Doublement exilés, les adolescents migrants ou enfants de migrants se sentent non seulement étrangers à leurs propres corps et identités, mais sont aussi désignés comme étrangers par la société d’accueil et victimes de disqualification sociale, de violence d’État et d’incessantes « rafales racistes ». Sur base d’observation ethnographique, de recueil de récits de vie et d’entretiens, cette enquête, en profondeur, réalisée dans les quartiers du nord-ouest de Bruxelles s’intéresse aux jeunes Bruxellois issus des anciennes ou des nouvelles migrations. Elle montre en creux qu’aux discriminations subies répondent une solidarisation des groupes et un regroupement autour de la même couleur de peau ou la même origine culturelle, une affirmation des différences et de leur double-culture.
Ce « communautarisme » supposé pourrait paraître suspect dans nos sociétés réputées universalistes. En fait, cela éclaire le fossé existant entre des discours égalitaristes et anti-communautaristes et « l’égalité des chances » que notre société promeut alors même qu’elle est profondément inégalitaire dans les faits. Se regrouper, dès lors, peut être une stratégie de résistance contre une société qui « ne fait pas ce qu’elle dit et ne dit pas ce qu’elle fait ». Pour preuve, les chiffres rappelés en introduction. Si 14 % des Belges vivent sous le seuil de pauvreté, ce chiffre monte à 59 % pour les personnes d’origine turque et 56 % pour celles en provenance du Maroc ! Le croissant de pauvreté qui traverse plusieurs communes implique un cumul des précarités (logement, emploi, santé) et des perspectives d’ascension sociale faible et de descension sociale forte.
L’enquête raconte les quartiers tels que les jeunes les vivent, en observant notamment que les violences de groupes de jeunes s’inscrivent dans des processus globaux bien plus violents encore à l’instar du remplacement du salariat par le précariat. La présence des chercheurs sur le terrain lors d’évènements violents comme des émeutes ou rixes entre groupes rivaux, permet une analyse très profonde et une recontextualisation loin du sensationnalisme de la presse. Se basant sur le vécu des adolescents rencontrés, cet ouvrage est une plongée dans les quartiers, une analyse fine, loin de tous raccourcis, analysant les représentations véhiculées par les médias ou les politiques publiques et leur réception par les populations qu’elles concernent.
Aurélien BerthierAdolescence en exil
Pascale Jamoulle & Jacinthe Mazzocchetti
Editions Academia, 2012