Tout récemment pensionné, Paul Van Hoorick a plusieurs vies dans sa besace, dont celle d’ancien directeur de Linx+. Fils d’ouvrier dans le textile, parfait autodidacte, l’œil vif et l’esprit toujours en éveil, il vient de Sint-Niklaas, une commune de Flandre orientale. Il voyage beaucoup d’Anvers à Bruxelles, de la Wallonie à Sint-Niklaas et même jusqu’à Cuba où il a quelques attaches sentimentales et amoureuses. La sculpture est une véritable obsession, quand il n’endosse pas son costume de guide touristique insolite, ou celui d’écrivain.
Comment être un Flamand de gauche ?
Si on considère qu’il y a contradiction, on tombe déjà dans le cliché… Il faut savoir que j’ai passé toute ma vie professionnelle à travailler pour le syndicat socialiste ABVV. Du temps de ma jeunesse, j’étais animateur de la FGTB Jeunes à Anvers. Après j’ai été “propagandiste”. J’entends par là que j’ai été le bras droit du Secrétaire régional. Par la suite, j’ai endossé à mon tour la fonction de secrétaire régional FGTB. C’était l’époque des faillites dans les plus grands chantiers navals de la Belgique à Temse sur l’Escaut au début des années 1990. Ensuite, je suis devenu directeur de la Centrale Culturelle à l’échelon national. C’est à cette période précisément que nous avons mis sur pied Linx +. Il s’agit d’un jeu de mots. Car links en flamand veut dire gauche et « Linx + » signifie pour moi la connexion. On entre plus dans le monde digital.
Quels sont tes meilleurs souvenirs en tant que directeur de Linx + ?
Sans hésitation, l’hommage rendu à Pablo Neruda à l’occasion de son centenaire, en 2005. Nous avons réalisé plus de 300 activités culturelles partout en Flandre et à Bruxelles. À l’époque, le Vlaams Belang était encore tout puissant à Anvers. Si bien que ce projet a connu des interventions du Vlaams Belang au sein des Conseils culturels locaux qui voulait purement et simplement interdire ce bel hommage !
Un autre projet m’a tenu à cœur : le « Vlamingrant », autrement dit : le flamand qui a immigré en Wallonie, en France ou en Amérique, afin de gagner sa vie. J’ai aussi mis sur les rails « Villes autrement vues ». Il s’agit de proposer des balades, des visites guidées qui retracent l’histoire sociale et populaire d’une ville, en Flandre et maintenant en Wallonie où Linx+ organise également ce type de parcours. Cela permet de découvrir une partie de l’histoire flamande des émigrés flamands en Wallonie. Par exemple, on ne peut pas évoquer l’Hôtel de Ville Art déco de Charleroi, peut-être le plus beau de Belgique, sans parler du contexte socioéconomique. En réalité, on donne un cours d’Histoire dans l’espace public. J’ai amené, au fur et à mesure, des groupes flamands pour visiter des villes en Wallonie : Liège, Tournai ou, plus récemment, Charleroi. Cela existe également pour Mons, le Borinage, et même pour la ville « belge » de Roubaix située au sud de Lille. Tout l’axe transfrontalier. C’est dans cette région que l’on a retrouvé des Flamands ayant dû émigrer vers la mine.
À Liège, il est par exemple intéressant de pointer dans la rue près de l’escalier de Bueren où s’arrêtent tous les guides traditionnels, le Couvent des Ursulines, autrement dit à l’époque « Het Werk der Vlamingen ». Il s’agissait d’un pasteur catholique flamand qui soignait la population flamande notamment afin de les protéger des dangers des femmes wallonnes ! C’était dangereux non ? (Rires). Il fallait garder la ligne catholique, ne pas dévier… À Roubaix il existe une rue qui s’appelle rue de l’Abbé Aerts. Aerts était l’aumônier des œuvres caritatives flamandes à Roubaix.
Tu as un côté artiste, tu es notamment sculpteur sous le nom de Ekkiz, quelles sont tes créations ?
Toutes mes œuvres artistiques commencent toujours par la nécessité d’être touché. Ainsi un des points de départ de l’une d’entre elles c’est la photo d’un journal hollandais. C’était l’époque de Berlusconi II ou III, l’empereur Berlusconi à Rome. Un de ses adjudants à l’époque, c’était Umberto Bossi. Elle montrait un corps trouvé il y a 15 ans sur une plage, emballé dans de l’aluminium. Ce que je propose c’est précisément une reconstruction de ce qui s’est passé. Une autre photo pêchée dans le National Geographic en 1993 et qui m’a aussi servi de base pour une œuvre mettait en scène trois ouvriers cubains occupés à placer des canalisations dans une mer infestée de requins, inconscients du danger qu’ils prenaient. Cette image me hante encore aujourd’hui, je ne peux la sortir de ma tête. En faisant des collages avec ces photos, j’essaie de mettre en scène un acte de sauvegarde, de prévention !
