Olga Zrihen

« Combattre les Néron pour éviter les incendies »

Photo : Hélène Fraigneux

Olga Zri­hen, Séna­trice et Dépu­tée wal­lonne (PS), est une femme enga­gée et pas­sion­née qui se bat sur de nom­breux fronts, de la lutte contre la pau­vre­té au pro­jet de redé­ploie­ment indus­triel de sa région, avec une forte convic­tion euro­péenne et inter­na­tio­nale. Ren­contre avec une grande dame de la gauche belge.

Quelles sont les valeurs qui t’ont motivé à devenir ce que tu es aujourd’hui une éminente représente du peuple à la fois à la Région wallonne, à la Communauté française et même au Sénat ?

On ne choi­sit pas de deve­nir par­le­men­taire. Cela n’a pas été mon choix volon­taire parce que mon enga­ge­ment était plus un enga­ge­ment dans la socié­té civile. J’ai com­men­cé un enga­ge­ment poli­tique très jeune en France. J’ai eu la chance de vivre Mai 68 en direct et aus­si d’être dans les habi­ta­tions à loyer modé­ré, les fameuses cités HLM. Et là, la réa­li­té vous amène tout de suite à voir les injus­tices sociales et sur­tout à décou­vrir qu’il y a une dif­fé­rence de classes sociales.

La ques­tion qui se pose quand on est plus jeune, c’est d’essayer de com­prendre quels sont les méca­nismes qui en favo­risent cer­tains et qui en défa­vo­risent d’autres.

La pre­mière chose que j’ai vécue c’est le mépris au niveau sco­laire sur le plan de l’habillement, du maté­riel sco­laire. Et aus­si par­fois les com­por­te­ments dis­cri­mi­nants que les ins­ti­tu­teurs et le monde édu­ca­tif peuvent avoir à votre égard selon votre ori­gine sociale.

Par contre, la chance que j’ai eue c’est d’être tom­bée évi­dem­ment sur ce que j’appelle les grands com­mis de l’Etat, les hus­sards de la répu­blique : ces ins­ti­tu­teurs magni­fiques qui s’étaient don­nés comme mis­sion de faire en sorte qu’il y ait une éga­li­té dans l’appropriation du savoir pour les enfants d’où qu’ils viennent. C’est une chance d’être tom­bée sur une ins­ti­tu­trice magni­fique qui avait sen­ti peut-être les poten­tia­li­tés que j’avais et qui les a vrai­ment valo­ri­sées. D’avoir ren­con­tré au niveau du lycée par miracle, une secré­taire qui avait déci­dé de repé­rer les jeunes qui étaient poten­tiel­le­ment très doués mais elle avait pris conscience que les familles ne pou­vaient pas répondre aux exi­gences admi­nis­tra­tives. Et cette per­sonne a rem­pli tous nos docu­ments pen­dant des années ce qui nous a per­mis à tous, parce nous nous sommes par­fois revus, d’avoir des bourses uni­ver­si­taires et de pou­voir pour­suivre des études.

Tu as évoqué Mai 68. Est-ce qu’il y a d’autres événements fondateurs de ton engagement ? La guerre du Vietnam, l’accession au pouvoir de François Mitterrand en 1981 ?

Parce que je suis femme, je pense qu’il y a des évé­ne­ments extrê­me­ment impor­tants qui ont mar­qué ma vie de jeune fille. C’est le rap­port à l’interruption volon­taire de gros­sesse. Je rap­pelle qu’avant les années 60, toute jeune femme qui était enceinte était tota­le­ment ostra­ci­sée. Cela posait un pro­blème dra­ma­tique parce qu’il n’y avait pas de struc­tures pour pou­voir le résoudre. Les femmes et même les jeunes filles se retrou­vaient sou­vent dans l’obligation de trou­ver des solu­tions alter­na­tives qui étaient des solu­tions ter­ribles, que ce soit l’usage d’aiguilles à tri­co­ter que j’ai vu en direct près de moi, ou des gens qui se jetaient dans les esca­liers ou toutes les potions soi-disant magiques, ou encore les avor­te­ments dans les cui­sines. C’est du vécu et on com­prend très vite quand on est une jeune fille ou femme qu’il y a là quelque chose qui ne va pas parce qu’on n’a aucun contrôle sur son corps. Le tra­vail sur la liber­té des moyens contra­cep­tifs était vrai­ment deve­nu pour moi un enjeu majeur.

