Originaire de Sidi Slimane, dans le Nord-Est du Maroc, B. Fatiha, 53 ans, est d’abord venue en Hollande, chez un cousin pour s’occuper de sa mère malade. À sa mort, sans travail ni papier, elle doit partir. Ses sœurs lui déconseillent de rentrer au Maroc où il n’y a plus rien pour elle. Elle décide de rejoindre une autre sœur qui habite à Bruxelles. C’était il y a deux ans. Devenue sans-papiers, elle compte s’en sortir par le tissage de tapis. Le tapis, qu’elle confectionne avec son Mensej depuis ses 15 ans. C’était déjà ce qui lui donnait de la force ; ici, ça pourrait bien lui permettre d’être régularisée. À condition de trouver une entreprise intéressée par le savoir-faire artisanal rare, qu’elle maitrise. Elle nous montre dans ses photos cette passion qui lui permet de supporter la peur du contrôle et de se reconstruire dans l’exil. Et pointe aussi ce qui, dans son quartier, évoque son pays, notamment les quelques traces de nature, car « le destin voulait que je m’éloigne des miens, que je quitte ma terre, que je rencontre d’autres personnes. »
Mon métier à tisser, El Mensej. C’est typiquement marocain. J’ai eu mon premier contact avec le Mensej à 15 ans, c’était magique, comme un coup de foudre. Je l’ai aimé et apprivoisé. J’ai appris très vite à tapisser. Quand je suis en train de tisser, tous mes problèmes disparaissent : je les noue, je les mets dans le tapis… Aujourd’hui, je ne me sens pas déracinée justement parce que je fais des tapis. Et que j’ai fait venir en Belgique mon Mensej. Tapisser c’est tout ce que je sais faire. C’est l’enfant que je n’ai jamais eu. C’est ce qui me rend fière. Le Mensej c’est toute ma vie et c’est mon espoir.
C’est un des tapis que je fabrique. C’est avec de la laine importée du Maroc car on ne trouve plus de vraie laine de mouton artisanale ici en Belgique qui est utilisée seulement pour l’isolation. Filer de la laine en pelote, c’est beaucoup de travail. Aujourd’hui, mon métier à tisser est dans une asbl du quartier où je vais tisser. Ça m’a fait énormément de bien et me permet de pas rester à la maison et déprimer.
Ce sont des crochets que j’ai faits. Ce sont des sortes de petits napperons à mettre sur la table mais en laine. Pour décorer les tables ou pour tenir les théières brûlantes. On fait ça dans une asbl du quartier, avec la machine à coudre, on utilise les vêtements de seconde main, qu’on recycle.
C’était sur le chemin d’une sortie dans le cadre d’une formation d’éducation permanente que je suivais. On est allé visiter Bruxelles. Je n’avais encore jamais vu l’Atomium, le marché du Jeu de Balle ou la Grand Place. C’était la première fois que je voyais la ville autrement qu’à la télé. La Grand place c’est très beau, c’est tellement ancien. J’ai même pleuré devant l’Atomium. Mon rêve, ce serait de voir la Tour Eiffel à Paris. Ce n’est pas vraiment possible car je n’ai pas de papiers. Lors de cette sortie, j’ai vu des soldats et j’ai eu très peur qu’ils me demandent mes papiers. Je ne peux pas risquer de traverser la frontière.
C’était un bel arbre en fleur sur le chemin d’une pièce de théâtre, « Les Inouïs ». Je n’en vois pas souvent des comme ça. La pièce, ça parlait de situations réelles, des gens qui traversent la mer, des enfants qui s’y noient comme Aylan Kurdi. Ça rappelle les premières émigrations des Européens au Canada, où ils avaient bien été reçus. On leur avait donné du travail. A un moment, dans la pièce, des policiers débarquent et hurlent « vos papiers ! ». J’ai eu très peur car j’ai cru à un vrai contrôle. A cause de ça, je ne marche jamais très loin hors du quartier. Je reste beaucoup à la maison. A part pour aller faire des tapis, à l’asbl du quartier.
Je trouvais ça beau cette étendue d’herbe. Mais on ne peut pas y aller, c’est privé et il y a un grillage. Pourquoi ne pas faire plus de parcs ? Ça manque dans le quartier. Un petit parc pour les enfants. Mon cœur se réchauffe devant de l’herbe, ça m’évoque le Maroc que j’ai quitté il y a deux ans. Car au Maroc, il y a beaucoup d’herbe et de fleurs au printemps.
Un arbre avec des ordures. Un arbre, c’est beau, c’est naturel et on jette des ordures à ses pieds. Ce n’est pas très respectueux. C’est ce qui nous donne de l’oxygène et nous permet de respirer. Comme la forêt. [Vous n’allez pas dans les parcs à Bruxelles ?] Non, je suis allé une fois à la Maison Verte mais jamais au Parc royal ou la forêt de Soignes. C’est trop loin. J’ai peur de sortir du quartier. J’ai peur des contrôles de la police dans le métro. Je ne prends jamais les transports en commun.
C’est une église du quartier. J’aime bien la décoration. Mais il y a beaucoup de déchets, de poubelles. Ce sont comme nos mosquées, un lieu de prière où les gens vont se recueillir. Mais ça m’étonne beaucoup que les gens mettent leurs ordures sur un lieu saint ! Quel manque de respect! Au Maroc, nos mosquées sont bien entretenues. On dit souvent au Maroc qu’en Europe, les gens sont plus propres et mieux éduqués que nous et, quand on arrive ici, on est un peu déçu… ça donne une mauvaise image.
Ce sont des graffitis dans mon quartier. Quand je regarde un mur, il faut qu’il soit beau. Je préférerais des beaux dessins qui mettraient en valeur la ville. A Tanger par exemple, ils font des beaux dessins sur les murs qui sont plus comme des œuvres d’art. Mais ça, je ne comprends pas…
Une jolie fontaine d’eau dans le quartier. Les gens ou les oiseaux peuvent aller y boire. Au Maroc, il y a beaucoup de fontaines aussi. Les gens jouent dans les fontaines, se réunissent autour de l’eau. Si on était au Maroc, il y aurait plein de gens, des vendeurs de cacahuètes tout autour, ça serait l’attraction, il y aurait de la vie. Ici, il y a beaucoup moins de vie collective. Au Maroc, la porte de chez soi reste tout le temps ouverte, la famille, les voisins rentrent et sortent. Les jours sont beaux car il y a de la vie. Ici, c’est un peu plus « chacun reste chez soi ».