Vous savez quoi ? Le vrai problème avec les photos et les films de vacances c’est qu’ils ne vieillissent pas en même temps que nous. Se replonger dans les albums souvenirs ou se repasser nos meilleures séquences estivales rangées sur un disque dur, ça fout un cafard monstre à la longue, non ? Jusqu’au jour où, vieillissant pour de bon, on tire un trait définitif sur ce fatras qui paraît dorénavant raconter la vie d’autres personnes que nous-mêmes… Un peu comme l’anti-portrait de Dorian Gray !
Non, croyez-moi, le meilleur ami de l’homme revenu de vacances, c’est le souvenir usiné, manufacturé, l’objet de fabrication industrielle ou artisanale qu’on ramène dans ses bagages, coincé entre un t‑shirt « I love Pastis 51 » et le slip de bain à tête de mort. Au choix : un coquillage en céramique de Vallauris, le chameau magique de Djerba, le coq de Barcelos, une boule à neige du Sacré-Coeur, un flamant rose en plastique de Camargue, une gondole de Venise, un Ganesh de New Delhi, un crâne en sucre de Mexico, un chalet thermomètre du Valais, une bouteille de sangria ouvragée de Málaga, une boîte de sardines de Dinard, la Tahitienne qui fait frou-frou… Que de souvenirs !
Ce n’est pas toujours de bon goût, avouons-le, et c’est généralement fabriqué par des Chinois pauvres et opprimés… Mais néanmoins cette chose en dur et en trois dimensions saura se montrer fidèle et surtout, elle vieillira docilement au même rythme que vous.
Ou sans vous, si vous l’abandonnez aux puces… Ce qui serait dommage tant l’accumulation éclairée de ce genre d’objets procure in fine un véritable sentiment de plénitude chez l’homme et la femme moyens modernes. Et quand viendra l’âge de ranger les bagages pour de bon, vous serez fin prêts pour le grand voyage immobile, celui qu’on entreprend grâce au pouvoir évocateur de toutes ces kitscheries magnifiques, patiemment accumulées. Là où photos et films ne susciteront plus que souvenirs dépréciés et vaines nostalgies, le vrai souvenir de vacances, lui, vous transportera immédiatement dans un ailleurs mythifié, une espace temporel nouveau où l’esthétique désuète de cet objet, et les connotations sensuelles qui lui sont associées, vous permettront de retrouver des émotions que l’âge n’a pas réussi à effacer. Luxe, calme, champagne à volonté ! À l’âge du Cholestérol (comme il y eut l’âge des Grandes épidémies et l’âge de l’Atome) et sous le règne terrifiant du tout bio, vous réapprendrez peut-être à vivre sans entrave.
Comme le disait ce bon vieux Joris-Karl (Huysmans) dans À rebours (1884) : « Il se procurait ainsi, en ne bougeant point, les sensations rapides, presque instantanées, d’un voyage au long cours, et ce plaisir du déplacement qui n’existe, en somme, que par le souvenir et presque jamais dans le présent, à la minute même où il s’effectue, il le humait pleinement, à l’aise, sans fatigue, sans tracas (…). »