Une autre idée m’est venue quand j’étais en vacances en Provence avec mes petites filles. La catastrophe de Tchernobyl venait de se produire. Et à cette époque la Provence était potentiellement en danger à cause des nuages qui passaient. J’ai eu le déclic en revenant de Provence en passant par Pierrelatte. C’est à ce moment-là, que m’est venu une réelle nécessité de créer, d’imaginer des machines à transporter des paysages afin de les sauver, les préserver. J’ai inventé quelques maquettes de machines qui sont capables de transporter les paysages en cas d’urgence. Au dernier concours d’art du Canevas Collectie, une de ces machines figurait dans la sélection. J’ai expliqué au jury que cette machine est capable de sauver le centre historique de Bruxelles en cas de Tsunami. Il suffit de mettre en position la machine sur les hauteurs du Botanique en la laissant rouler jusqu’à la Basilique de Koekelberg. (Rires)
Si tu devais refaire ton parcours professionnel, tu apprendrais la sculpture dans une académie ? Tu n’as jamais suivi de cours ?
Non, je suis autodidacte en tout. Au niveau artistique, il faut avoir atteint l’âge de 50 ans pour avoir vraiment quelque chose d’intéressant à dire et à montrer. Je me place volontairement dans une position critique, je n’aime pas les modes, les courants artistiques actuels, je n’aime pas le vent artistique qui souffle maintenant en Europe. Il y a beaucoup de blabla, des explications interminables afin d’essayer de comprendre les œuvres. Beaucoup d’artistes contemporains en Europe ne voient pas plus loin que leur nombril. C’est très middle class, ils se sentent peu concernés par ce qui se passe autour d’eux, dans le monde. Une œuvre-clé que j’estime essentielle pour se faire une opinion politique et mieux comprendre le marché de l’art, ses amateurs, les publics du monde de l’art, c’est l’excellent essai de Pierre Bourdieu La distinction. Cette manière de penser l’art change complètement quand on sort d’Europe. En Amérique latine, beaucoup d’artistes prennent des positions politiques, donnent lieu à des commentaires. Je n’aime pas les pamphlets, je déteste la propagande. Je préfère l’art « codé » où plusieurs interprétations sont possibles. Je suis vraiment adepte de Bertolt Brecht qui a toujours voulu qu’au sortir de ses pièces de théâtre, on ait encore plus de questions qu’à l’entrée. Pour cela je suis réellement amateur et admirateur de l’art contemporain cubain. En effet, beaucoup d’artistes travaillent et se tournent vers l’art « codé ».
Tu n’aimes donc pas l’art conceptuel ?
Non, l’œuvre doit me toucher, l’œuvre doit me parler.
Pourquoi es-tu particulièrement attaché à La Havane ?
À cause d’une femme ! J’ai été marié avec une Cubaine. Retraité depuis 2 ans, je passe beaucoup de temps là-bas. Je suis en train d’écrire un livre qui raconte l’histoire de La Havane et l’histoire de Cuba dans un style littéraire singulier. En effet, aujourd’hui plus personne ne lit et ne s’intéresse aux — pourtant excellentes — publications historiques cubaines. J’ai tenté de rendre accessibles et faciles à lire 150 courts récits historiques. J’ai utilisé une écriture séductrice afin de mettre toutes les chances de mon côté. J’ai inventé des techniques de lectures pour que les gens ne lâchent pas prises au bout de trois histoires ! Il est quasi fini. Le grand défi sera de trouver un éditeur flamand car à ma connaissance, il n’existe pas de marché pour ça en Flandre . Mais j’ai cependant un grand « supporter », c’est l’ambassadeur de l’Union européenne à Cuba, un belge prénommé Herman Portocarero qui est aussi est écrivain et qui a signé la préface de mon livre et essaye de le placer chez son éditeur à Louvain. Un autre défi est d’être capable de traduire le livre en espagnol parce que là, il y a un marché à prendre. Le livre s’intitule : Havana mi amor — Trébucher à Havana. Il débute en 2018 avec la victoire électorale de Jeb Bush aux États-Unis. Le nouveau président va remonter le temps en compagnie de Christophe Colomb et découvrir avec lui le Nouveau Monde…