Avec son safari urbain, l’artiste met en scène un Charleroi alternatif et décomplexé. Retour sur une blague d’étudiant devenue un incontournable de la hype à la carolo…
Les chantiers tant attendus ont démarré à Charleroi. Une partie de la ville est sens dessus dessous. Et déjà certains s’offusquent, oubliant que quinze années de décrépitude urbaine n’auront laissé à la cité que des souvenirs en ruine.
Mais le futur de Charleroi est ailleurs. Il est là, dans ce microcosme culturel qui a survécu aux naufrages successifs de la cité, industriel, social ou politique ; et où de nouveaux acteurs sont apparus. La ville et son architecture de science-fiction stimulent artistes, urbanistes et créateurs comme jamais auparavant. Les idées nouvelles s’entrechoquent dans la métropole qui, peu à peu, s’incarne comme la Mecque des arts urbains. Au sens large, à travers des modes d’expression fondamentalement enracinés dans cette terre de labeur.
Nicolas Buissart, 33 ans, est à la fois le plus décrié et le plus courtisé de ces artistes. Ce banlieusard (Gerpinnes) qui débuta comme artisan boucher, a troqué son tablier blanc pour un survêt d’artiste contemporain. Après des études de design à Saint-Luc (Tournai) puis à Anvers (« le design ce n’est pas de l’art mais c’est une façon de rendre joli le quotidien ») celui qui prétend toujours « jouer à l’artiste », a créé le safari urbain qui focalise l’attention des médias étrangers sur Charleroi depuis quelques années. Et si le regard de ceux-ci reste condescendant ou stéréotypé, l’expérience s’est avérée suffisamment intrigante que pour y attirer aujourd’hui des dizaines de personnes tous les mois, venues des quatre coins d’Europe, à la découverte non balisée de la ville noire.
Le safari urbain se calque sur le principe de la dérive, chère aux situationnistes, sauf qu’ici c’est le guide qui décide du hasard. Buissart conduit les baladeurs dans les derniers retranchements du hors-piste, totalement hors-ville, dans l’envers du décor : friches industrielles, no man’s land, terrils, terrains vagues… Traces d’un certain déclin ou d’une fulgurante renaissance (arrêt obligé au Rockerill).
La Charleroi Adventure cacherait-elle un message particulier, une revendication ? « Dans un premier temps, je surfais sur les on-dit. J’étais dans la dénonciation mais c’était juste pour me montrer… Aujourd’hui je suis plus dans la compréhension, je m’amuse à dire que je suis une espèce de sociologue amateur, voire un archéologue. J’ai toujours veillé à ne pas en faire trop, à rester suffisamment enthousiaste pour les gens. »
Et le geste artistique là-dedans ? Le safari comme une forme d’art urbain à part entière ? « Plus ou moins. Je fais des trucs qui ne coûtent pas chers en tout cas. Je ne fais pas de l’art pour faire de l’art, je fais de l’art pour m’occuper, pour me soigner ou pour faire des blagues. Jouer à l’artiste ça m’a permis de m’extérioriser. (…) Je demande juste à être heureux et j’ai des souhaits assez basiques. Le safari ça me permet de faire beaucoup de marche à pied, c’est un hobby qui ne me coûte pas cher et qui me rapporte une dringuelle. Je suis vraiment dans une démarche… comment dire ? slow, radin-malin. Les gens me demandent comment je gagne m’a vie mais la vraie question c’est : comment je ne la dépense pas ? »