ti­taire semble une solu­tion. À l’inverse, jus­te­ment, cette glo­ba­li­sa­tion demande l’ouverture des ter­ri­toires et des poli­tiques capables de tra­vailler à des éche­lons dif­fé­rents. Il faut à la fois com­bi­ner des poli­tiques locales, des poli­tiques urbaines car les villes aujourd’hui repré­sentent davan­tage le moteur éco­no­mique que les régions. Que ce soient nos Régions et nos Com­mu­nau­tés, l’État fédé­ral et l’Europe, si on par­vient à faire des poli­tiques cohé­rentes, nous avons suf­fi­sam­ment de leviers en mains pour faire face à cette glo­ba­li­sa­tion. Par contre, si on ne le fait pas, nous entrons tout sim­ple­ment dans le jeu de la concur­rence entre régions, entre villes, entre pays qui est jus­te­ment la prin­ci­pale cause des grands pro­blèmes éco­no­miques actuels.

Le pro­blème actuel de la Flandre est qu’elle reste trop tour­née vers le pas­sé au lieu de regar­der vers le futur. En regar­dant trop dans le rétro­vi­seur, elle s’imagine que les solu­tions adop­tées par le pas­sé sont éga­le­ment valables et un modèle à suivre pour le futur. La Flandre se trompe lourdement.

Finalement Bart De Wever est dans une logique qu’on pourrait comprendre par rapport au passé de la Flandre ?

Oui, Bart De Wever est un poli­ti­cien intel­li­gent mais il n’est pas que l’émanation de lui-même. Il est l’émanation de l’aile droite de tout ce mou­ve­ment fla­mand. Et l’aile droite a tou­jours été plus puis­sante que l’aile gauche dans ce mouvement.

Bart De Wever signera-t-il la fin de la Belgique, le peuple flamand lui donnera-t-il raison ?

Je ne suis pas cer­tain que l’ensemble des son­dages et des enquêtes démontrent encore aujourd’hui avec autant d’assurance qu’une majo­ri­té de Fla­mands est prête à l’éclatement de la Bel­gique et à for­mer un État fla­mand sépa­ré. Mais l’ensemble des grands pro­ces­sus poli­tiques des 50 der­nières années est, tel un divorce, un pro­ces­sus lent qui se met en route. Il ne faut quand même pas se leur­rer non plus. Lorsqu’on exa­mine l’histoire récente élec­to­rale en Flandre. On constate qu’au départ on par­tait d’une stra­té­gie de lutte des classes qui était essen­tiel­le­ment anti-urbaine et catho­lique avec des bas­tions soit libé­raux soit socia­listes dans les villes, ou par­fois dans des can­tons plus ou moins ruraux comme les sucre­ries à Tir­le­mont, un bas­tion libé­ral. Mais glo­ba­le­ment, on avait un pay­sage catho­lique qui len­te­ment avec l’ascension sociale de la Flandre, après la Seconde Guerre a consti­tué la classe moyenne. Et cette classe moyenne sub­ur­baine ou vivant dans de petites villes (pas dans les centres des grandes villes, ils sont des­ti­nés aux immi­grés) est très habile en termes de com­por­te­ments élec­to­raux. Ils vote­ront tou­jours au centre, plu­tôt centre-droit, mais pour des rai­sons dont on ne per­çoit pas vrai­ment la logique his­to­rique pro­fonde mais de manière plu­tôt aléa­toire. La vic­toire de la N‑VA je ne crois pas que ce soit (et d’ailleurs c’est tel­le­ment rapide l’ascension de ce par­ti) un mou­ve­ment à long terme mais sim­ple­ment un tour de rôle. C’est un tour de rôle dans la prise de pou­voir, d’un pou­voir où l’électeur fait son shop­ping élec­to­ral et vote pour celui qui lui semble le plus sym­pa­thique, fina­le­ment celui qui don­ne­ra une vic­toire. On aime voter pour celui qui sor­ti­ra vic­to­rieux des élec­tions, c’est un peu une stra­té­gie de frus­trés. Celle du nou­veau riche Fla­mand frus­tré d’avoir été pauvre éco­no­mi­que­ment et lin­guis­ti­que­ment auparavant.

Il y a une facette de tout ce mou­ve­ment fla­mand dans sa pré­sence actuelle qui fait par­tie du néo­li­bé­ra­lisme. Ce n’est pas pour rien que Bart De Wever est libé­ral, il est une espèce de chef en même temps, une espèce de che­val de Troie ame­né à détruire l’État pro­vi­dence, et à ne sur­tout pas en remettre un nou­veau et meilleur à la place.

Bart De Wever a été élu Bourgmestre de la plus grande ville de Flandre, Anvers, pourtant, selon vous, le mouvement nationaliste flamand est un mouvement anti-urbain ?

Ce natio­na­lisme fla­mand quand on en fait la car­to­gra­phie de façon un peu plus pré­cise telle qu’elle est por­tée aujourd’hui par la N‑VA est effec­ti­ve­ment issu d’une classe moyenne péri­ur­baine et donc très anti-urbaine. Et c’est exac­te­ment cela qui se joue à Anvers et qui va per­co­ler pour l’ensemble des villes, des villes sans trop de déve­lop­pe­ment, de moteur éco­no­mique. Ce ne sont ni des régions, ni des nations, ce sont des villes et la mise en réseau avec l’économie glo­bale, c’est cela qui compte aujourd’hui. De par leur point de vue péri­ur­bain et donc très anti-urbain, dans le sens anti-diver­si­té, anti-immi­gra­tion, anti-créa­ti­vi­té cultu­relle, c’est la culture du Reader’s digest qu’on lit dans les lotis­se­ments. Tout le monde repro­duit le même sché­ma avec sa même mai­son, sa même voi­ture devant le garage, on lit la même chose. C’est la péri­ur­ba­ni­té, c’est de l’anti-urbain. C’est à par­tir de cette pers­pec­tive-là que la Flandre va créer sa poli­tique urbaine et dans le clan d’Anvers va essayer de diri­ger cette petite métro­pole inter­na­tio­nale qui fina­le­ment est la seule à pou­voir être com­pa­rée à Bruxelles. Anvers a son port, sinon en termes de posi­tion stra­té­gique dans l’économie glo­ba­li­sée, cela repré­sente deux fois rien. Au final, Anvers sera une ville diri­gée par des gens qui ne l’aiment pas, qui l’utilisent mais qui ne veulent pas y habi­ter. Par des gens qui ont peur et se rebiffent contre ce qui est pro­fon­dé­ment urbain à savoir : l’immigration, les cultures, les diver­si­tés, l’ouverture sur le monde entier, la glo­ba­li­sa­tion et toutes les dyna­miques urbaines. C’est là une pers­pec­tive de chan­ge­ment, il fau­dra pou­voir y faire face. Tout chan­ge­ment a quelque chose d’inquiétant car il repré­sente l’incertitude. Je crois que les résis­tances sont plus grandes chez cer­tains jeunes que chez les gens dans « la fleur de l’âge ». Ce serait inté­res­sant de voir quelles sont, à la fois les dif­fé­ren­tia­tions sociales, géo­gra­phiques et aus­si les moti­va­tions des jeunes pour épou­ser ce natio­na­lisme fla­mand ou épou­ser au contraire cette thèse de la glo­ba­li­sa­tion du par­tage du pou­voir poli­tique à dif­fé­rents niveaux.

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