Ceux qui restent est le nouveau long métrage documentaire de Anne Schiltz et Charlotte Grégoire, deux anthropologues et cinéastes, autrices de Charge de commune (2012) et Bureau de chômage (2015). Il s’agit en quelque sorte de la suite de leur film Stam (2007), déjà réalisé à Mâlăncrav, un village roumain situé quelque part en Transylvanie. Mâlăncrav est soumis à un fort exode puisque, comme d’ailleurs dans toute la Roumanie, nombre de ses habitants sont partis chercher du travail en Europe de l’Ouest où ils peuvent mieux gagner leur vie, mais au prix de conditions de travail déplorables. Mais qu’en est-il de ceux et celles qui ne partent pas, et qui souhaitent rester ? Quelles sont les conséquences de ces migrations pour les locaux ?
Au fil des quatre saisons, on est plongé dans la vie agricole roumaine, spartiate mais jamais sans espoir et l’on suit les pérégrinations de six habitant·es du village. Les absences de ceux qui quittent leurs proches pendant des mois entrainent des déchirements bien palpables. Et les allers-retours de ces travailleurs·ses expatriés sont chargés d’émotions fortes et vives. Ainsi, Natalia, une femme mentalement forte quitte son fils adolescent pour aller s’occuper de personnes âgées en Autriche. Son fils Andrei se débrouille dès lors seul, tout à fait déscolarisé pour mieux vivre sa passion, celle d’aller faire paitre des troupeaux de moutons dans les hauts pâturages. Et il se met même à rêver d’un projet commun avec un ami, celui de posséder leurs propres terres in situ pour devenir berger. Ion, lui quitte femme et enfants pour l’Allemagne, où il travaillera comme agriculteur : homme de la terre, homme à tout faire ! Restée au village, sa femme, Alina, combattive, travaille à la ferme sans relâche avec des moyens très précaires. C’est en partie pour cette raison que Ion choisit le déchirement familial chaque nouvelle saison, il espère rassembler assez d’argent pour moderniser sa ferme et permettre un jour à sa famille de travailler moins durement.
Le déracinement et le désir d’enracinement compromis, l’austérité économique et ses effets sur l’appartenance sociale, l’exploitation des hommes et des femmes, le désappointement de la jeunesse sont autant de thèmes que traite avec acuité ce documentaire de 93 minutes avec en toile de fond une campagne rude et sans pitié.
Ceux qui restent
Anne Schiltz & Charlotte Grégoire
Eklektik Productions, 2019