Histoire de voir

Jean-Marie

Jean-Marie, 67 ans, a emmé­na­gé il y a près d’un an en rési­dence ser­vice près de Jambes, vers Namur. « Je me ren­dais compte qu’avec le temps qui pas­sait, j’étais de plus en plus dépen­dant des autres. Res­ter seul dans mon appar­te­ment dans une cité sociale c’était plus pos­sible. Ici, j’ai un appar­te­ment assez grand. Je vis com­plè­te­ment équi­pé. J’ai des bou­tons d’appel pour appe­ler l’infirmière au cas où. À midi, je mange ici au res­to. On a plein d’activités : qu’est ce que je pour­rais deman­der de mieux ? » Jean-Marie a tra­vaillé comme infor­ma­ti­cien dans une grande entre­prise et oscil­le­ra toute sa vie entre sa car­rière pro­fes­sion­nelle et sa pas­sion pour la musique, une his­toire de famille. « Je suis né en octobre 1948 à Bonn, en Alle­magne. Mon père y était mili­taire. Il jouait de l’harmonica, ma mère de la man­do­line et chan­tait. J’ai vécu là jusqu’à l’âge de 8 ans. Puis on est venu en Bel­gique où j’ai eu une très belle ado­les­cence, assez mou­ve­men­tée parce qu’à 16 ans, j’ai joué de la gui­tare et j’ai par­ti­ci­pé à l’orchestre que mes frères avaient créé… » Tout bas­cule à 48 ans, année où Jean-Marie a un AVC. Il perd son emploi, se retrouve han­di­ca­pé et plu­sieurs autres coups durs « dont il ne pré­fère pas par­ler » se suc­cèdent. La musique, la gui­tare, pas­sion qui l’a tou­jours sui­vi, l’aidera à se refaire une san­té et à reprendre pied. Petit par­cours à tra­vers le quo­ti­dien de sa rési­dence ser­vice, atte­nante à une mai­son de retraite, les nou­velles socia­li­tés qui s’y nouent, les acti­vi­tés qui s’y mènent et son besoin de vivre mal­gré les acci­dents de la vie, le han­di­cap et la dépendance.

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La cage aux oiseaux à l’entrée de la résidence. D’un côté, elle fait la joie des résidents et des enfants. Les petits oiseaux chantent, les gens viennent les observer ou leur parler et tout ça. Mais d’un autre  côté, c’est un peu comme la chanson « La cage aux oiseaux » de Pierre Perret, les oiseaux sont quand même emprisonnés. Ils seraient peut-être mieux à l’extérieur… Il y a un côté prison. Il y a différentes sortes de prison. Il y a les prisons dorées, il y a des gens qui sont dans leur milieu doré, ils ne parviennent pas à en sortir, mais ils sont malheureux, il y en a qui pète les plombs avec tout le fric qu’ils ont. On peut être emprisonné de beaucoup de chose. Il n’y a pas que le côté matériel, il y a le côté psychique aussi. Comme je suis dépendant, je me sens parfois un peu emprisonné.

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J’ai perdu une certaine forme de liberté. Comme je suis fort handicapé, j’ai eu mon AVC, mais maintenant je ne pourrais plus aller où je veux sans dire quoi que ce soit à personne. Aller à l’étranger, aller en voyage par exemple, non, je dois toujours prévenir ma fille ou quelqu’un de ma famille. Ma nouvelle façon de vivre donne l’impression par moment d’être emprisonné par quelque chose. Pour le moindre déplacement ou décision, c’est un conseil de famille ! C’est parce qu’ils s’inquiètent pour moi, mais ça me donne l’impression d’être un peu comme dans un cocon. Donc, c’est une forme de prison, quand même. Enfin, ce n’est pas péjoratif ce que je dis.

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Travaux déco. Avec de la laine, on fait des petites couronnes de Nouvel An décorées et on décore avec des petits sapins. Et on met en grand « 2016 ». On peut mettre ça au-dessus de sa porte par exemple. Ce qui m’intéresse c’est tout le côté créatif. Créer quelque chose, à un certain âge, c’est important pour sentir qu’on sert encore à quelque chose. Bon, il y a des objets qu’on fait mais il y a tout le côté créatif qui joue. Le fait qu’on crée et alors qu’on en parle ensemble.

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Le bonheur, c’est des petits moments, où on est comme ça ensemble avec des gens qu’on aime beaucoup, et qu’on passe un moment agréable, quand je suis avec mes petits enfants pour moi, ce sont des moments de bonheur. Avec mon handicap, avec tout ce que j’ai vécu, le côté superficiel de la vie ne m’intéresse plus du tout. Je n’arrive plus à accorder de la valeur à quelque chose par l’argent. Il y a des gens qui calculent leur vie comme ça. Ils trouvent que c’est beau parce que ça coûte cher. Je trouve ça vraiment dommage. C’est toujours une question d’argent qui joue.

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Ça représente un peu l’atmosphère qu’on a ici à l’intérieur par moment. Une atmosphère de tranquillité. Il y a le siège, on peut s’asseoir, le petit meuble à côté et il y a la plante décorative, mais ça exprime quand même le côté, calme, zen. C’est un coin, où on peut se délasser et rentrer un peu, en méditation, être dans le silence. J’ai parfois l’impression qu’on est vraiment entouré tout le temps de bruit. Quand on réfléchit bien, on l’est souvent. Et parfois, ça fait du bien de se mettre un peu à l’écart de tout.