Le deuxième enjeu est évi­dem­ment la dis­cri­mi­na­tion entre les gar­çons et les filles. C’est plus cultu­rel de sen­tir de manière très immé­diate, que l’on soit un gar­çon ou une fille, qu’on n’était pas trai­té de la même manière. Exi­gence totale de sou­mis­sion pour les filles et liber­té totale pour les gar­çons. C’était inadmissible.

Mai 68, on ne peut pas l’imaginer si on n’a pas vécu ces évè­ne­ments de l’intérieur. Être dans un uni­vers où il faut être habillé dans cer­taines normes, accep­ter le savoir, où il n’y a aucune contes­ta­tion pos­sible, où règne un pou­voir total du monde ensei­gnant sur les élèves et puis décou­vrir sou­dai­ne­ment que l’on avait une parole, qu’on savait dis­cu­ter, qu’on pou­vait par­ler et sur­tout qu’on pou­vait reven­di­quer des modes de vie dif­fé­rents. C’était extrê­me­ment impor­tant de se rendre compte que l’on pou­vait vivre en tant qu’étudiant en toute auto­no­mie, en toute liber­té. C’était une vraie révolution.

Par la suite, c’est clair que ce qui a été déci­sif, c’est la guerre du Viet­nam. Et aus­si ce qui c’est pas­sé au Chi­li. La guerre du Viet­nam de manière très claire parce que mon père tra­vaillait à l’OTAN. Je côtoyais beau­coup de jeunes amé­ri­cains qui reve­naient de là et je les ai ren­con­trés dans leur délire et leur souf­france. Le fait aus­si et on en parle aujourd’hui que ce fameux défo­liant, l’Agent orange et ses impli­ca­tions directes des années après sur le corps. L’usage de ce type d’armes chi­miques était déjà à l’époque tota­le­ment révol­tant. Et par la suite, ce qui a été ter­rible c’est de consta­ter que les moyens qui étaient mis en œuvre l’étaient sim­ple­ment pour s’opposer au com­mu­nisme. C’était extrê­me­ment impressionnant.

Ton arrivée à La Louvière, c’est aussi la rencontre avec la classe ouvrière ?

Mon arri­vée à La Lou­vière est plus une aven­ture per­son­nelle. Mais c’est aus­si une his­toire de culture. J’ai décou­vert à La Lou­vière, et parce que j’ai pu pas­ser par une for­ma­tion magni­fique qui est la for­ma­tion des ani­ma­teurs de la Pro­vince du Hai­naut, un dis­po­si­tif qui s’appelle l’Éducation per­ma­nente. Je ne savais pas ce que c’était. L’éducation per­ma­nente, l’éducation popu­laire, c’est vrai­ment le moyen le plus sûr de pou­voir for­mer les gens à accé­der à une auto­no­mie de la pen­sée. Et mon arri­vée à La Lou­vière tient à cela. La ren­contre à La Lou­vière, c’est la ren­contre avec une culture de la résis­tance au quo­ti­dien. Que ce soient les Fusils bri­sés, que ce soient les grèves de 60 ani­mées par les syn­di­cats et par la popu­la­tion, que ce soit aus­si le monde de la mine que j’avais ren­con­tré en habi­tant le Bori­nage. Mais à La Lou­vière, cela pre­nait un autre aspect car c’est une ville mul­ti­cul­tu­relle. Les com­mu­nau­tés ita­liennes, polo­naises, maro­caines et turques ont été une vraie révé­la­tion. Je n’imaginais pas une telle diver­si­té sur un si petit territoire.

Tu as évoqué tes origines familiales. Aujourd’hui, tu es très engagée sur la question de la lutte contre la pauvreté ?

Mais parce que quand on est immi­gré, la pre­mière chose que l’on vit, c’est la pau­vre­té. Et pour avoir vécu dans les cités fran­çaises, c’est la pau­vre­té au quo­ti­dien. Je me rap­pelle bien les moments de faim, de froid, de souf­france, la sen­sa­tion, enfant, de ne pas avoir les vête­ments adé­quats, ne pas avoir les ins­tru­ments sco­laires adé­quats, de se rendre compte que l’on devait pas­ser par les coopé­ra­tives et qu’on devait subir un trai­te­ment dif­fé­ren­cié de pauvre…. Je me rap­pelle aus­si le type de loge­ment dans lequel on habi­tait, la coha­bi­ta­tion avec les roma­ni­chels, avec le monde ouvrier, avec tout un monde par­ti­cu­lier d’exclus. Cela vous fait décou­vrir ce qu’est la pauvreté.

