Nouvelles guerres : propres ou barbares ?

Loin des guerres mon­diales meur­trières, bou­che­ries et autres bour­biers, la guerre semble s’être rache­té une légi­ti­mi­té. Les « opé­ra­tions mili­taires » et de « main­tien de la paix » se jus­ti­fient aujourd’hui par le droit inter­na­tio­nal et sur­tout, par la tech­no­lo­gie.

Les dis­cours sur la guerre ont réus­si à relé­gi­ti­mer le recours à la guerre sur un conti­nent trau­ma­ti­sé par deux guerres mon­diales. Ne fai­sant qua­si­ment plus appel au patrio­tisme, une guerre n’est à pré­sent légi­time et juste que si elle s’opère dans le but de faire res­pec­ter le « droit inter­na­tio­nal » (même si, celui-ci est à géo­mé­trie variable et dépend bien sou­vent des res­sources éner­gé­tiques pré­sentes dans le pays cible de l’intervention…). Elle s’effectue ain­si dans le cadre de qua­si-opé­ra­tions de police de la fameuse « com­mu­nau­té inter­na­tio­nale » afin d’imposer ce droit et de secou­rir des popu­la­tions jugées mena­cées. Mais c’est sur­tout l’idéologie de la « guerre propre » qui lui a redon­né du crédit.

La guerre propre

L’idéologie de la « guerre propre » appa­rait lors de la guerre des Malouines en 1982. Une ima­ge­rie se consti­tue à cette occa­sion en oppo­si­tion totale à celle de la guerre-bou­che­rie. Elle ins­ti­tue une guerre de type « fire and for­get » (« Tire et oublie »), celle où les mis­siles à vol auto­nomes atteignent leur cible pen­dant que la per­sonne qui en a déclen­ché le tir s’attelle déjà à d’autres tâches. « C’est exac­te­ment l’image de la guerre comme inter­ven­tion chi­rur­gi­cale que les nou­veaux guer­riers psy­cho­lo­giques ont dif­fu­sée à tra­vers les images d’ordinateur du pilote qui tue de très loin sans voir son enne­mi et sans être vu. Le mythe de la guerre asep­ti­sée et entre pro­fes­sion­nels » la qua­li­fie­ra Armand Mat­te­lart. C’est pré­ci­sé­ment cette mise à dis­tance qui devient peu à peu la nou­velle norme mar­tiale et l’une des carac­té­ris­tiques de la « pro­pre­té » de cette guerre. On se met à rêver d’une guerre sans morts… sur­tout dans notre camp. L’autre trait de ce nou­veau type de guerre, c’est la mise en avant forte de sa haute tech­ni­ci­té. On s’émerveille devant la pré­ci­sion et l’efficacité des machines à détruire. On le remar­que­ra à l’occasion des deux guerres du Golfe, les médias en per­dront leur sens cri­tique. Ils adoptent peu à peu le lan­gage de l’armée à l’instar des « frappes chi­rur­gi­cales » qui enva­hissent les JT et rem­placent avec un terme évo­quant les soins celui plus expli­cite de « bombardement ».

La guerre deve­nue « asy­mé­trique » fera dire au phi­lo­sophe amé­ri­cain Michael Wal­zer que « lorsque le monde se trouve irré­mé­dia­ble­ment divi­sé entre ceux qui lancent les bombes et ceux qui les reçoivent, la situa­tion devient mora­le­ment pro­blé­ma­tique ». Les pays riches dis­posent aujourd’hui de cette supé­rio­ri­té tech­no­lo­gique qui per­met de cau­ser chez leurs adver­saires des pertes mas­sives sans ris­quer la vie de leurs propres sol­dats. Et per­met de dési­gner toutes les guerres non menées par l’Occident comme « sales » et barbares.

La terreur venue du ciel : le drone

Comme le déve­loppe le phi­lo­sophe Gré­goire Cha­mayou dans « Théo­rie du Drone », l’instrument de la guerre asy­mé­trique et « propre » contem­po­raine par excel­lence, c’est le drone. Machine de guerre volante et télé­gui­dée par un opé­ra­teur situé en milieu pro­té­gé, loin du champ de bataille, il auto­rise une mise à dis­tance maxi­male des com­bat­tants. Ain­si, les drones opé­rant en Afgha­nis­tan ou au Pakis­tan sont pilo­tés depuis les États-Unis, à plu­sieurs mil­liers de kilo­mètres de là.

Ce puis­sant dis­po­si­tif, bar­dé de camé­ras et de mis­siles anti­char, per­met une sur­veillance de tous les ins­tants ain­si que la réa­li­sa­tion « d’assassinats ciblés », der­nier ava­tar de la « guerre chi­rur­gi­cale ». On conti­nue de mou­rir donc, mais seule­ment d’un côté… celui du sup­po­sé « ter­ro­riste » qui ne mérite aucune forme de pro­cès ni aucune pos­si­bi­li­té de se défendre pen­dant ces « com­bats » qui s’apparentent alors à du tir aux pigeons. Le drone enté­rine le pas­sage de la guerre à une véri­table chasse à l’homme. Sans comp­ter les « dom­mages col­la­té­raux », des indi­vi­dus qui se trou­vaient au mau­vais endroit au mau­vais moment, tués car déro­geant aux normes et algo­rithmes de la CIA qui déter­mine qui doit mou­rir ou non. Tout un dis­cours mar­ke­ting éla­bo­ré par l’armée vante même cette arme qui fait qui fait régner la ter­reur au sol depuis le ciel comme étant plus « éthique » car plus précise !

Une autre consé­quence de l’équipement crois­sant des armées occi­den­tales en drones, c’est… la guerre. Pour­quoi en effet don­ner ses chances à la diplo­ma­tie si le « prix de la guerre » en vies humaines est si faible ? Nos gou­ver­ne­ments hési­te­ront ain­si de moins en moins à par­tir en guerre. Et le recours à la vio­lence armée risque fort de deve­nir une option par défaut de notre poli­tique étran­gère et menace d’instaurer un véri­table « mili­ta­risme démocratique ».

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