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Le « jeu de mots ». Il y a beaucoup d’activités, moi je n’arrête pas, ici on ne s’embête pas du tout. Pas du tout ! Ici, c’est le « jeu des mots ». C’était un peu avant Hallowen, on voulait faire des histoires un peu fantastiques avec des sorcières. On a réuni toute une documentation pour nous inspirer. Et alors, ensemble, on mettait au point des textes, enfin des petites histoires qui racontent en une page un petit conte. J’aime bien le côté littéraire.

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Il y a deux types d’activités. Il y a des activités de jeux de société qui se font en général les après-midi. Et il y a d’autres activités comme par exemple, la calligraphie. Et tous les 15 jours, on a le « jeu des mots ». On doit construire un texte ou un poème avec des mots qu’on doit rechercher dans des documents. Le principe ce sont les jeux des mots, ça veut bien dire ce que ça veut dire. Donc, c’est plutôt littéraire là.

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Le sport, pour moi, c’est devenu complètement pourri, parce que finalement maintenant tout est argent. C’est incroyable ce qu’un joueur peut gagner aujourd’hui. Que ce soit au golf, au foot, au tennis ou n’importe quel sport. Ils gagnent des sommes incroyables. Moi, j’ai l’impression que l’argent c’est un poison, trop d’argent c’est un poison.

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Des souvenirs ramenés par un ami d’Asie. Ce sont des objets qui sont sur mon meuble, dans mon living. Ces objets viennent d’Asie et ont été faits par des gens en réinsertion sociale. Ils font des objets comme ceci qui sont très beaux. Ici par exemple, le personnel qui vient chez nous et qui s’occupe de nous servir à la cafétéria sont des gens qui sont eux aussi en réinsertion sociale. On voit qu’ils sont investis et qu’ils veulent absolument progresser. Pour eux, c’est une belle ouverture et ça peut leur permettre de trouver du travail

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Il y aussi un souvenir de mes parents. C’est un plateau qui date du début des années 50. C’est de l’or ici qu’on voit autour, il est laqué noir au milieu. Et il est bordé par du plaqué or. Ici, c’est une carafe, elle est vraiment décorée avec des fils d’or. C’est un objet que mes parents avaient acheté quand on était en Allemagne. C’est un des plus beaux objets que j’ai de mes parents.

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Ma guitare et mon déambulateur. La musique a été pour moi une thérapie. Cette guitare, c’est ce qui m’a sauvé. Deux ans après mon opération, j’étais tellement mal, j’avais vécu tellement de choses douloureuses dans ma vie qu’il fallait que je trouve quelque chose. Et c’est un de mes frères qui m’a dit « on va reprendre l’orchestre ». Et tout est revenu, tout le doigté est revenu. Ça m’a remis sur pieds en un rien de temps. J’assume le fait d’être grand-père et tout le bazar, mais enfin la musique c’est ma raison de vivre quand même, c’est vraiment la colonne vertébrale de ma vie. J’ai des souvenirs incroyables, avec l’orchestre. On a été partout. On a été en Allemagne, en France, en Grèce… Au départ, on s’appelait les Châtelains. Puis, les Faithfulls. Et maintenant, on est le groupe  Retour. On joue de tout. Variété, mais alors tout, anglais, français, donc depuis les années 60 jusque maintenant.

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C’est une activité, le ping-pong, avec Emmanuel, notre animateur. C’est lui qui organise tout ce qui est ce côté sportif plutôt. Quand il fait bon à l’extérieur, on peut jouer, on peut faire de la pétanque, on peut faire du basket-ball, bien sur adapté pour nous. Ce sont surtout des personnes relativement âgées qui jouent. Donc, c’est pas des gens valides. J’adore le ping-pong, j’ai été classé en tennis de table, je faisais partie d’un club à Gembloux, j’ai joué des championnats. Quand je me suis retrouvé handicapé, j’ai dû arrêter. Je sais encore jouer, mais c’est du sur place. Je reste sur place et puis je lance la balle comme je peux. Mais, j’aime bien, parce que je retrouve un peu les sensations. Je sais que c’est pas grand-chose, mais il n’empêche quand même que je retrouve un peu cette mentalité qu’on avait de compétition.

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Une après-midi de jeux de société. J’aime beaucoup le scrabble. C’est organisé ici avec des gens assez âgés des Chardonnerais, la maison de retraite à côté. On rencontre nous, résidents ici, les retraités, c’est un moyen d’avoir un lien avec eux, un trait d’union entre les deux.

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C’est une partie de mon déambulateur. C’est un peu un gros plan là. Le déambulateur pour moi c’est un engin qui est important. Je ne saurais plus me déplacer sans. C’est mon compagnon quoi ! Il fait partie de moi. C’est une chose qui m’est indispensable. Je l’ai depuis que je suis arrivé ici. Avant je me déplaçais avec une canne, et là ça allait relativement bien. Mais depuis que je suis ici ça s’aggrave et finalement je ne saurais pu me déplacer sans ça.