Et je sais qu’aujourd’hui, ce phé­no­mène se repro­duit avec des fac­teurs de démul­ti­pli­ca­tion encore plus énormes. La grande dif­fé­rence, c’est qu’aujourd’hui le besoin de consom­ma­tion est deve­nu tel que les gens n’ont même pas les outils les plus élé­men­taires pour en sor­tir. La com­plexi­fi­ca­tion du sys­tème poli­tique et la vio­lence ins­ti­tu­tion­nelle m’inquiètent. Encore aujourd’hui, devoir inter­ve­nir et rap­pe­ler à l’ordre les admi­nis­tra­tions pour leur dire que toute déci­sion qui n’est pas prise va faire en sorte que des gens seront pri­vés de gaz, d’électricité ou de moyens financiers.

Aujourd’hui, on redis­tri­bue des colis ali­men­taires. En 2013, plus de 250 colis ! Cela veut dire que dès le 20 du mois, les gens ne mangent plus à leur faim, ou alors avec la carte de cré­dit à 18% d’intérêt. Aujourd’hui, on est encore dans une période où les gens n’arrivent plus vivre décem­ment et sont en plus sans pers­pec­tives parce que le tra­vail n’est pas là, contrai­re­ment aux années 60.

Est-ce que cela ne traduit pas d’une certaine manière une faiblesse du socialisme avec un PS 25 ans au pouvoir, et dans le même temps, une explosion de la précarité ? Comment réagis-tu à cette apparente contradiction ?

Je pense que l’on a créé la grande illu­sion de la consom­ma­tion per­pé­tuelle. Les gens se sont retrou­vés avec une, deux, trois voi­tures, une, deux ou trois télé­vi­sions, des vacances à tout crin, sans se poser vrai­ment de ques­tions sur : « com­ment cela est-il pos­sible ? ». À mon sens, le grand échec du socia­lisme, c’est de ne pas avoir conti­nué le tra­vail d’éducation popu­laire néces­saire en lais­sant le champ libre à toute une série de médias ou d’institutions et en ayant la convic­tion que ces ins­ti­tu­tions, ces médias, allaient faire ce tra­vail. L’éducation est un tra­vail à long terme. La for­ma­tion de la pen­sée auto­nome et libre est une néces­si­té qui se construit et qui ne doit pas être lais­sée comme cela au libre arbitre de tout un cha­cun. Il y a des volon­tés que les hommes ne soient pas libres, que les hommes soient dépen­dants. On l’a vu avec la publi­ci­té de Coca Cola qui disait : je cherche cette petite part encore libre du cer­veau que je vais rem­plir avec ces images. On le voit avec le type d’émissions que l’on pro­pose aux gens. Les bonnes émis­sions sont dif­fu­sées après 22h30-23h et celles qui amènent du pain et des jeux à par­tir de 19h. C’est la nou­velle ver­sion de Néron mais j’espère que l’on n’aura pas l’incendie.

La Louvière, c’est aussi la sidérurgie. Est-ce qu’il y a un projet industriel pour la Wallonie et l’Europe face aux pays émergents, face à la concurrence exacerbée sur le plan du commerce international ?

En tout cas dans la région du Centre, il y a une prise de conscience qui est assez radi­cale depuis quelque temps qui va se mani­fes­ter de manière très concrète par le fait que les bourg­mestres de cette région se sont déci­dés enfin à tra­vailler ensemble. Avec une coor­di­na­tion que j’organise, il y a des ren­contres entre bourg­mestres du Centre qui se voient, qui se parlent, qui ont com­pris qu’il fal­lait mettre des syner­gies pour avoir des stra­té­gies éco­no­miques. Les ter­ri­toires ne sont pas cloi­son­nés, les gens sont mobiles. Il faut ima­gi­ner autre chose et ne pas s’arrêter à chaque fois sur des prin­cipes. On doit donc tra­vailler à une poli­tique indus­trielle sur des ter­ri­toires dif­fé­rents dans une pers­pec­tive euro­péenne. C’est tout à fait fon­da­men­tal d’entrer dans ces nou­veaux para­digmes de concep­tion ter­ri­to­riale où l’idée n’est plus de conser­ver un pou­voir sur un ter­ri­toire mais de faire en sorte que l’ensemble des éner­gies et des pou­voirs que l’on peut avoir déve­loppent les ter­ri­toires et les gens. On a un pro­jet stra­té­gique Mons-Bori­nage- Centre qui s’appelle le « Plan stra­té­gique local et ter­ri­to­rial », Cœur de Hai­naut, que nous menons depuis trois ans à plu­sieurs, poli­tiques, syn­di­ca­listes, ensei­gnants, uni­ver­si­taires, entre­pre­neurs et admi­nis­tra­tions et qui se fait par delà les posi­tions par­ti­sanes. L’idée c’est com­ment faire avan­cer un ter­ri­toire dans lequel il a des poten­tia­li­tés énormes, mais où il faut trou­ver des moyens de mettre des forces. Oui, il y a un pro­jet indus­triel qui se fera via l’intercommunale avec l’énergie de tous ces bourg­mestres qui ont com­pris que c’était la coopé­ra­tion bien plus que la divi­sion qui fait avan­cer les choses.

Cela pose une autre question. Il faut certes repenser des logiques de développement mais quel est le poids du politique face aux forces économiques ? Est-ce qu’à certains moments, n’as-tu pas le sentiment d’une incroyable impuissance ?

On pour­rait se dire « je n’ai pas la puis­sance, je suis poli­tique, je n’ai pas de leviers éco­no­miques ». Mais je ne suis pas d’accord.

Pour avoir été au Par­le­ment euro­péen, je déplore le manque de capa­ci­tés pros­pec­tives que l’on peut avoir sur cer­tains sec­teurs. Au niveau euro­péen, on a lar­ge­ment par­lé depuis des années de la néces­saire évo­lu­tion que l’on devait avoir sur les stra­té­gies de poli­tique indus­trielle. J’ai fait ce rap­port sur la poli­tique indus­trielle à la veille de l’élargissement. J’ai déjà par­lé à ce moment-là des dif­fi­cul­tés que nous allions avoir sur trois domaines. La poli­tique agri­cole com­mune dont on ne parle pas assez et qui est un véri­table enjeu pour la sécu­ri­té ali­men­taire au niveau euro­péen. La poli­tique indus­trielle au moment où l’on a pro­cé­dé à l’élargissement de ter­ri­toires vers les nou­veaux Etats-membres dont on savait qu’ils n’étaient pas dans les condi­tions de déve­lop­pe­ment simi­laires aux nôtres. Et enfin, le pro­gramme de for­ma­tion et de recherche pour lequel je plaide depuis des années. On a un poten­tiel humain, de la for­ma­tion d’intelligences et de matières grises sur ces territoires.

L’Irlande a inves­ti sur l’enseignement. L’Allemagne au len­de­main de la guerre a inves­ti sur des nou­veaux modes d’enseignement. Je m’informe de la manière dont la com­mu­nau­té ger­ma­no­phone forme ces sec­tions tech­niques et pro­fes­sion­nelles. Ils ont des modèles per­for­mants. Tra­vaillons là-des­sus. Et arrê­tons de main­te­nir, alors que nous avons des poten­tia­li­tés de réseaux sco­laires, des sys­tèmes où on tourne à vide alors que nous avons les moyens de le faire. Il existe des centres de com­pé­tences extra­or­di­naires que la popu­la­tion et même le monde édu­ca­tif ne connaissent pas. Nous avons des pôles, le Pôle hen­nuyer uni­ver­si­taire, on doit le ren­for­cer, le stimuler.

Que t’inspirent aujourd’hui avec l’approfondissement de la crise, singulièrement depuis septembre 2008, toutes les expressions radicales, populismes, nationalismes, dans notre pays mais aussi en Europe ?

La dif­fé­rence avec les prin­cipes que j’essaie de défendre, c’est que ces prin­cipes sont plus régres­sifs. Les prin­cipes qui se veulent natio­na­listes, extré­mistes, agissent d’abord sur la peur du len­de­main. Pour ma part, je veux tra­vailler dans une pers­pec­tive d’espoir. On peut le faire. Mais d’autres vou­draient sim­ple­ment gar­der ce qu’on a, tra­vailler sur ce que l’on pos­sède, gar­der uni­que­ment ce qui est aujourd’hui acquis. La socié­té est en muta­tion et doit s’ouvrir. Les natio­na­lismes veulent gar­der le ter­ri­toire tel qu’il est, ne pas se poser la ques­tion de la mobi­li­té des per­sonnes et des élar­gis­se­ments comme celui de l’Europe. Gar­der des concep­tions natio­na­listes ou sépa­ra­tistes, c’est sim­ple­ment consi­dé­rer que l’on a cha­cun des droits et que per­sonne ne peut y tou­cher. Ce côté intan­gible des choses n’a pas de sens alors que les per­sonnes aujourd’hui ont des reven­di­ca­tions qui sont aus­si le pro­duit d’une édu­ca­tion. Or, aujourd’hui, on revien­drait à des dis­po­si­tifs de fron­tières, on revien­drait vers des sys­tèmes fer­més, cloi­son­nés. A par­tir de là, on construit des murs, on construit des mira­dors, on construit toute une série de sys­tèmes où l’on est en situa­tion de for­te­resse assié­gée et donc on prend les armes. Or, je suis une paci­fiste et je crois bien plus à la force des convic­tions et du tra­vail coopé­ra­tif qu’à celui des for­te­resses assiégées.

Tu invites vraiment à changer de paradigme. Est-ce que tu as le sentiment aujourd’hui que le PS a pris toute ta mesure de la nécessité de penser autrement ?

Je pense qu’au niveau du PS, on entame une muta­tion suite à la pres­sion que les mili­tants exercent de plus en plus. Je crois que les mili­tants ont accep­té un cer­tain nombre de situa­tions parce qu’elles étaient néces­saires dans les urgences. Mais aujourd’hui pous­sés par d’autres mou­ve­ments qui se disent plus à gauche, il y a quand même une remise en ques­tion fon­da­men­tale d’un cer­tain nombre d’enjeux. Ce qui est com­plexe, c’est qu’il faut réus­sir avec les gens de la base mais pas uni­que­ment les mili­tants socia­listes. On devient mili­tant socia­liste parce qu’à un moment don­né on a envie de s’engager plus mais j’ai besoin d’un vrai pro­jet de socié­té inclu­sif, un pro­jet soli­daire où tout le monde doit être pré­sent. Ce nou­veau pro­jet doit se construire aujourd’hui. La situa­tion n’a plus rien à voir avec celle d’il y a dix ans. Il y a un rythme d’accélération de la pen­sée, de la com­mu­ni­ca­tion, des infor­ma­tions et des situa­tions qui nous obligent à avoir des résis­tances et sur­tout des modes de pen­sées qui doivent être beau­coup plus pros­pec­tifs. Où sont les espaces de réflexion comme ceux que j’ai connu où, assis à plu­sieurs, on pre­nait le temps de se dire : est-ce que tu crois que c’est pos­sible ? Le côté col­lec­tif de nos struc­tures dans le PS doit nous per­mettre de recons­truire ce projet.

À condi­tion bien sûr que d’une part, on refasse un tra­vail d’éducation per­ma­nente et d’éducation popu­laire avec les gens à tous les niveaux, un tra­vail de vul­ga­ri­sa­tion et de déco­dage de ce qui se passe et que les gens aient aus­si l’espace pour des solu­tions tout à fait alter­na­tives et inno­vantes. Je crois qu’il y a des champs qui sont inex­plo­rés. Je pense que la manière dont les éco­no­mies soli­daires alter­na­tives paral­lèles s’organisent aujourd’hui sont des champs extra­or­di­naires. Je pense qu’il y a des espaces où il faut réap­prendre le savoir et l’histoire et anti­ci­per sur ce qui peut se faire. Cela veut dire sim­ple­ment qu’au sein du Par­ti, la volon­té de plus en plus de mili­tants est d’entrer dans un dis­po­si­tif de réflexion à long terme avec des espaces de liber­té dans les­quels il n’y a pas de tabous. On peut reprendre les anciens concepts, mais il y a de nou­veaux champs à explo­rer et on doit avoir le droit et l’espace de le faire.

Est-ce que le par­ti a pris la mesure ? Je pense pour avoir vu, enten­du cer­tains mou­ve­ments que la machine se met en route. Quand on est capable de dire « s’indigner c’est bien, s’engager c’est mieux », je dirais que notre tra­vail, c’est de sus­ci­ter l’indignation mais au-delà de l’indignation, il faut un moment de pros­pec­tive et de réflexion pour que l’engagement soit bien celui qui cor­res­ponde à des valeurs que nous défen­dons depuis le début : soli­da­ri­té, fra­ter­ni­té, évo­lu­tion de la socié­té et aus­si ce qui est fon­da­men­tal pour moi c’est de tra­vailler à une socié­té plus paci­fique. De plus en plus, on vou­drait nous dire que la seule manière d’avoir de la crois­sance c’est deux choses : ou bien c’est l’inflation ou bien c’est la guerre, ou bien c’est de se mettre en conflit avec d’autres puis­sances. Ce n’est pas pos­sible. C’est à l’encontre de tout le tra­vail des phi­lo­sophes éclai­rés. Nous tra­vaillons pour que la guerre soit abo­lie. Nous tra­vaillons pour que les gens aient une auto­no­mie de réflexion. Mais sur­tout que les gens soient capables aujourd’hui de ne pas res­ter uni­que­ment sur de l’acquis mais de se dire que demain autre chose est pos­sible. Je vais dans les forums sociaux parce que je crois qu’un autre monde est possible.

L’initiative du Collectif Roosevelt à laquelle PAC participe, est-ce que c’est une source d’inspiration pour le PS ?

Oui, je pense qu’il a été inté­gré dans pas mal de nos débats. En ce qui me concerne, j’ai pous­sé le luxe jusqu’à le faire ana­ly­ser par cer­tains amis qui tra­vaillent à la Com­mis­sion euro­péenne. Ils ont mon­tré quelques fai­blesses. C’est encore très fran­co-fran­çais. On doit reprendre un cer­tain nombre de points et les adap­ter. Je pense que c’est fon­da­men­tal. La piste qui est don­née avec les pro­po­si­tions sont des pistes inno­vantes. Je crois qu’en Bel­gique, on a une capa­ci­té de réflexion avec d’autres mou­ve­ments de gauche, on a des capa­ci­tés. Et dans mon par­ti, il y a des intel­li­gences et du poten­tiel. Mais il faut y faire appel.

Quel est le dernier grand livre que tu as lu ?

Le der­nier grand livre que j’ai lu, dans la série des Wal­lan­der écrit par Hen­ning Man­kell, trai­tait prin­ci­pa­le­ment de la struc­tu­ra­tion des états nor­diques à tra­vers le regard d’un poli­cier, ce fameux com­mis­saire qui a une très grande inté­gri­té par rap­port aux dis­po­si­tifs poli­tiques et qui se rend compte que tout n’est pas si blanc. Il est très inter­pel­lant de voir que ces pays scan­di­naves qu’on nous donne tout le temps comme modèle contiennent en eux-mêmes les germes d’un poi­son anti-démo­cra­tique. Or, il n’y a rien qui me fait plus peur que les gens qui veulent mon bien contre mon gré, que les gens qui me donnent des règles que je n’ai pas construites de manière col­lec­tive et sur­tout des gens qui veulent quelque part les figer, une fois pour toutes, comme étant les grands dogmes. Je ne peux pas accep­ter le dogme.

Quel est ton rapport à la révolution numérique, cette transformation radicale du mode de communication que tu as évoquée ? Notamment en matière de lecture ?

C’est l’extase per­pé­tuelle. D’un côté, j’adore le contact du papier, j’adore de pou­voir avoir cette recherche, sen­tir des vieux livres, et en même temps, cette biblio­thèque uni­ver­selle à laquelle je peux accé­der d’un simple click, je n’arrive pas à m’en déta­cher, je suis com­plè­te­ment accro parce que quand on est accro, on a envie de lire tous les livres en même temps. J’ai qua­rante piles de livres à côté de mon lit. Dans ma mai­son, j’ai des biblio­thèques qui croulent. Dans ma voi­ture, je ne sais plus où les mettre. Et par­tout où je vais, j’empile. N’empêche que cela ne me suf­fit pas. Il y a encore tous ceux que je n’ai pas lu et sur les­quels j’ai envie de poser ma pen­sée, mon regard. Donc pour moi la révo­lu­tion numé­rique, c’est vrai­ment un bon­heur per­pé­tuel et je ne peux pas accep­ter qu’on la mette en concur­rence avec la lec­ture et les livres. Cela n’a rien à voir, c’est un autre monde qui s’ouvre.

Le lieu utopie pour Olga, c’est où ? C’est une île grecque, c’est Caracas ou la Bande de Gaza ?

Pour vivre, je vais d’abord déter­mi­ner mes besoins. Ils sont tout à fait élé­men­taires, mais fon­da­men­taux. J’ai besoin d’avoir des livres, de la presse, de ne pas avoir faim, de ne pas avoir froid. Le fait d’avoir été migrante, je n’ai pas d’attachement sur un lieu. J’ai de l’attachement aux gens du lieu et de l’attachement aux his­toires, à l’origine. Ce ne serait pas un lieu où je n’aurais pas de contact avec d’autres. J’ai besoin de la vie, j’ai besoin d’être en relation.

Pour avoir été à Gaza, l’émotion est très grande. Quand j’y pense, c’est un lieu magni­fique, extra­or­di­naire. Mais vivre là cela veut dire être en résis­tance tous les matins et avoir peur tous les jours et en même temps être dans une révolte devant ce monde inter­na­tio­nal qui a déci­dé — parce que je ne peux pas dire cela autre­ment – de ne pas voir et de ne pas com­prendre. On peut inter­ve­nir en Libye, on peut inter­ve­nir par­tout et là on ne pour­rait pas intervenir !

Pour moi, le lieu où j’irais vivre c’est plus celui où j’ai ancré mes racines. Quand je fais mes comptes, c’est La Lou­vière. C’est là où mes racines ont enfin pris de la place et où ma vie a pris du sens pour les gens qui y sont, pour la culture qui est y est. Décou­vrir qu’à la fois entre la sidé­rur­gie et les char­bon­nages, il y a une culture du sur­réa­lisme tout à fait extra­or­di­naire, il y a une culture de la langue wal­lonne tout à fait magni­fique, une culture du théâtre, de l’éducation popu­laire, de la vie asso­cia­tive, d’un ter­ri­toire de la mémoire. Tout cela sur un si petit ter­ri­toire où il y a eu tant de bras­sages. C’est vrai­ment là que j’ai envie de mettre mes racines et je le fais depuis 30 ans.

Un grand film ?

1900 de Ber­to­luc­ci. Et en même temps La Stra­da de Fel­li­ni. L’émotion de Gel­so­mi­na reste tou­jours très forte, je n’arrive pas à oublier le regard et ce noir et blanc avec Giu­liet­ta Masina.

La musique ?

Je suis très éclec­tique. J’adore autant Edith Piaf que Saule. Je suis aus­si une ado­ra­trice de rock et je vais chaque fois que je peux à Rock en Stock qui est une de nos acti­vi­tés dans ma région où on s’éclate à hur­ler des disques des Rol­ling Stones, des Beatles, d’Elvis Pres­ley. Mais en même temps, j’adore le hip hop, le slam, j’adore tout ce qui fait que la musique sort des tripes et qui me donne le sen­ti­ment d’être dans l’air du temps, dans le rythme du temps.

Tous les ans, je vais au fes­ti­val de jazz de Mar­ciac parce que le jazz, et le blues, c’est la vraie musique du peuple !

Une valeur que tu souhaiterais mettre en avant ?

Une valeur qui pour moi compte beau­coup, c’est que je crois en la capa­ci­té des hommes et des femmes d’être debout et j’ai beau­coup d’admiration pour les femmes en géné­ral. Quand je vois tout ce qu’elles portent, qu’elles soient d’Afrique ou d’Europe ou d’Amérique latine, elles conti­nuent après autant d’années à m’épater. J’ai récem­ment décou­vert Thé­rèse Clerc. Elle a ouvert à Paris une mai­son auto­gé­rée pour et par les femmes qui s’appelle la Mai­son des Babaya­gas. C’est une expé­rience abso­lu­ment extra­or­di­naire pour les femmes qui se retrouvent plus âgées et qui veulent vivre une autre vieillesse.

C’est mon pro­chain pro­jet pilote. Je ne veux plus que les homes soient des mou­roirs pour nous les femmes et aus­si pour toute une géné­ra­tion. Je ne sup­porte pas cette vision apo­ca­lyp­tique de la vieillesse. Être vieux n’est pas une mala­die, c’est bien autre chose, une sagesse que nous connais­sons très mal.

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